– Eh bien! oui, s'écria-t-elle, je me risque; voyons, dites comment finira Jeanne de Vaubernier, comtesse du Barry.
– Sur l'échafaud, madame, répondit le funèbre prophète.
– Plaisanterie! n'est-ce pas, monsieur? balbutia la comtesse avec un regard suppliant.
Mais on avait poussé à bout Cagliostro, et il ne vit pas ce regard.
– Et pourquoi plaisanterie? demanda-t-il.
– Mais parce que, pour monter sur l'échafaud, il faut avoir tué, assassiné, commis un crime enfin, et que, selon toute probabilité, je ne commettrai jamais de crime. Plaisanterie, n'est-ce pas?
– Eh! mon Dieu, oui, dit Cagliostro, plaisanterie comme tout ce que j'ai prédit.
La comtesse partit d'un éclat de rire qu'un habile observateur eût trouvé un peu trop strident pour être naturel.
– Allons, monsieur de Favras, dit-elle, voyons, commandons nos voitures de deuil.
– Oh! ce serait bien inutile pour vous, comtesse, dit Cagliostro.
– Et pourquoi cela, monsieur?
– Parce que vous irez à l'échafaud dans une charrette.
– Fi! l'horreur! s'écria Mme du Barry. Oh! le vilain homme! Maréchal, une autre fois choisissez des convives d'une autre humeur, ou je ne reviens pas chez vous.
– Excusez-moi, madame, dit Cagliostro, mais vous comme les autres vous l'avez voulu.
– Moi comme les autres; au moins vous m'accorderez bien le temps, n'est ce pas, de choisir mon confesseur?
– Ce serait peine superflue, comtesse, dit Cagliostro.
– Comment cela?
– Le dernier qui montera à l'échafaud avec un confesseur, ce sera…
– Ce sera? demanda toute l'assemblée.
– Ce sera le roi de France.
Et Cagliostro dit ces derniers mots d'une voix sourde et tellement lugubre, qu'elle passa comme un souffle de mort sur les assistants, et les glaça jusqu'au fond du cœur.
Alors, il se fit un silence de quelques minutes.
Pendant ce silence, Cagliostro approcha de ses lèvres le verre d'eau dans lequel il avait lu toutes ces sanglantes prophéties; mais à peine eut-il touché à sa bouche qu'avec un dégoût invincible il le repoussa comme il eût fait d'un amer calice.
Tandis qu'il accomplissait ce mouvement, les yeux de Cagliostro se portèrent sur Taverney.
– Oh! s'écria celui-ci, qui crut qu'il allait parler, ne me dites pas ce que je deviendrai; je ne vous le demande pas, moi.
– Eh bien! moi je le demande à sa place, dit Richelieu.
– Vous, monsieur le maréchal, dit Cagliostro, rassurez-vous, car vous êtes le seul de nous tous qui mourrez dans votre lit.
– Le café, messieurs! dit le vieux maréchal, enchanté de la prédiction. Le café!
Chacun se leva.
Mais, avant de passer au salon, le comte de Haga, s'approchant de Cagliostro:
– Monsieur, dit-il, je ne songe pas à fuir le destin, mais dites-moi de quoi il faut que je me défie?
– D'un manchon, sire, répondit Cagliostro.
M. de Haga s'éloigna.
– Et moi? demanda Condorcet.
– D'une omelette.
– Bon, je renonce aux œufs.
Et il rejoignit le comte.
– Et moi, dit Favras, qu'ai-je à craindre?
– Une lettre.
– Bon, merci.
– Et moi? demanda de Launay.
– La prise de la Bastille.
– Oh! me voilà tranquille.
Et il s'éloigna en riant.
– À mon tour, monsieur, fit la comtesse toute troublée.
– Vous, belle comtesse, défiez-vous de la place Louis XV!
– Hélas! répondit la comtesse, déjà un jour je m'y suis égarée; j'ai bien souffert. Ce jour-là, j'avais perdu la tête.
– Eh bien! cette fois encore, vous la perdrez, comtesse, mais vous ne la retrouverez pas.
Mme du Barry poussa un cri et s'enfuit au salon près des autres convives.
Cagliostro allait y suivre ses compagnons.