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L'abîme

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– Entrez.

La porte brune s'ouvrit.

Soutenu par Marguerite, pâle, le bras droit en écharpe, Vendale se trouva debout devant son meurtrier.

Un fantôme sortant de la tombe!

Durant le silence qui suivit, le chant d'un oiseau en cage qui gazouillait en bas dans la cour, fut le seul bruit qu'on entendit dans cette chambre.

Maître Voigt toucha le bras de Bintrey, et lui montrant Obenreizer:

– Regardez-le, – dit-il tout bas.

Cette émotion terrible avait paralysé le misérable; son visage était celui d'un cadavre, et sur sa joue pâle un seul point gardait la couleur de la vie: c'était cette raie pourpre et sanguinolente, la cicatrice de la blessure que sa victime lui avait faite au bord du gouffre en se débattant contre lui. Sans voix, sans haleine, immobile, stupide, on eût dit que, à l'aspect de Vendale, la mort à laquelle il avait condamné son ennemi venait de le frapper lui-même.

– Quelqu'un devrait lui parler, – dit Maître Voigt. – Dois-je le faire?

Même en ce moment, Bintrey s'opiniâtra à faire taire l'heureux possesseur de l'horloge à secret, l'homme de loi Anglais entendant se réserver entièrement la direction de cette affaire. Il fit signe à Marguerite et à Vendale de sortir.

– Le but de votre apparition soudaine est rempli, – dit-il à ce dernier. – Éloignez-vous, quant à présent. Votre absence aidera sans doute Monsieur Obenreizer à recouvrer le sens et la voix qu'il a perdus.

Bintrey avait deviné juste.

À peine les deux fiancés eurent-ils disparu, à peine la porte brune se fut-elle refermée derrière eux qu'Obenreizer fit entendre un profond soupir. Il chercha une chaise autour de lui et s'y laissa tomber lourdement.

– Donnez-lui le temps de se remettre, – fit Maître Voigt.

– Point du tout, – dit Bintrey, – je ne sais l'usage qu'il ferait de ce temps, si je le lui accordais.

– Monsieur, – reprit-il, en se retournant vers Obenreizer. – Je me dois à moi-même… remarquez bien que je n'admets pas que je vous doive quelque chose à vous… d'expliquer mon intervention dans tout ceci, et de vous apprendre ce qui a été fait d'après mes avis, sous ma responsabilité entière. Êtes-vous en état de m'écouter?

– Je vous écoute.

– Rappelez-vous l'époque à laquelle vous vous êtes mis en route pour la Suisse avec Vendale, – commença Bintrey. – À peine vingt-quatre heures s'étaient-elles écoulées depuis votre départ que votre nièce commettait une imprudence… Avec toute votre pénétration même, vous n'auriez pu la prévoir! Elle suivait son fiancé dans ce voyage, sans demander avis ni permission à qui que ce fût au monde, et sans autre compagnon pour la protéger en route qu'un garçon de cave au service de Vendale.

– Pourquoi? – s'écria Obenreizer. – D'où lui était venu cette pensée de nous suivre, et comment avait-elle pris cet homme pour guide?

– Je vais vous le dire, – répliqua froidement Bintrey. – Parce qu'elle soupçonnait qu'une querelle très sérieuse avait dû avoir lieu entre vous et Vendale et qu'on la lui avait cachée; parce qu'elle vous croyait – et avec raison – capable de servir vos intérêts et de satisfaire vos ressentiments par un crime. Aussitôt après votre départ, elle s'adressa à ce Joey Laddle que vous connaissez afin de savoir ce qui s'était passé entre vous et son maître. Un accident fort ordinaire arrivé à Vendale dans ses caves avait éveillé chez cet homme une superstition ridicule; il était frappé de l'idée que Monsieur Vendale mourrait de mort violente. Votre nièce lui arracha cette prédiction insensée qui porta ses propres craintes à leur comble. Aussitôt Joey Laddle eut conscience du mal qu'il venait de faire, il se condamna lui-même à la seule expiation qu'il pouvait offrir: «Si mon maître est en danger,» dit-il à Mademoiselle Marguerite, «il est de mon devoir d'aller à son secours, et encore plus de veiller sur vous.» Ils se mirent donc en route tons les deux… C'est la première fois, Monsieur Obenreizer, qu'une superstition a servi à quelque chose. Cette terreur qui paraissait sans fondement, a décidé votre nièce à entreprendre ce voyage et l'a conduite à sauver la vie de celui qu'elle aimait. Jusqu'ici me comprenez-vous?

– Jusqu'ici, je vous comprends.

– La première connaissance de votre crime, – poursuivit l'Anglais, – me parvint par une lettre de Mademoiselle Marguerite, et tout ce qu'il me reste à vous faire savoir, c'est que son amour et son courage surent retrouver votre victime. Elle mit toute son énergie à rappeler Monsieur Vendale à la vie. Tandis qu'il était mourant, soigné par elle à Brietz, elle m'écrivait pour me prier de me rendre auprès de lui. Avant mon départ, j'avertis Madame Dor de ce que je venais d'apprendre; je lui dis que Mademoiselle Obenreizer était en sûreté et que je connaissais le lieu de sa retraite. La bonne dame, à son tour, m'informa qu'une lettre était arrivée pour votre nièce, et qu'elle avait reconnu votre écriture. Je m'en emparai et pris des arrangements pour que toutes celles qui suivraient me fussent remises. Arrivé à Brietz, je trouvai Monsieur Vendale hors de danger, et je m'employai tout de suite à hâter le jour où je pourrais régler enfin mes comptes avec vous… Je savais que Defresnier et Compagnie s'étaient séparés de vous sur de certains soupçons; je le savais mieux que personne, car ils n'ont agi que sur des renseignements particuliers que je leur avais fait passer. Vous ayant donc dépouillé tout d'abord de votre honorabilité menteuse, il me restait à vous arracher votre autorité sur Mademoiselle Marguerite. Pour atteindre ce but, je n'ai pas connu de scrupules. C'est en parfaite sûreté de conscience que j'ai creusé le piège sous vos pas et dans l'ombre, et, faut-il vous l'avouer, j'ai même éprouvé une certaine satisfaction professionnelle à vous battre avec vos propres armes. Par mon ordre, on vous a soigneusement caché jusqu'à ce jour tout ce qui s'était passé depuis deux mois. C'est ma main, invisible mais toujours active, qui vous a amené ici par degrés. Je ne voyais qu'un seul moyen de faire tomber d'un seul coup cette assurance diabolique qui, jusqu'à présent, a fait de vous un homme redoutable. Ce moyen, je l'ai employé… Maintenant, il ne nous reste plus qu'une chose à faire ensemble, une seule, Monsieur Obenreizer.

Ce disant, Bintrey tirait de son sac à dépêches deux feuilles de papier couvertes de caractères pressés où l'on reconnaissait le grimoire légal.

– Voulez-vous rendre la liberté à votre nièce? – reprit-il. – Vous avez commis une tentative d'homicide, un faux, et un vol. Nous en avons les preuves irrécusables. Si vous subissez une condamnation infamante, vous savez aussi bien que moi ce qu'il adviendra de votre autorité de tuteur. Personnellement, j'aurais mieux aimé le parti le plus violent pour nous débarrasser de vous; mais on a fait valoir à mes yeux mille considérations auxquelles je ne saurais point résister. Donc, j'avais bien raison de vous dire que cette entrevue devait se terminer par un compromis. Signez cet acte par lequel vous vous engagez à ne plus prétendre à aucun pouvoir sur Mademoiselle Marguerite, à ne vous jamais montrer ni en Angleterre ni en Suisse, et je vous signerai à mon tour un engagement, qui vous garantira contre toute poursuite judiciaire. Signez!

Obenreizer prit la plume et signa.

Il reçut à son tour l'engagement dont lui avait parlé Bintrey. Après quoi, il se leva, mais sans faire aucun mouvement pour quitter la chambre. Il demeurait debout regardant Maître Voigt avec un sourire étrange; une lueur sombre jaillissait de son ciel nuageux.

– Qu'attendez-vous? – fit Bintrey.

Obenreizer montra du doigt la porte brune.

– Rappelez-les, – dit-il. – J'ai quelque chose à dire en leur présence avant de me retirer.

– Ma présence, à moi, ne suffit-elle pas à vous satisfaire? – riposta l'Anglais, – je refuse de les rappeler.

Obenreizer se tourna vers Maître Voigt.

– Vous souvenez-vous d'avoir eu jadis un client Anglais du nom de Vendale? – lui demanda-t-il.

– Eh bien, – répondit le notaire, – qu'est-ce que ce souvenir a de commun avec les choses qui nous occupent?

– Maître Voigt, votre horloge de sûreté vous a trahi.

– Que voulez-vous dire?

– J'ai lu les lettres et certificats contenus dans la boîte de votre client, et j'en ai pris des copies. Ces copies, je les ai sur moi. Monsieur Bintrey, cela vous paraîtra-t-il enfin une raison suffisante de rappeler vos amis?

Durant quelques instants, le notaire regarda de tous côtés. Placé entra Obenreizer et Bintrey, il ne savait auquel entendre, car il était plongé dans un étonnement qui lui enlevait l'exercice de la raison. Enfin il se remit, il attira son confrère dans un coin de la chambre et lui dit quelques mots.

Le visage de Bintrey, après avoir réfléchi, pendant un moment; comme un miroir, la surprise peinte sur celui de Maître Voigt, changea subitement d'expression. Avec l'ardeur d'un jeune homme, il s'élança vers la porte brune, disparut, et revint aussitôt suivi de Vendale et de Marguerite.

– Les voici! – cria-t-il à Obenreizer. – à vous la dernière manche de la partie. Jouez serré.

– Avant d'abdiquer, comme tuteur, mon autorité sur cette jeune fille, – dit Obenreizer, – mon devoir me commande de lui révéler un secret auquel elle est intéressée. Je ne réclame point son attention à la légère, et je ne lui demande point, ni aux autres personnes présentes, d'en croire mon récit sur parole. J'ai en main des preuves écrites. Ce sont des copies d'originaux dont l'authenticité pourra être attestée par Maître Voigt lui-même. Faites bien entrer cela dans son esprit, et reportons-nous ensemble à une époque déjà bien vieille… au mois de Février de l'année 1836.

– Remarquez cette date, Vendale, – s'écria Bintrey.

– Ma première preuve, – continua Obenreizer, tirant un papier de son portefeuille, – est la copie d'une lettre écrite par une dame Anglaise, une femme mariée… à sa sœur qui est veuve. Je tairai le nom de cette dame pour le moment. Celui de la personne à laquelle cette lettre est adressée est Madame Jane Anna Miller, à Groombridge Wells, Angleterre.

Vendale tressaillit, il allait parler, – Bintrey l'arrêta comme il avait tant de fois arrêté Maître Voigt depuis une heure.

– Non, – fit l'opiniâtre Anglais. – Rapportez-vous-en à moi.

– Il est inutile, – reprit Obenreizer, – de vous fatiguer de la première moitié de cette lettre et je vais vous en donner la substance en deux mots. Voici donc quelle était la situation de la personne qui a écrit ces lignes. Elle avait longtemps habité la Suisse, avec son mari, que sa santé obligeait d'y vivre. Ils étaient alors sur le point de se rendre à une nouvelle résidence qu'ils avaient choisie; ils devaient y être installés sous huit jours et annonçaient à Madame Miller qu'ils pourraient l'y recevoir dans deux semaines. Ceci dit, l'auteur de la lettre entre alors dans un détail domestique très important. Privés de la joie d'avoir des enfants, et, n'ayant plus, après tant d'années, aucune espérance à ce sujet, ils sont seuls, ils sentent le besoin de mettre un intérêt dans leur vie et ils ont résolu d'adopter un jeune garçon. Je commence ici à lire mot pour mot:

«Voulez-vous nous aider, chère sœur, dans la réalisation de notre projet? En notre qualité d'Anglais, nous désirons adopter un enfant Anglais. Cet enfant, on peut l'aller chercher, je crois, à l'Hospice des Enfants Trouvés; l'homme d'affaires de mon mari, à Londres, vous indiquera les moyens à prendre. Je vous laisse la liberté du choix aux seules conditions que je vais vous dire. L'enfant sera âgé d'un an au moins et ce sera un garçon. Pardonnez-moi la peine que je vais vous donner, et amenez-nous l'enfant avec les vôtres, quand vous viendrez nous joindre à Neufchâtel.

Encore un mot, qui vous fera connaître les intentions de mon mari en cette circonstance délicate. Il veut épargner à l'enfant, qui deviendra le nôtre, toute humiliation dans l'avenir et surtout ne jamais l'exposer à la perte du respect de soi-même, qui pourrait résulter pour lui de la connaissance de sa véritable origine. Il portera le nom de mon mari et sera élevé dans la croyance qu'il est réellement son fils. L'héritage que nous laisserons lui sera assuré, non seulement d'après les lois Anglaises, mais aussi d'après les lois de la Suisse. Nous avons vécu si longtemps dans ce dernier pays que nous pouvons presque le considérer comme le nôtre. Il y a donc à prendre des précautions pour prévenir toute révélation postérieure qui pourrait être faite à l'Hospice des Enfants Trouvés. Or, notre nom est assez rare en Angleterre, et si nous intervenons et sommes inscrits comme adoptants sur les registres de l'Hospice, il y aura certainement bien des choses à craindre. Votre nom à vous, chère, est porté en Angleterre par des milliers de personnes de toute classe et de tout rang, et si vous vouliez consentir à paraître seule sur ces registres, le secret serait assuré.

Nous changeons de séjour et nous nous rendons dans une partie de la Suisse où notre situation et notre manière de vivre sont inconnues; vous ferez bien, je crois, de prendre une gouvernante nouvelle, lorsque vous viendrez nous voir. Avec toutes ces précautions l'enfant passera pour être le mien, que j'aurai laissé en Angleterre et qui me sera ramené par les soins de ma sœur. La seule servante que nous gardions avec nous en changeant de demeure, est ma femme de chambre, en qui je peux avoir une confiance sans réserve. Quant aux hommes d'affaires, tant d'Angleterre que de Suisse, ils savent par état garder un secret et nous pouvons être tranquilles de ce côté-là. Ainsi voilà toute notre petite conspiration dévoilée devant vos yeux. Répondez-moi par le retour du courrier. – Mille amitiés, et dites-moi que vous suivrez de près votre lettre.»

– Persistez-vous à cacher le nom de la personne qui a écrit ces lignes? – demanda Vendale.

– Je le garde pour le bouquet, – répondit insolemment Obenreizer, – et je passe à ma seconde preuve. Un simple chiffon de papier, cette fois, comme vous voyez. C'est une note remise à l'avoué Suisse qui a rédigé les documents relatifs à cette affaire. Je viens de le lire. En voici les termes:
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