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L'abîme

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– Voilà tout, – dit le notaire.

Et il prit une forte prise de tabac.

– Cela suffit-il, Monsieur?

– Non, vraiment, – fit Maître Voigt. – La maison Defresnier et Compagnie est de cette ville, très estimée, très respectée. Mais la maison Defresnier et Compagnie n'a point le droit de détruire sans raison la réputation d'un homme. Vous pourriez répondre à une accusation. Mais que répondrez-vous à des gens qui ne disent rien?

– Justement, mon cher maître. Votre équité naturelle vient de définir en un mot la cruelle situation où l'on m'a placé. Et si encore ce malheur était le seul!.. Mais vous savez quelles en ont été les suites?

– Je le sais, mon pauvre garçon, – fit le notaire en remuant la tête d'un air compatissant, – votre pupille se révolte contre vous.

– Se révolte!.. c'est un mot bien doux, – reprit Obenreizer. – Ma pupille s'est élevée avec horreur contre moi; elle s'est soustraite à mon autorité, et s'est réfugiée avec Madame Dor chez cet homme de loi Anglais, Monsieur Bintrey, qui répond à nos sommations de revenir et de se soumettre que jamais elle n'en fera rien.

– Et qui écrit ensuite, – continua le notaire en soulevant sa large tabatière pour chercher parmi ses papiers, – qui écrit qu'il va venir en conférer avec moi.

– Il écrit cela? – s'écria Obenreizer. – Eh bien Monsieur, n'ai-je pas des droits légaux?

– Eh! mon pauvre garçon, tout le monde, à l'exception des criminels, tout le monde a son droit légal.

– Qui dit que je suis criminel? – dit Obenreizer d'un air farouche.

– Personne ne le dit. Un peu de calme dans vos chagrins, par pitié. Si la maison Defresnier donnait à entendre que vous avez commis quelque action… oh! nous saurions alors comment nous comporter avec elle.

Tout en parlant, il avait passé la lettre fort brève de Bintrey à Obenreizer, qui l'avait lue et qui la lui rendit.

– Lorsque cet homme de loi Anglais vous annonce qu'il va venir conférer avec vous, – s'écria-t-il, – cela veut dire qu'il vient pour repousser mon autorité sur Marguerite…

– Vous le croyez?

– J'en suis sûr, je le connais. Il est opiniâtre et chicanier. Dites-moi, Monsieur, si mon autorité est inattaquable jusqu'à la majorité de cette jeune fille?

– Absolument inattaquable.

– Je prétends donc la garder. Je l'obligerai bien à s'y soumettre!.. Mais, – reprit Obenreizer, passant de cet emportement à un grand air de douceur et de soumission, – je vous devrai encore cette satisfaction, Monsieur, à vous qui, avec tant de confiance, avez pris sous votre protection et à votre service un homme si cruellement outragé.

– Tenez-vous l'esprit tranquille, – interrompit Maître Voigt. – Pas un mot de plus sur ce sujet, et pas de remerciements. Soyez ici demain matin, avant l'arrivée de l'autre clerc, entre sept et huit heures; vous me trouverez dans cette chambre. Je veux vous initier moi-même à votre besogne… Maintenant, allez-vous-en, allez-vous-en. J'ai des lettres à écrire; je ne veux pas entendre un mot de plus.

Congédié avec cette brusquerie amicale, et satisfait de l'impression favorable qu'il avait produite sur l'esprit du vieillard, Obenreizer put réfléchir à son aise. Alors la mémoire lui revint de certaine note qu'il avait prise mentalement durant cet entretien. Ainsi donc, Maître Voigt avait eu jadis un client dont le nom était Vendale.

– Je connais assez bien l'Angleterre à présent, – se disait-il tout en faisant courir ses pensées devant lui, assis sur un banc devant le parterre. – Ce nom de Vendale y est bien rare. Jamais je n'avais rencontré personne qui le portât avant…

Il regarda involontairement derrière lui par-dessus son épaule.

– Le monde est-il en effet si petit, que je ne puisse m'éloigner de lui, même après sa mort?.. Il m'a confessé à ses derniers moments qu'il avait trahi la confiance d'un homme qui est mort comme lui… qu'il jouissait d'une fortune qui n'était pas la sienne… que je devais y songer! Et il me demandait de m'éloigner d'un pas, afin qu'il me vît mieux et que ma figure lui appelât ce souvenir!.. Pourquoi ma figure?.. C'est donc moi que cette confession étrange intéresse!.. Oh! je suis sûr de ses paroles; elles n'ont point quitté mon oreille… Et si je les rapproche de ce que me disait tout à l'heure ce vieil idiot de notaire… Eh! quoi que ce soit, tant mieux, si j'y trouve de quoi réparer ma fortune et ternir sa mémoire!.. Pourquoi, dans la nuit que nous avons passée ensemble à Bâle, s'est-il appesanti avec tant d'insistance sur mes premiers souvenirs. Sûrement il avait un motif alors!..

Il ne put achever, car les deux plus gros béliers de Maître Voigt vinrent l'assaillir à coups de tête, comme s'ils voulaient venger la réflexion irrévérencieuse qu'Obenreizer s'était permise sur le compte de leur maître. Il céda devant l'ennemi et se retira. Mais ce fut pour se promener longtemps, seul, sur les bords du lac, la tête penchée sur sa poitrine, en proie à des réflexions profondes.

Le lendemain matin, entre sept et huit heures, il se présentait à l'étude. Il y trouva le notaire qui l'attendait en compulsant des titres et des papiers arrivés de la veille. En quelques mots bien simples, Maître Voigt le mit au courant de la routine de l'étude et des devoirs qu'il aurait à remplir. Il était huit heures moins cinq minutes lorsque le digne homme se leva, en déclarant à son nouveau clerc que cette instruction préliminaire était terminée.

– Je vais vous montrer la maison et les communs, – dit-il. – mais il faut auparavant que je serre ces papiers. Ils me viennent des autorités municipales, je dois en prendre un grand soin.

Obenreizer devint attentif, car il voyait la une occasion de s'instruire. Il allait savoir où son patron serrait ses papiers particuliers.

– Ne pourrais-je pas vous épargner cette peine Monsieur? – dit-il. – Ne pourrais-je ranger et serrer ces papiers pour vous, avec vos indications?

Maître Voigt se mit à rire sous cape. Il referma le portefeuille qui contenait ces documents précieux, et le passa à Obenreizer.

– Essayez! – dit-il. – Tous mes papiers importants sont la!..

Et il lui montrait du doigt, au bout de là chambre, une lourde porte de chêne parsemée de clous. Obenreizer s'approcha, le portefeuille à la main, et regardant la porte, s'aperçut avec surprise que, de l'extérieur au moins, il n'y avait aucun moyen de l'ouvrir. Ni poignée, ni verrou, ni clef, pas même de serrure.

– C'est qu'il y a une seconde porte à cette chambre, – dit-il.

– Non, – fit Maître Voigt. – Cherchez encore.

– Il y a certainement une fenêtre.

– Murée, mon ami, murée avec des briques. La seule entrée est bien par cette porte; est-ce que vous y renoncez? – s'écria le notaire triomphant. – Écoutez maintenant, mon brave garçon, et dites-moi si vous n'entendez rien à l'intérieur.

Obenreizer écouta et recula, tout effrayé.

– Oh! – dit-il, – je sais de quoi il s'agit. J'ai entendu parler de cela quand j'étais apprenti chez un horloger. Perrin frères ont donc enfin terminé leur fameuse horloge de sûreté. Et c'est vous qui l'avez achetée?

– Moi-même. C'est bien l'horloge de sûreté. Voilà, mon fils, voilà une preuve de plus de ce que les braves gens de ce pays appellent les enfantillages du Père Voigt. Eh bien! laissons rire. Il n'en est pas moins vrai qu'aucun voleur au monde ne méprendra jamais mes clefs. Aucun pouvoir ici-bas, un bélier même, un tonneau de poudre ne fera jamais bouger cette porte. Ma petite sentinelle à l'intérieur, ma petite amie qui fait: Tic, Tic, m'obéit quand je lui dis: «ouvre.» La porte massive n'obéira jamais qu'à ce: Tic, Tic; et ce petit Tic, Tic, n'obéira jamais qu'à moi… et voilà ce qu'a imaginé ce vieil enfant de Voigt, à la plus grande confusion de tous les voleurs de la Chrétienté.

– Puis-je voir l'horloge en mouvement? – dit Obenreizer. – Pardonnez ma curiosité, Monsieur. Vous savez que j'ai passé autrefois pour un assez bon ouvrier horloger.

– Oui, vous la verrez en mouvement, – dit Maître Voigt. – Quelle heure est-il?.. Huit heures moins une minute. Attention! dans une minute vous verrez la porte s'ouvrir d'elle-même.

Une minute après, doucement, lentement, sans bruit, et comme poussée par des mains invisibles, la porte s'ouvrit et laissa voir une chambre obscure.

Sur trois des côtés, des planches garnissaient les murs du haut en bas. Sur ces planches étaient rangées, en bon ordre et par étage, des boîtes de bois, ornées de marqueteries Suisses et portant toutes, en lettres de couleur, des lettres fantastiques, le nom des clients de l'étude. Maître Voigt alluma un flambeau.

– Vous allez voir l'horloge, – dit-il avec orgueil, – je peux dire que je possède la première curiosité de l'Europe… et ce ne sont que des yeux privilégiés à qui je permets de la voir. Or, ce privilège je l'accorde au fils de votre excellent père. Oui, oui, vous serez l'un des rares favorisés qui entrent dans cette chambre avec moi. Voyez là, sur le mur de droite du côté de la porte.

– Mais c'est une horloge ordinaire! – s'écria Obenreizer. – Non, elle n'a qu'une seule aiguille.

– Non, – dit Maître Voigt, – ce n'est pas une horloge ordinaire: Non… non… cette seule aiguille tourne autour du cadran, et le point où je la mets moi-même règle l'heure à laquelle la porte doit s'ouvrir. Tenez! L'aiguille marque huit heures: la porte ne s'est-elle pas ouverte à huit heures sonnant?

– Est-ce qu'elle s'ouvre plus d'une fois par jour? – demanda le jeune homme.

– Plus d'une fois? – répéta le notaire avec un air de parfait mépris pour la simplicité de son nouveau clerc – Vous ne connaissez pas mon ami: Tic, Tic. Il ouvrira bien autant de fois que je le lui dirai. Tout ce qu'il demande, ce sont des instructions, et voilà que je les lui donne… Regardez au-dessous du cadran: il y a ici un demi-cercle en acier qui pénètre dans la muraille; là est une aiguille appelée le régulateur, qui voyage tout autour du cadran, suivant le caprice de mes mains. Remarquez, je vous prie, ces chiffres qui doivent me guider sur ce demi-cercle. Le chiffre 1 signifie qu'il faut ouvrir une fois dans les vingt-quatre heures; le chiffre 2 veut dire: ouvrez deux fois, et ainsi de suite jusqu'à la fin. Tous les matins je place le régulateur après avoir lu mon courrier, et quand je sais quelle sera ma besogne du jour. Aimeriez-vous à me le voir placer? Quel jour aujourd'hui?.. Mercredi. Bon. C'est la réunion des tireurs à la carabine, je n'aurai pas grand'chose à faire, je suis sûr d'une demi-journée de congé. On pourra bien quitter l'étude après trois heures. Serrons d'abord le portefeuille avec les papiers de la Municipalité. Voilà qui est fait! Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'ennuyer Tic Tic, et de lui demander d'ouvrir avant demain matin, à huit heures. Je fais reculer le régulateur jusqu'au numéro 1. Je referme la porte; et bien fin qui l'ouvrira avant huit heures demain matin.

Obenreizer sourit. Il avait déjà vu le côté faible de l'invention préconisée par le notaire; il savait comment l'horloge à secret pouvait trahir la confiance de Maître Voigt et laisser ses papiers à la merci de son clerc.

– Arrêtez! Monsieur, – cria-t-il, au moment où le notaire allait fermer la porte. – Quelque chose a remué parmi les boîtes.

Maître Voigt se retourna.
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