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L'abîme

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– Quel peut-il être?.. – répéta Madame Goldstraw.

Ces derniers mots, elle les avait dits de l'air d'une personne qui songeait à tout autre chose. Wilding, qui ne cessait point de l'examiner, remarqua que ses yeux erraient sans cesse du côté de la cheminée. Il les vit se fixer sur le portrait de sa mère. En même temps les sourcils de Madame Goldstraw se contractèrent légèrement comme si elle faisait à cet instant un effort de mémoire dont elle avait à peine conscience.

– Feu ma pauvre chère mère, – lui dit-il, – quand elle avait vingt-cinq ans.

Madame Goldstraw le remercia d'un geste, pour la peine qu'il venait de prendre en lui nommant l'original de cette peinture. Son visage aussitôt se rasséréna. Elle ajouta poliment que ce portrait était celui d'une bien jolie dame.

Wilding ne lui répondit pas. Il était déjà retombé dans cette perplexité qui le tourmentait depuis une heure et dont il ne pouvait plus se défendre. Encore une fois il tenta de rassembler sa mémoire. Où donc avait-il vu cet air de figure, où donc avait-il entendu ce son de voix que Madame Goldstraw lui rappelait si exactement?

– Pardonnez-moi, – dit-il, – si je vous fais une nouvelle question, qui n'a trait ni à mon déjeuner ni à moi-même. Puis-je vous demander si vous n'avez jamais occupé d'autre position que celle de femme de charge?

– Si vraiment, – répliqua-t-elle, – j'ai débuté dans la vie d'une tout autre manière. J'ai été gardienne à l'Hospice des Enfants Trouvés.

– J'y suis! – s'écria Wilding en repoussant violemment son fauteuil et en se levant. – Par le ciel! ce sont les façons de ces excellentes femmes que les vôtres me rappellent si bien!

Madame Goldstraw le regarda d'un air stupéfait et pâlit. Elle se contint pourtant, baissa les yeux, et se tut.

– Qu'y a-t-il?.. – demanda Wilding. – Quelle est votre pensée?..

– Monsieur, – balbutia la femme de charge, – dois-je conclure de ce que vous venez de dire, que vous ayez été aux Enfants Trouvés?

– Certainement! – s'écria-t-il. – Je ne rougis pas de l'avouer.

– Vous avez été aux Enfants?.. Sous le nom que vous portez aujourd'hui?

– Sous le nom de Walter Wilding.

– Et la dame?..

Madame Goldstraw s'arrêta court, regardant encore le portrait. Ce regard exprimait maintenant, à ne point s'y méprendre, un vif sentiment d'alarme.

– Vous voulez parler de ma mère, – dit Wilding.

– Votre mère, – répéta-t-elle d'un air contraint, – votre mère vous a retiré de l'Hospice… Quel âge aviez-vous alors, monsieur?

– Onze ans et demi, Madame Goldstraw… Oh! c'est une aventure romanesque.

Il raconta l'histoire de la dame voilée qui lui avait parlé à l'Hospice, pendant le dîner des Enfants, et tout ce qui avait suivi cette rencontre. Il fit ce récit de ce ton communicatif, avec cet air de simplicité qu'il employait en toutes choses.

– Ma pauvre chère mère, – continua-t-il, – n'aurait jamais pu me reconnaître, si elle n'avait su émouvoir par sa douleur une femme de la maison qui eut pitié d'elle. Cette femme lui promit de toucher du doigt le petit Walter Wilding, en faisant sa ronde dans la salle… Ce fut ainsi que je retrouvai ma pauvre chère mère, après avoir été séparé d'elle depuis que j'étais au monde. Et, je vous l'ai dit, j'avais alors plus de onze ans.

Madame Goldstraw écoutait avec attention. Sa main, qu'elle avait posée sur la table, retomba inerte et froide sur ses genoux. Elle regarda fixement son nouveau maître, et son visage se couvrit d'une pâleur mortelle.

– Qu'ayez-vous, – s'écria Wilding, – qu'est-ce que cette émotion veut dire?.. De grâce, savez-vous quelque autre chose du passé?.. Avez-vous été mêlée à quelque autre incident qu'on ne m'a point fait connaître? Je me souviens que ma mère m'a parlé d'une autre personne de la maison, envers qui elle avait contracté une dette éternelle de reconnaissance. Lorsqu'elle s'était séparée de moi à ma naissance, une gardienne avait eu l'humanité de lui apprendre le nom qu'on m'avait donné. Cette gardienne, c'était vous.

– Que Dieu me pardonne! – répéta Madame Goldstraw, – c'était moi.

– Que Dieu vous pardonne! – répéta Wilding épouvanté. – Et qu'avez-vous donc fait de mal en cette occasion?.. Expliquez-vous, Madame Goldstraw.

– Je crois, – dit la femme de charge, – que nous ferions mieux d'en revenir à mes devoirs dans votre maison. Excusez-moi si je vous rappelle au sujet de notre entretien, monsieur. Vous déjeunez donc à huit heures?.. N'avez-vous pas l'habitude de faire un lunch?..

– Un lunch! – fit Wilding.

Cette terrible rougeur qui avait si fort effrayé, la veille, Bintrey, l'homme de loi, reparut sur le visage du jeune négociant. Wilding porta la main à sa tête. Visiblement il cherchait à remettre un peu d'ordre dans ses pensées avant que de reprendre la parole.

– Vous me cachez quelque chose, – dit-il brusquement à Madame Goldstraw.

– Je vous en prie, monsieur, faites-moi la grâce de me dire si vous prenez un lunch? – repartit la femme de charge.

– Je ne vous ferai point cette grâce, je ne reviendrai pas à notre sujet, Madame Goldstraw, entendez-vous, je n'y reviendrai pas avant que vous m'ayez dit pourquoi vous regrettez si peu d'avoir fait du bien à ma mère en cette circonstance terrible, – s'écria Wilding hors de lui. – Ma mère m'a parlé de vous avec un sentiment de gratitude inépuisable jusqu'à la fin de sa vie, et sachez bien que c'est me rendre un mauvais service que de vous taire et de ne point me répondre. Vous m'agitez, vous m'inquiétez, vous allez être la cause que mes étourdissements vont revenir.

Il porta encore la main à son front et de rouge qu'il était son visage devint violet.

– Il est dur pour moi, monsieur, au moment où j'entre à votre service, il est bien dur de vous dire une chose qui pourra me coûter la perte de vos bonnes grâces et de votre bienveillance, – répliqua lentement Madame Goldstraw. – Je vous prie seulement de remarquer, quoi qu'il advienne, que je ne suis pas libre de ne pas vous obéir. C'est vous qui me forcez à parler quand j'aurais été heureuse de me taire, et je ne romps le silence que parce qu'il vous alarme. Sachez donc que lorsque j'appris à la pauvre dame dont le portrait est là le nom sous lequel son enfant avait été baptisé, je manquai à tous mes devoirs. Mon imprudence a eu des suites fatales. Mais je vous dirai pourtant la vérité. Quelques mois après que j'eus fait connaître à cette dame le nom de son enfant, une autre dame étrangère se présenta dans la maison, désirant d'adopter un de nos petits garçons. Elle en avait apporté l'autorisation préalable et régulière; elle examina un grand nombre d'enfants sans se décider en faveur d'aucun; puis, ayant vu par hasard un de nos plus jeunes babies… un petit garçon aussi… confié à mes soins… je vous en prie, tâchez de demeurer maître de vous, monsieur… Il n'est pas nécessaire de prendre plus de détours, en vérité. L'enfant que la dame étrangère emmena avec elle était celui de la dame dont voici le portrait.

Wilding se leva en sursaut.

– Impossible!.. – s'écria-t-il, – que me racontez-vous là?.. Quelle histoire absurde!.. Regardez ce portrait… ne vous l'ai-je pas déjà dit?.. C'est le portrait de ma mère!..

– Quand cette malheureuse dame, dont vous me montrez l'image, vint, au bout de quelques années, vous retirer de l'Hospice, – reprit Madame Goldstraw d'une voix ferme, – elle fut victime… et vous aussi, monsieur… d'une terrible méprise.

Wilding retomba lourdement sur son fauteuil.

– Il me semble que la chambre tourne autour de moi!.. – fit-il. – Ma tête!.. ma tête!..

La femme de charge, toute éperdue, courut à la fenêtre qu'elle ouvrit, puis à la porte pour appeler du secours; mais un torrent de pleurs, s'échappant à grand bruit des yeux de Wilding, vint heureusement le soulager. D'un signe, il pria Madame Goldstraw de ne point le quitter. Elle attendit la fin de cette explosion de larmes. Wilding revint à lui, leva la tête, et considéra sa femme de charge d'un air soupçonneux et irrité, avec toute la déraison d'un homme faible.

– Méprise!.. méprise!.. – s'écria-t-il, répétant le dernier mot qu'il avait dit. – Méprise!.. – continua-t-il d'un ton farouche. – Et si vous me trompiez vous-même!..

– Malheureusement, – dit-elle, – je ne puis avoir commis une erreur. Je vous dirai pourquoi dès que vous serez en état de m'entendre.

– Tout de suite!.. tout de suite!.. – reprit Wilding. – Ne perdons pas un moment.

L'air égaré avec lequel il lui enjoignait de parler fit comprendre à Madame Goldstraw qu'il serait d'une générosité cruelle et maladroite de lui laisser un seul moment d'espérance. Il suffisait maintenant d'un mot pour mettre à jamais un terme à cette illusion qu'il aurait voulu garder. Ce mot, qui allait l'accabler, elle devait le lui dire.

– Je viens de vous apprendre, – dit-elle, – que l'enfant de la dame dont vous avez le portrait avait été adopté et emmené par une autre dame étrangère. – Vous me voyez aussi sûre de ce fait que je le suis d'être ici, auprès de vous en ce moment. Me voici forcée de vous affliger encore, monsieur, et cela contre mon gré. Veuillez me suivre maintenant, vous reporter dans le passé, trois mois après l'événement dont nous parlons. J'étais alors à l'Hospice de Londres, toute prête à emmener, suivant les ordres que j'avais reçus, quelques enfants à notre succursale de la campagne. Il y eut ce jour-là, je m'en souviens, une discussion relative au nom que l'on allait donner à un petit nouveau venu. Nous donnions en général à nos petits anges, des noms que nous prenions tout simplement au hasard dans l'Almanach des Adresses. Ce jour-là, l'un des gentlemen directeurs, qui feuilletait le Registre, trouva que le baby qui venait d'être adopté, Walter Wilding, avait été effacé, «Un nom à prendre,» dit-il; «donnez-le à celui qui vient d'être reçu tout à l'heure. C'est le moyen de vous mettre d'accord.» On appela donc ce nouvel enfant Walter Wilding comme l'autre qui nous avait été retiré… Ce nouvel enfant, c'était vous.

La tête de Wilding retomba sur sa poitrine.

– C'était moi!.. – murmura-t-il.

– Peu de temps après votre entrée dans l'institution, monsieur, – reprit la femme de charge, – je la quittai pour me marier. Si vous voulez ici me prêter toute votre attention, vous allez voir comment une funeste méprise a eu lieu naturellement. Onze ans et demi se passèrent avant que celle que, tout à l'heure, vous croyiez avoir été votre mère, ne retournât à l'Hospice pour y chercher le fils dont elle s'était séparée. Elle savait qu'il s'appelait Walter Wilding, et rien de plus. La servante qu'elle émut par sa douleur ne put lui désigner que le seul Walter Wilding alors connu dans la maison. Moi, qui aurais pu rétablir la vérité des choses, j'étais bien loin alors. Aucun indice, aucun soupçon, aucun doute ne put donc alors empêcher cette cruelle erreur de s'accomplir. Oh! je souffre pour vous, monsieur, vous penserez toujours avec raison que le jour où je suis entrée chez vous fut un jour de malheur, j'y suis venue bien innocemment, je vous le jure. Et pourtant j'éprouve le sentiment d'une mauvaise action que je viens de commettre. Que n'ai-je pu dissimuler le trouble où la vue de ce portrait et les confidences que vous m'avez faites m'avaient jetée malgré moi! Si j'avais eu la sagesse de me taire, vous n'auriez jamais eu l'occasion d'apprendre toutes ces choses douloureuses et, même à l'heure de votre mort, tranquille et sans inquiétude…

Elle s'arrêta, car Wilding redressa brusquement la tête et la regarda. Son honnêteté native se soulevait dans son cœur et protestait contre ce dernier mot de Madame Goldstraw.

– Entendez-vous par là que vous auriez voulu me cacher tout ceci… – s'écria-t-il, – me le cacher à jamais si vous l'aviez pu?

– Je me flatte de pouvoir toujours dire la vérité quand on me la demandera, – répondit Madame Goldstraw. – Certes, il vaut mieux pour moi et pour ma conscience de n'être pas chargée d'un pareil secret. Mais cela vaut-il mieux pour vous? De quelle utilité peut-il vous être, maintenant, de le connaître, le secret qui vous déchire?
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