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Александр III

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Александр III
Иван Сергеевич Тургенев

Статья «Александр III» была не первым обращением Тургенева к новому царю. Несколько раньше, в марте того же 1881 года, Тургенев стал автором адреса, написанного вскоре после принесения присяги новому государю, от имени Общества взаимного вспоможения и благотворительности русских художников в Париже. Адрес этот был связан с известным инцидентом, возникшим после того, как Тургенев пригласил на литературно-музыкальный вечер Общества вспоможения… революционера-эмигранта П. Л. Лаврова. Это едва не привело к закрытию Общества. Однако статья Тургенева «Александр III» в «La Revue politique et littеraire» решительно отличается от верноподданнического адреса Общества вспоможения… и носит иной характер, преследует иные цели. Статья эта написана не по частному вопросу, а является своеобразным политическим обращением писателя к царю в период, когда политика нового царствования еще не определилась и в либеральных кругах была надежда на продолжение того курса реформ, который наметился в конце правления Александра II.

Иван Сергеевич Тургенев

Александр III

Alexandre III

Non seulement en Russie, mais dans l’Europe enti?re on attend anxieusement les premiers actes du nouveau souverain, pour t?cher de prеjuger quelles seront par la suite son attitude, ses tendances, toute sa mani?re de gouverner.

On esp?re beaucoup. On craint beaucoup. On commente tout ce qu’on sait de sa vie et on en tire des conclusions; puis on se dit: «L’horrible mort de son p?re ne changera-t-elle pas absolument ses opinions acquises et connues d?s maintenant?»

Nous allons essayer de tracer aussi judicieusement que possible le caract?re vrai de ce prince, de pеnеtrer en lui, de voir son c?ur, qui n’est point double ou rusе; et, de cette connaissance de l’homme, nous t?cherons de dеduire la conduite qu’il tiendra sur le tr?ne, ? moins que des еvеnements imprеvus ne le forcent ? suivre une route contraire ? sa nature.

I

Alexandre III poss?de plusieurs de ces qualitеs puissantes qui font, sinon les grands, du moins les bons et les vrais souverains. Chaque homme nait avec des aptitudes particuli?res pour une profession quelconque; ce prince semble nе avec des aptitudes rеelles pour le pouvoir.

Il est dans la force de l’?ge, sain de corps et d’esprit, de grande allure, d’aspect royal. Son caract?re est calme, rеflеchi, еnеrgique, еquilibrе. La note dominante en lui, la qualitе qui enveloppe pour ainsi dire toutes les autres est l’honn?tetе, une honn?tetе scrupuleuse, absolue, sans pactisations et sans mеlange. Rien qu’? le voir, on le sent loyal des pieds ? la t?te, sans plis dans la pensеe, d’une sincеritе rigide; mais cette excessive droiture ne va pas sans une nuance d’ent?tement qui en est comme la consеquence.

On conna?t son passе.

Appelе ? la succession de l’empire par la mort de son fr?re, n’ayant re?u jusqu-l? qu’une еducation purement militaire, il s’est mis au travail avec une volontе et une persеvеrance remarquables, s’effor?ant de devenir digne du grand tr?ne o? il devait monter; il est ? constater, d’ailleurs, que le nouveau tzar a plut?t une tendance ? douter de lui, de son savoir et de son esprit, une sorte de modestie rеelle en face de la situation souveraine o? le place la destinеe – modestie qui n’exelut pourtant ni l’esprit de suite ni l’еnergie dans la volontе.

Seul de sa race, peut-?tre, il est chaste, et il l’a toujours еtе. Il a souvent manifestе dans sa propre famille sa profonde rеpugnance pour l’inconduite.

Des gens еlеvеs avec lui affirment que, m?me enfant, il n’a jamais menti. Et il pousse si loin ses scrupules de franchise qu’au moment d’еpouser, pour des raisons politiques, la fiancеe de son fr?re mort, il ne lui a point cachе qu’il aimait une autre femme, la princesse M…, qui devint plus tard l’еpouse du tr?s riche et tr?s cеl?bre M. D… Sa confidence, du reste, eut un еcho, car sa fiancеe ne lui dissimula point qu’elle avait aimе passionnеment son fr?re. Et cependant ils ont formе un mеnage mod?le, un mеnage surprenant de concorde et d’affection persеvеrante.

On a beaucoup parlе de la sympathie qu’il semblait еprouver pour tel peuple et de l’antipathie qu’on lui pr?tait contre tel autre. On a aussi fait circuler des lеgendes, des histoires de verre brisе, etc., qui sont de pure invention. Tout ce qu’on peut dire de lui, c’est qu’il est Russe, et rien que Russe. Il prеsente m?me un singulier exemple de l’influence du milieu, selon la thеorie de Darwin: c’est ? peine si dans ses veines coulent quelques gouttes de sang russe, et cependant il s’est identifiе avec ce peuple au point que tout en lui, le langage, les habitudes, l’allure, la physionomie m?me sont marquеs des signes distinctifs de la race. Partout, en le voyant, on nommerait sa patrie.

On a prеtendu qu’il dеtestait les Allemands. Mais on a confondu les Allemands d’Allemagne avec les Allemands de Russie: ce sont ces derniers qu’il n’aime point.

On a affirmе qu’il chеrissait la France avant toutes les nations. Le chauvinisme fran?ais a peut-?tre exagеrе. Voici la vеritе sur cette sympathie qu’on lui pr?te depuis longtemps:

Avant 1870, il avait montrе des sentiments tr?s libеraux; il paraissait l’alliе de c?ur des rеpublicans fran?ais. L?-dedans entrait surtout une rеpulsion manifeste pour l’empereur Napolеon, dont la duplicitе, les habitudes de ruse et d’intrigue blessaient tous ses instincts loyaux. Mais quand la Commune est arrivеe, une col?re indignеe lui vint contre tous les faiseurs de rеvolutions sanguinaires; et il rеpеta ? plusieurs reprises, avec une sorte de regret sur ses convictions еvanouies: «Voil? donc ? quoi ces choses aboutissent!»

C’est seulement depuis que la rеpublique commence ? devenir raisonnable qu’une nouvelle rеaction en faveur de la France semble s’?tre faite en lui.

En somme, la France et l’Allemagne tiennent peu de place dans son amour. Il n’est que Russe. Il n’aime et ne prot?ge que l’art russe, la musique russe, la littеrature russe, l’archеologie russe. Il a fondе ? Moscou un grand musеe national. Pour les m?mes raisons, il est fervent orthodoxe: sa piеtе est rеele et sinc?re.

En son pays, la plus grande part de son affection est pour le paysan; e’est sur le paysan que tomberont ses plus larges faveurs; c’est au paysan qu’il a pensе, au moment de rendre son premier ukase, le jour m?me de la mort de son p?re, en rappelant que pour la premi?re fois les hommes de la campagne, devenus libres, еtaient appelеs ? pr?ter serment.

Mais si ses bienfaits doivent aller aux paysans, ses rigueurs infailliblement atteindront, du haut en bas de l’еchelle, toute la bureaucratie russe, don’t il n’ignore pas la pourriture et les dеprеdations. Pendant le commandement qu’il exer?a, son honn?tetе, rеvoltеe, n’a pas pu se contenir devant les exactions dont il fut tеmoin, m?me dans sa propre famille. Il semble bien rеsolu ? y mettre fin; ce nettoyage de fonctionnaires vеreux est m?me dеj? commencе.

II

On se demande avec une juste inquiеtude quelle sera son attitude au dedans comme au dehors.

Pour l’intеrieur, on a dеj? parlе d’une constitution; des espoirs grandissent, se bercent; on affirme qu’il s’est, de tout temps, assignе, rеservе ce r?le de devenir souverain selon les idеes europеennes. Pour l’extеrieur, on suppose qu’il s’еloignera de plus en plus de l’Allemagne et qu’il reprendra la politique du panslavisme.

Ceux qui attendent du nouveau tzar une constitution parlementaire perdront vite leurs illusions, nous en sommes du moins persuadеs. Ses rapports presquer intimes avec le parti ultranational semblent indiquer, au contraire, une certaine dеfiance ? l’еgard des constitutionnels. Les idеes acceptеes en Europe sur les limites d’autoritе assignеes aux rois sont et resteront longtemps encore еtrang?res ? la Russie. Le pouvoir impеrial prеfеrera procеder par grandes rеformes octroyеes par ukase pour arriver peu ? peu ? amеliorer d’une fa?on sensible le sort de ses sujets, surtout celui des paysans.

Ces rеformes, d’ailleurs, sont toutes pr?tes, tout indiquеes, et depuis longtemps dеj? on les avait mises ? l’еtude. Alexandre II m?me avait еtе sur le point de les appliquer, quand le mouvement nihiliste, s’accentuant, avait arr?tе ses projets et ajournе indеfiniment ses intentions libеrates.

Voici quelles seraient ces mesures;

1° Diminution considеrable dans le payement du rachat des terres par les paysans.

On sait que ce rachat, dans les conditions o? il s’op?re, est pour les campagnes une ruine inеvitable.

2 °Changement radical du syst?me d’imp?ts;

3° Abolition de la capitation;

4° Facilitе d’еmigration d’une province dans une autre.

Cette mesure peut donner ? l’agriculture en Russie un essor considеrable. Certaines provinces, en effet, o? les habitants sont nombreux, demeurent improductives ? cause de la stеrilitе du sol. En d’autres contrеes, au contraire, la terre est fertile, mais les travailleurs manquent, et les excessives difficultеs qui entourent l’еmigration mena?aient de faire s’еterniser cet еtat de choses.

5° Grandes facilitеs pour les passeports.

Cette mesure rentre dans le m?me ordre de rеformes que la prеcеdente, un paysan ne pouvant se dеplacer, aller travailler dans une rеgion voisine sans ?tre astreint ? des formalitеs de passeport compliquеes et co?teuses.

6° Fondation de banques rurales.

Cette derni?re crеation est destinеe ? dеbarasser le pays d’un flеau rongeur, les petits usuriers, qui mangent le paysan et dеvastent les campagnes comme une armеe de sauterelles.

L’ensemble de ces rеformes am?nera infailliblement un soulagement considеrable pour le travailleur rural. Elles sent urgentes, absolument urgentes, et il est probable qu’elles s’exеcuteront avant la fin de l’annеe.

Il est probable еgalement que la scrupuleuse probitе du nouvel empereur le dеcidera presque immеdiatement ? faire aussi dans les finances des rеformes considеrables. Elles s’еtendront m?me, sans doute, au budget de l’armеe; et elles arr?teront les distributions scandaleuses des terres de la Couronne qui avaient lieu au moyen de ventes fictives et de mille autres procеdеs frauduleux.

Alexandre III s’efforcera, en outre, assurеment, de relever la situation du clergе, tout en donnant une plus grande libertе aux vieux croyants, qui sont, on le sait, tr?s nombreux.

Quant ? une constitution proprement dite, il serait assez surprenant qu’il l’accord?t. Toutes ses concessions ? ce point de vue se borneront sans doute ? laisser une plus grande latitude ? l’administration provinciale; il consentira nommеment ? faire participer le pays, les zemstvos, dans une certaine mesure, assez restreinte, ? l’administration des affaires.

Dans tous les cas, on ne peut pas prеvoir qu’il accorde plus qu’une simple convocation de dеputеs ayant seulement voix consultative sur un sujet dеterminе, objet unique de la rеunion. Ainsi une assemblеe de cette nature a еtе appelеe ? donner son avis sur la question d’еmancipation des serfs. Il en sera peut-?tre de m?me pour la rеpartition nouvelle de l’imp?t et toutes les questions de finances qui s’y rattachent. Mais le tzar, ma?tre absolu, ne se trouve engagе en rien par les conseils de ces dеlеguеs du pays, et il garde dans son intеgritе toute sa libertе d’action.

Quant ? toutes ces autres questions: libertе de la presse – accomplissement de la rеforme judiciaire – instruction populaire – suppression de l’exil administratif, de l’institution si dеcriеe des gendarmes ruraux, etc., il est difficile de prеsumer qu’il s’еcarte du syst?me d’ordonnances libеrales descendant du tr?ne. Il pourra accorder de larges faveurs, sans avoir jamais l’air de reconna?tre un droit. On ne peut m?me pas supposer que des assemblеes puissent ?tre appelеes ? dеlibеrer et ? donner leur avis sur ces sujets.

On s’occupe beaucoup des mesures prеventives qu’il pourra prendre contre les nihilistes et de la sеvеritе qu’il montrera ? leur еgard. Il est prеsumable que les circonstances seules dеtermineront sa conduite. Il ne voudra pas se venger, mais il saura prеvenir et punir.

III

A l’extеrieur, on peut affirmer que le tzar gardera une politique tout ? fait pacifique, presque recueillie, une allure de rеserve extr?me.

Il s’efforcera de conserver ses bonnes relations avec l’Allemagne, pour laquelle son attitude sera sensiblement la m?me que celle de son p?re. La France bеnеficiera sans doute d’une nuance de sympathie plus marquеe, tandis que, dans ses rapports avec l’Autriche, appara?tra vraisemblablement une apparence de dеfiance. Dans tous les cas c’en est fini, bien fini, de ce qu’on appelait la triple alliance. On ne la verra plus rena?tre. Les relations nouvelles de la Russie avec l’Angleterre prendront presque certainement un caract?re de cordialitе plus grande qui se manifestera surtout par la cessation des tentatives, de la marche en avant de la Russie vers l’Asie. Une considеration (toujours prеpondеrante) qui nous fait prеdire cette gracieusetе d’Alexandre III pour l’Angleterre, c’est l’amitiе tr?s vive, qui l’unit au prince de Galles.

On s’ingеnie d?s aujourd’hui ? prеvoir quelles influences pourront agir sur l’esprit du jeune souverain. Toutes les suppositions sont vaines. Son humeur indеpendante lui fera secouer toute pression, de quelque part qu’elle vienne. Il n’est qu’une personne peut-?tre dont les conseils seront toujours еcoutеs, sinon suivis: c’est M. Pobеdonostsef, fils d’un professeur d’universitе ? Moscou, homme fort instruit, ancien prеcepteur du tzarewitch et actuellement procureur gеnеral au Saint-Synode. Son caract?re est еlеvе, son еrudition tr?s large, mais sa piеtе exagеrеe en fait un orthodoxe presque fanatique.
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