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L'abîme

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Aujourd'hui l'horloge de l'Hospice des Enfants Trouvés marche de conserve avec celle de la Cathédrale. Le service est fini dans la chapelle et les Enfants Trouvés sont à dîner.

Il y a comme toujours beaucoup de monde à ce dîner; deux ou trois directeurs, des familles entières de paroissiens, et quelques curieux. Un doux soleil d'automne pénètre dans la salle. Ces grandes fenêtres, ces murailles sombres sur lesquelles les rayons vont se jouant, sont des choses qu'Hogarth aimait à reproduire dans ses tableaux.

Le réfectoire des filles (la division des filles comprend aussi celle des plus jeunes enfants) est le principal attrait de curiosité pour l'assistance. Des valets d'une propreté rare glissent autour des tables silencieuses. Les curieux vont et viennent à leur guise et font tout bas entre eux plus d'un commentaire sur la figure de ce numéro qui est là-bas près de la fenêtre. C'est que beaucoup de ces physionomies expansives ont un caractère qui mérite de fixer l'attention. Il y a parmi les assistants des visiteurs habituels qui connaissent les hôtes du lieu. On les voit s'arrêter à une place marquée, se pencher, et dire quelques mots à l'oreille de l'un des enfants. Ce n'est point médire que de remarquer en passant qu'ils s'adressent surtout à ceux qui ont un joli visage… Tout le monde circule, chuchote, s'anime, et la monotonie de ces longues salles moroses en est quelque peu rompue.

Une dame voilée, que personne n'accompagne, s'avance au milieu de la foule. On ne peut douter en la voyant qu'elle ne vienne à l'Hospice pour la première fois. Sans doute la curiosité ni l'occasion ne l'avaient jamais amenée dans ce triste séjour, et ce spectacle semble la troubler un peu. Elle fait le tour des tables, sa démarche est incertaine, et son attitude tremblante. Elle va, cherchant son chemin qu'elle ne veut pas demander, elle arrive au réfectoire des petits garçons. Pauvres petits, ils sont moins recherchés que les filles; point de visiteurs autour d'eux: les yeux humides de la dame voilée plongent dans la salle.

Justement, sur le seuil de la porte, se trouvait une employée d'un certain âge, respectable matrone, femme de charge, utile à tout. C'est à elle que la dame s'adresse.

– Vous avez beaucoup de petits garçons ici? – dit-elle. – À quel âge les fait-on entrer dans le monde?.. Se prennent-ils souvent de passion pour la mer? – Et puis d'une voix étouffée: – Savez-vous lequel est Walter Wilding?

La matrone sentit avec quelle ardeur brûlante les yeux de l'étrangère s'attachaient sur les siens, à travers le voile épais. Aussi baissa-t-elle la tête, n'osant la regarder à son tour.

– Je sais lequel est Walter Wilding, – dit-elle – Mais mon devoir m'interdit de faire connaître aux visiteurs le nom de nos enfants.

– Ne pouvez-vous seulement me le montrer sans rien me dire? – répliqua la dame voilée.

Sa main allait en même temps chercher celle de la femme et la serrait de toute sa force.

– Je vais passer autour des tables, – dit tout bas la matrone sans avoir l'air de s'adresser à la visiteuse. – Suivez-moi des yeux. Le petit garçon près duquel je m'arrêterai et à qui je parlerai tout à l'heure, ne sera pour vous qu'un étranger comme tous les autres; mais celui que je toucherai en passant sera Walter Wilding. Ne me dites plus rien et éloignez-vous.

La dame voilée obéit, avança de quelques pas dans la salle, les yeux fixés sur la matrone.

Celle-ci, d'un air officiel et grave, marche en dehors des tables en commençant par la gauche. Elle suit la ligne entière, tourne, et revient à l'intérieur des rangs et, jetant un regard furtif du côté de la dame voilée, s'arrête auprès d'un enfant, se baisse, et lui parle. L'enfant lève la tête et répond. Elle l'écoute d'un air naturel, en souriant, et pose en même temps sa main sur l'épaule du petit garçon assis à droite. Tandis qu'elle continue de causer avec l'autre, elle fait à celui-ci quelques caresses sans lui rien dire; puis elle achève sa tournée le long des tables sans toucher aucun autre enfant et sort de la salle.

Le dîner est fini, la dame voilée s'avance à son tour, par le chemin indiqué, en dehors des tables, en commençant par la gauche. Elle suit la longue rangée extérieure, tourne, et revient sur ses pas. Par bonheur pour elle, d'autres personnes viennent d'entrer par hasard et sans but. Elle ne se voit plus seule dans la salle; et, moins alarmée, elle relève son voile et, s'arrêtant devant le petit garçon que la matrone a touché: – Quel âge avez-vous? – dit-elle.

– Douze ans, madame, – répond l'enfant étonné, en levant ses beaux grands yeux vers elle.

– Êtes-vous heureux et content?

– Oui, madame.

– Pouvez-vous accepter ces bonbons?

– S'il vous plaît de me les donner.

Elle se penche pour les lui remettre et touche de son front et de ses cheveux la figure de l'enfant. Alors, baissant de nouveau son voile, elle passe.

Elle passe bien vite et s'enfuit sans regarder en arrière.

PREMIER ACTE

Le rideau se lève

Au fond d'une cour de la Cité de Londres, dans une petite rue escarpée, tortueuse, et glissante, qui réunissait Tower Street à la rive de la Tamise, se trouvait la maison de commerce de Wilding et Co., marchands de vins. L'extrémité de la rue par laquelle on aboutissait à la rivière (si toutefois on avait le sens olfactif assez endurci contre les mauvaises odeurs pour tenter une telle aventure) avait reçu le nom d'Escalier du Casse Cou. La cour elle-même n'était pas communément désignée d'une façon moins pittoresque et moins comique: on l'appelait le Carrefour des Écloppés[1 - Sic.].

Bien des années auparavant, on avait renoncé à s'embarquer au pied de l'Escalier du Casse Cou et les mariniers avaient cessé d'y travailler. La petite berge vaseuse avait fini par se confondre avec la rivière; deux ou trois tronçons de pilotis, un anneau, et une amarre en fier rouillé, voilà tout ce qui restait de la splendeur du Casse Cou. Il arrivait pourtant encore de temps à autre qu'une barque chargée de houille vint y aborder violemment. Quelques vigoureux chargeurs surgissaient alors de la vase, déchargeaient le bateau, transportaient le charbon dans le voisinage; et puis on ne les voyait plus. D'ordinaire le seul mouvement commercial de l'Escalier du Casse Cou, c'était le transport des tonneaux pleins et des bouteilles vides remplissant et désemplissant les caves, entrant et sortant à grand bruit, chez Wilding et Co., marchands de vins. Encore ce mouvement n'était-il pas de tous les goûts, et pendant trois marées sur quatre, la sale eau grise de la rivière venait solitairement battre de son écume et de sa vase l'amarre et l'anneau rouillé. On eût dit que Madame la Tamise, ayant entendu parler du Doge et de l'Adriatique, voulait, elle aussi, s'unir, au moyen de cet anneau, à son Doge, le Très Honorable Lord Maire, le grand conservateur de sa corruption et de ses souillures.

Vers la droite, à quelque deux cents mètres sur le monticule opposé, (touchant au bas de l'Escalier fantastique), on trouvait le Carrefour des Écloppés. Il appartenait tout entier à Wilding et Co., ce coin sordide. Leurs caves étaient creusées par-dessous, leur maison s'élevait par-dessus. Cette maison avait été réellement une habitation autrefois; on voyait encore au-dessus de sa porte un antique auvent sans support, ce qui était naguère l'ornement obligé de toute demeure habitée par un bourgeois de Londres. Une longue rangée de petites fenêtres étroites perçait cette morne façade de briques et la rendait symétriquement disgracieuse; au-dessus de tout on avait perché certaine coupole, où se balançait une cloche.

– Monsieur Bintrey, – dit Walter Wilding, – pensez-vous qu'un homme de vingt-cinq ans qui peut se dire en mettant son chapeau: ce chapeau couvre la tête du propriétaire de cette propriété et le maître des affaires qui se font dans la maison, pensez-vous que cet homme, sans être orgueilleux, n'ait point le droit de se déclarer satisfait de lui-même; le pensez-vous?

Ainsi s'exprimait Walter Wilding dans son propre bureau, s'adressant à son homme de loi, et tout de suite, pour joindre l'action à la parole, il prit son chapeau, s'en coiffa, et remit ensuite ce meuble où il l'avait pris. Il fit tout cela sans outrepasser les bornes de la modestie qui lui était naturelle, car il était né modeste.

C'était un homme à l'air simple et franc, le plus naïf des hommes, que Walter Wilding, avec son teint blanc et rose et son heureuse corpulence, étonnante chez un garçon de vingt-cinq ans. Ses cheveux bruns frisaient avec grâce, ses beaux yeux bleus avaient un attrait extraordinaire. Le plus communicatif des hommes aussi bien que le plus candide, jamais il ne trouvait assez de paroles pour épancher sa gratitude et sa joie quand il croyait avoir quelque motif d'être reconnaissant ou joyeux.

Bintrey, au contraire, était un prudent compagnon, la réserve même. Ses yeux pouvaient être comparés à deux petits globules clignotants qui sortaient de deux grosses paupières au milieu d'une grosse tête chauve. En ce moment, Wilding le réjouissait fort, il trouvait que le franc langage du jeune homme et la simplicité de son cœur étaient deux choses bien comiques.

– Oui, – dit-il, – je pense que vous avez le droit d'être satisfait… Oui, vraiment… Ah! ah!

Il y avait sur le bureau, des biscuits, une carafe, et deux verres.

– Aimez-vous le vieux Porto de quarante-cinq ans? – dit Wilding.

– Si je l'aime? – répéta Bintrey, – mais vous m'en avez fait assez boire…

– C'est du meilleur coin de notre meilleure cave, – s'écria Wilding.

– Eh! oui. Je vous remercie, monsieur… excellent vin!

Puis il se mit à rire de nouveau tout en élevant son verre et lui faisant les doux yeux. Il lui paraissait aussi bien plaisant qu'on pût se séparer sans regret d'un pareil vin et surtout le faire boire gratis à personne.

– Maintenant, – reprit Wilding, qui apportait jusque dans la discussion des affaires une gaieté d'enfant, – je crois que nous avons tout arrangé, Monsieur Bintrey, et le mieux du monde.

– Le mieux du monde, – reprit Bintrey.

– Nous nous sommes assuré un associé.

– Oui, nous nous sommes assuré un associé!.. Oui, vraiment!

– Nous demandons dans les journaux une femme de charge.

– Une femme de charge… nous la demandons dans les journaux. «S'adresser au Carrefour des Écloppés, Great Tower Street, de dix heures à midi.» Voilà l'annonce.

– Les affaires de feu ma pauvre mère sont réglées, – dit Walter.

– Réglées, – fit l'écho.

– Et tous les frais payés.

– Payés, – dit Bintrey avec son gros rire.

Et pourquoi Bintrey riait-il? C'est qu'il pensait qu'il y avait vraiment au monde des gens assez simples, pour payer des frais sans discuter.

– Feu ma pauvre chère mère, – continua Wilding, – c'est un plaisir pour moi que de parler d'elle… mais c'est un plaisir qui m'accable… vous savez combien je l'aimais et combien je lui étais cher. Certes nous avions l'un pour l'autre le plus grand amour qui puisse exister entre une mère et son fils; et, depuis le jour où elle m'avait pris sous sa garde, jamais nous n'avons connu un moment de discussion ou d'humeur. C'est un bonheur qui n'a duré que treize ans; n'est-ce pas bien court? Je n'ai vécu que treize ans auprès de ma chère mère et ce n'était que depuis huit ans qu'elle m'avait reconnu confidentiellement pour son fils. Vous connaissez cette triste histoire, Monsieur Bintrey. Qui la connaîtrait, si ce n'était vous?

Wilding se prit à sangloter.
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