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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut

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Il me demanda ensuite pourquoi je n’avais pas encore pensе ? donner de mes nouvelles ? ma famille, puisqu’elle n’avait point eu de part ? ma captivitе. Je satisfis ? cette objection par quelques raisons prises de la douleur que j’avais apprеhendе de causer ? mon p?re et de la honte que j’en aurais ressentie moi-m?me. Enfin il me promit d’aller de ce pas chez le lieutenant gеnеral de police : « Ne f?t-ce, ajouta-t-il, que pour prеvenir quelque chose de pis de la part de M. de G*** M***, qui est sorti de cette maison fort mal satisfait, et qui est assez considеrе pour se faire redouter. »

J’attendis le retour du p?re avec toutes les agitations d’un malheureux qui touche au moment de sa sentence. Il ne tarda point ? revenir. Je ne vis pas sur son visage les marques de joie qui accompagnent une bonne nouvelle. « J’ai parlе, me dit-il, ? monsieur le lieutenant gеnеral de police, mais je lui ai parlе trop tard. Monsieur de G*** M*** l’est allе voir en sortant d’ici, et l’a si fort prеvenu contre vous, qu’il еtait sur le point de m’envoyer de nouveaux ordres pour vous resserrer davantage.

Cependant, lorsque je lui ai appris le fond de vos affaires, il a paru s’adoucir beaucoup ; et, riant un peu de l’incontinence du vieux monsieur de G*** M***, il m’a dit qu’il fallait vous laisser ici six mois pour le satisfaire : d’autant mieux, a-t-il dit, que cette demeure ne saurait vous ?tre inutile. Il m’a recommandе de vous traiter honn?tement, et je vous rеponds que vous ne vous plaindrez point de mes mani?res. »

Cette explication du bon supеrieur fut assez longue pour me donner le temps de faire une sage rеflexion. Je con?us que je m’exposerais ? renverser mes desseins, si je lui marquais trop d’empressement, pour ma libertе. Je lui tеmoignai, au contraire, que, dans la nеcessitе de demeurer, c’еtait une douce consolation pour moi d’avoir quelque part ? son estime. Je le priai ensuite, sans affectation, de m’accorder une gr?ce qui n’еtait de nulle importance pour personne, et qui servirait beaucoup ? ma tranquillitе : c’еtait de faire avertir un de mes amis, un saint ecclеsiastique qui demeurait ? Saint-Sulpice, que j’еtais ? Saint-Lazare, et de permettre que je re?usse quelquefois sa visite. Cette faveur me fut accordеe sans dеlibеrer.

C’еtait mon ami Tiberge dont il еtait question, non que j’espеrasse de lui des secours nеcessaires pour ma libertе, mais je voulais l’y faire servir comme un instrument еloignе, sans qu’il en e?t m?me connaissance. En un mot, voici mon projet : je voulais еcrire ? Lescaut, et le charger, lui et nos amis communs, du soin de me dеlivrer. La premi?re difficultе еtait de lui faire tenir ma lettre ; ce devait ?tre l’office de Tiberge. Cependant, comme il le connaissait pour le fr?re de ma ma?tresse, je craignais qu’il n’e?t peine ? se charger de cette commission. Mon dessein еtait de renfermer ma lettre ? Lescaut dans une autre lettre que je devais adressera un honn?te homme de ma connaissance, en le priant de rendre promptement la premi?re ? son adresse ; et comme il еtait nеcessaire que je visse Lescaut pour nous accorder dans nos mesures, je voulais lui marquer de venir ? Saint-Lazare, et de demander ? me voir sous le nom de mon fr?re a?nе, qui еtait venu expr?s ? Paris pour prendre connaissance de mes affaires. Je remettais ? convenir avec lui des moyens qui nous para?traient les plus expеditifs et les plus s?rs. Le p?re supеrieur fit avertir Tiberge du dеsir que j’avais de l’entretenir. Ce fid?le ami ne m’avait pas tellement perdu de vue qu’il ignor?t mon aventure ; il savait que j’еtais ? Saint-Lazare, et peut-?tre n’avait-il pas еtе f?chе de cette disgr?ce, qu’il croyait capable de me ramener au devoir. Il accourut aussit?t ? ma chambre.

Notre entretien fut plein d’amitiе. Il voulut ?tre informе de mes dispositions. Je lui ouvris mon cCur sans rеserve, exceptе sur le dessein de ma fuite. « Ce n’est pas ? vos yeux, cher ami, lui-dis-je, que je veux para?tre ce que je ne suis point. Si vous avez cru trouver ici un ami sage et rеglе dans ses dеsirs, un libertin rеveillе par les ch?timents du ciel, en un mot, un cCur dеgagе de l’amour et revenu des charmes de Manon, vous avez jugе trop favorablement de moi. Vous me revoyez tel que vous me laiss?tes il y a quatre mois, toujours tendre et toujours malheureux par cette fatale tendresse dans laquelle je ne me lasse point de chercher mon bonheur. »

Cette conversation servit du moins ? renouveler la pitiе de mon ami. Il comprit qu’il y avait plus de faiblesse que de malignitе dans mes dеsordres. Son amitiе en fut plus disposеe, dans la suite, ? me donner des secours, sans lesquels j’aurais pеri infailliblement de mis?re. Cependant, je ne lui fis pas la moindre ouverture du dessein que j’avais de m’еchapper de Saint-Lazare. Je le priai seulement de se charger de ma lettre. Je l’avais prеparеe, avant qu’il f?t venu, et je ne manquai point de prеtextes pour colorer la nеcessitе o? j’еtais d’еcrire. Il eut la fidеlitе de la porter exactement, et Lescaut re?ut, avant la fin du jour, celle qui еtait pour lui.

Il vint me voir le lendemain, et il passa heureusement sous le nom de mon fr?re. Ma joie fut extr?me en l’apercevant dans ma chambre. J’en fermai la porte avec soin. « Ne perdons pas un seul moment, lui dis-je ; apprenez-moi d’abord des nouvelles de Manon, et donnez-moi ensuite un bon conseil pour rompre mes fers. » Il m’assura qu’il n’avait pas vu sa sCur depuis le jour qui avait prеcеdе mon emprisonnement ; qu’il n’avait appris son sort et le mien qu’? force d’informations et de soins ; que s’еtant prеsentе deux ou trois fois ? l’h?pital, on lui avait refusе la libertе de lui parler. « Malheureux G*** M***, m’еcriai-je, que tu me le payeras cher !

« Pour ce qui regarde votre dеlivrance, continua Lescaut, c’est une entreprise moins facile que vous ne pensez. Nous pass?mes hier la soirеe, deux de mes amis et moi, ? observer toutes les parties extеrieures de cette maison, et nous juge?mes que, vos fen?tres donnant sur une cour entourеe de b?timents, comme vous nous l’aviez marquе, il y aurait bien de la difficultе ? vous tirer de l?. Vous ?tes d’ailleurs au troisi?me еtage, et nous ne pouvons introduire ici ni cordes ni еchelles. Je ne vois donc nulle ressource du c?tе du dehors. C’est dans la maison m?me qu’il faudrait imaginer quelque artifice. »

« Non, repris-je ; j’ai tout examinе, surtout depuis que ma cl?ture est un peu moins rigoureuse par l’indulgence du supеrieur. La porte de ma chambre ne se ferme plus avec la clef ; j’ai la libertе de me promener dans les galeries des religieux ; mais tous les escaliers sont bouchеs par des portes еpaisses, qu’on a soin de tenir fermеes la nuit et le jour, de sorte qu’il est impossible que la seule adresse puisse me sauver. »

« Attendez, repris-je apr?s avoir un peu rеflеchi sur une idеe qui me parut excellente, pourriez-vous m’apporter un pistolet ? – Aisеment, me dit Lescaut ; mais voulez-vous tuer quelqu’un ? » Je l’assurai que j’avais si peu dessein de tuer, qu’il n’еtait pas m?me nеcessaire que le pistolet f?t chargе. « Apportez-le-moi demain, ajoutai-je, et ne manquez pas de vous trouver le soir, ? onze heures, vis-?-vis la porte de cette maison, avec deux ou trois de nos amis: j’esp?re que je pourrai vous y rejoindre. » Il me pressa en vain de lui en apprendre davantage.

Je lui dis qu’une entreprise telle que je la mеditais ne pouvait para?tre raisonnable qu’apr?s avoir rеussi. Je le priai d’abrеger sa visite, afin qu’il trouv?t plus de facilitе ? me revoir le lendemain. Il fut admis avec aussi peu de peine que la premi?re fois. Son air еtait grave, il n’y a personne qui ne l’e?t pris pour un homme d’honneur.

Lorsque je me trouvai muni de l’instrument de ma libertе, je ne doutai presque plus du succ?s de mon projet. Il еtait bizarre et hardi ; mais de quoi n’еtais-je pas capable avec les motifs qui m’animaient ? J’avais remarquе, depuis qu’il m’еtait permis de sortir de ma chambre et de me promener dans les galeries, que le portier apportait chaque soir les clefs de toutes les portes au supеrieur, et qu’il rеgnait ensuite un profond silence dans la maison, qui marquait que tout le monde еtait retirе. Je pouvais aller sans obstacle, par une galerie de communication, de ma chambre ? celle de ce p?re. Ma rеsolution еtait de lui prendre ses clefs, en l’еpouvantant avec mon pistolet s’il faisait difficultе de me les donner, et de m’en servir pour gagner la rue. J’en attendis le temps avec impatience. Le portier vint ? l’heure ordinaire, c’est-?-dire un peu apr?s neuf heures. J’en laissai passer encore une, pour m’assurer que tous les religieux et les domestiques еtaient endormis. Je partis enfin, avec mon arme et une chandelle allumеe. Je frappai d’abord doucement ? la porte du p?re, pour l’еveiller sans bruit. Il m’entendit au second coup ; et, s’imaginant sans doute que c’еtait quelque religieux qui se trouvait mal et qui avait besoin de secours, il se leva pour m’ouvrir. Il eut nеanmoins la prеcaution de demander au travers de la porte qui c’еtait et ce qu’on voulait de lui. Je fus obligе de me nommer ; mais j’affectai un ton plaintif, pour lui faire comprendre que je ne me trouvais pas bien. « Ha ! c’est vous, mon cher fils ? me dit-il en ouvrant la porte ; qu’est-ce donc qui vous am?ne si tard ? » J’entrai dans sa chambre ; et l’ayant tirе ? l’autre bout opposе ? la porte, je lui dеclarai qu’il m’еtait impossible de demeurer plus longtemps ? Saint-Lazare ; que la nuit еtait un temps commode pour sortir sans ?tre aper?u, et que j’attendais de son amitiе qu’il consentirait ? m’ouvrir les portes ou ? me pr?ter ses clefs pour les ouvrir moi-m?me.

Ce compliment devait le surprendre. Il demeura quelque temps ? me considеrer sans me rеpondre. Comme je n’en avais pas ? perdre, je repris la parole pour lui dire que j’еtais fort touchе de toutes ses bontеs, mais que la libertе еtant le plus cher de tous les biens, surtout pour moi ? qui on la ravissait si injustement, j’еtais rеsolu de me la procurer cette nuit m?me, ? quelque prix que ce f?t ; et, de peur qu’il ne lui pr?t envie d’еlever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honn?te raison de silence, que je tenais sous mon just-au-corps. « Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous voulez m’?ter la vie pour reconna?tre la considеration que j’ai eue pour vous ? – Dieu ne plaise ! lui rеpondis-je. Vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nеcessitе ; mais je veux ?tre libre, et j’y suis si rеsolu, que si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous absolument. – Mais, mon cher fils, reprit-il d’un air p?le et effrayе, que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ? – Eh, non ! rеpliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer : si vous voulez vivre, ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis. » J’aper?us les clеs qui еtaient sur la table ; je les pris, et je le priai de me suivre en faisant le moins de bruit qu’il pourrait.

Il fut obligе de s’y rеsoudre. A mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il me rеpеtait avec un soupir : « Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait jamais cru ? – Point de bruit, mon p?re, » rеpеtais-je de mon c?tе ? tout moment. Enfin nous arriv?mes ? une esp?ce de barri?re qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais dеj? libre, et j’еtais derri?re le p?re, tenant ma chandelle d’une main et mon pistolet de l’autre.

Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir, un domestique qui couchait dans une petite chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se l?ve et met la t?te ? sa porte. Le bon p?re le crut apparemment capable de m’arr?ter. Il lui ordonna avec beaucoup d’imprudence de venir ? son secours. C’еtait un puissant coquin, qui s’еlan?a sur moi sans balancer. Je ne le marchandai point, je lui l?chai le coup au milieu de la poitrine. « Voil? de quoi vous ?tes cause, mon p?re, dis-je assez fi?rement ? mon guide. Mais que cela ne vous emp?che point d’achever, » ajoutai-je en le poussant vers la derni?re porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis heureusement, et je trouvai ? quatre pas Lescaut qui m’attendait avec deux amis, suivant sa promesse.

Nous nous еloign?mes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer un pistolet. « C’est votre faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargе ? » Cependant je le remerciai d’avoir eu cette prеcaution, sans laquelle j’еtais sans doute ? Saint-Lazare pour longtemps. Nous all?mes passer la nuit chez un traiteur, o? je me remis un peu de la mauvaise ch?re que j’avais faite depuis pr?s de trois mois. Je ne pus nеanmoins m’y livrer au plaisir ; je souffrais mortellement sans Manon. « Il faut la dеlivrer, disais-je ? mes amis. Je n’ai souhaitе la libertе que dans cette vue. Je vous demande le secours de votre adresse: pour moi, j’y emploierai jusqu’? ma vie. »

Lescaut, qui ne manquait pas d’esprit et de prudence, me reprеsenta qu’il fallait aller bride en main ; que mon еvasion de Saint-Lazare et le malheur qui m’еtait arrivе en sortant causeraient infailliblement du bruit ; que le lieutenant gеnеral de police me ferait chercher, et qu’il avait le bras longs ; enfin que si je ne voulais pas ?tre exposе ? quelque chose de pis que Saint-Lazare, il еtait ? propos de me tenir couvert et renfermе pendant quelques jours, pour laisser au premier feu de mes ennemis le temps de s’еteindre. Son conseil еtait sage ; mais il aurait fallu l’?tre aussi pour le suivrе. Tant de lenteur et de mеnagements ne s’accordaient pas avec ma passion. Toute ma complaisance se rеduisit ? lui promettre que je passerais le jour suivant ? dormir. Il m’enferma dans sa chambre, o? je demeurai jusqu’au soir.

J’employai une partie de ce temps ? former des projets et des expеdients pour secourir Manon. J’еtais bien persuadе que sa prison еtait encore plus impеnеtrable que n’avait еtе la mienne. Il n’еtait pas question de force et de violence, il fallait de l’artifice ; mais la dеesse m?me de l’invention n’aurait pas su par o? commencer. J’y vis si peu de jour, que je remis ? considеrer mieux les choses lorsque j’aurais pris quelques informations sur l’arrangement intеrieur de l’h?pital.

Aussit?t que la nuit m’e?t rendu la libertе, je priai Lescaut de m’accompagner. Nous li?mes conversation avec un des portiers, qui nous parut homme de bon sens. Je feignis d’?tre un еtranger qui avait entendu parler avec admiration de l’H?pital Gеnеral et de l’ordre qui s’y observe. Je l’interrogeai sur les plus minces dеtails, et de circonstance en circonstance nous tomb?mes sur les administrateurs, dont je le priai de m’apprendre les noms et les qualitеs. Les rеponses qu’il me fit sur ce dernier article me firent na?tre une pensеe dont je m’applaudis aussit?t, et que je ne tardai point ? mettre en Cuvre. Je lui demandai, comme une chose essentielle ? mon dessein, si ces messieurs avait des enfants. Il me dit qu’il ne pouvait pas m’en rendre un compte certain, mais que pour monsieur de T***, qui еtait un des principaux, il lui connaissait un fils en ?ge d’?tre mariе, qui еtait venu plusieurs fois ? l’h?pital avec son p?re. Cette assurance me suffisait.

Je rompis presque aussit?t notre entretien, et je fis part ? Lescaut, en retournant chez lui, du dessein que j’avais con?u. « Je m’imagine, lui dis-je, que monsieur de T*** le fils, qui est riche et de bonne famille, est dans un certain go?t de plaisirs, comme la plupart des jeunes gens de son ?ge. Il ne saurait ?tre ennemi des femmes, ni ridicule au point de refuser ses services pour une affaire d’amour. J’ai formе le dessein de l’intеresser ? la libertе de Manon. S’il est honn?te homme et qu’il ait des sentiments, il nous accordera son secours par gеnеrositе. S’il n’est point capable d’?tre conduit par ce motif, il fera du moins quelque chose pour une fille aimable, ne f?t-ce que par l’espеrance d’avoir part ? ses faveurs. Je ne veux pas diffеrer de le voir, ajoutai-je, plus longtemps que jusqu’? demain. Je me sens si consolе par ce projet, que j’en tire un bon augure. »

Lescaut convint lui-m?me qu’il y avait de la vraisemblance dans mes idеes, et que nous pouvions espеrer quelque chose par cette voie. J’en passai la nuit moins tristement.

Le matin еtant venu, je m’habillai le plus proprement qu’il me fut possible dans l’еtat d’indigence o? j’еtais et je me fis conduire dans un fiacre ? la maison de monsieur de T***. Il fut surpris de recevoir la visite d’un inconnu. J’augurai bien de sa physionomie et de ses civilitеs. Je m’expliquai naturellement avec lui ; et, pour еchauffer ses sentiments naturels, je lui parlai de ma passion et du mеrite de ma ma?tresse comme de deux choses qui ne pouvaient ?tre еgalеes que l’une par l’autre. Il me dit que quoiqu’il n’e?t jamais vu Manon, il avait entendu parler d’elle, du moins s’il s’agissait de celle qui avait еtе la ma?tresse du vieux G*** M***. Je ne doutai point qu’il ne f?t informе de la part que j’avais eue ? cette aventure ; et, pour le gagner de plus en plus en me faisant un mеrite de ma confiance, je lui racontai le dеtail de tout ce qui еtait arrivе ? Manon et ? moi. « Vous voyez, monsieur, continuai-je, que l’intеr?t de ma vie et celui de mon cCur sont entre vos mains. L’un ne m’est pas plus cher que l’autre. Je n’ai point de rеserve avec vous, parce que je suis informе de votre gеnеrositе, et que la ressemblance de nos ?ges me fait espеrer qu’il s’en trouvera quelqu’une dans nos inclinations. »

Il parut fort sensible ? cette marque d’ouverture et de candeur. Sa rеponse fut celle d’un homme qui a du monde et des sentiments ; ce que le monde ne donne pas toujours, et qu’il fait perdre souvent. Il me dit qu’il mettait ma visite au rang de ses bonnes fortunes, qu’il regarderait mon amitiе comme une de ses plus heureuses acquisitions, et qu’il s’efforcerait de la mеriter par l’ardeur de ses services.

Nous ne nous sеpar?mes qu’apr?s ?tre convenus du temps et du lieu o? nous devions nous retrouver. Il eut la complaisance de ne pas me remettre plus loin que l’apr?s-midi du m?me jour.

Je l’attendis dans un cafе, o? il vint me rejoindre vers les quatre heures, et nous pr?mes ensemble le chemin de l’h?pital.

Monsieur de T*** parla ? quelques concierges de la maison, qui s’empress?rent de lui offrir tout ce qui dеpendait d’eux pour sa satisfaction. Il se fit montrer le quartier o? Manon avait sa chambre, et l’on nous y conduisit avec une clef d’une grandeur effroyable qui servit ? ouvrir sa porte. Je demandai au valet qui nous menait, et qui еtait celui qu’on avait chargе du soin de la servir, de quelle mani?re elle avait passе le temps dans cette demeure. Il nous dit que c’еtait une douceur angеlique ; qu’il n’avait jamais re?u d’elle un mot de duretе ; qu’elle avait versе continuellement des larmes pendant les six premi?res semaines apr?s son arrivеe ; mais que depuis quelque temps elle paraissait prendre son malheur avec plus de patience, et qu’elle еtait occupеe ? coudre du matin jusqu’au soir, ? la rеserve de quelques heures qu’elle employait ? la lecture. Je lui demandai encore si elle avait еtе entretenue proprement. Il m’assura que le nеcessaire du moins ne lui avait jamais manquе.

Nous approch?mes de sa porte. Mon cCur battait violemment. Je dis ? monsieur de T*** ; « Entrez seul et prеvenez-la sur ma visite, car j’apprеhende qu’elle ne soit trop saisie en me voyant tout d’un coup. » La porte nous fut ouverte. Je demeurai dans la galerie. J’entendis nеanmoins leurs discours. Il lui dit qu’il venait lui apporter un peu de consolation ; qu’il еtait de mes amis, et qu’il prenait beaucoup d’intеr?t ? notre bonheur. Elle lui demanda avec le plus vif empressement si elle apprendrait de lui ce que j’еtais devenu. Il lui promit de m’amener ? ses pieds, aussi tendre, aussi fid?le qu’elle pouvait le dеsirer. « Quand ? reprit-elle. – Aujourd’hui m?me, lui dit-il : ce bienheureux moment ne tardera point ; il va para?tre ? l’instant si vous le souhaitez. » Elle compr?t que j’еtais ? la porte. J’entrai lorsqu’elle y accourait avec prеcipitation. Nous nous embrass?mes avec cette effusion de tendresse qu’une absence de trois mois fait trouver si charmante ? de parfaits amants. Nos soupirs, nos exclamations interrompues, mille noms d’amour rеpеtеs languissamment de part et d’autre, form?rent pendant un quart d’heure une sc?ne qui attendrissait monsieur de T***. « Je vous porte envie, me dit-il en nous faisant asseoir ; il n’y a point de sort glorieux auquel je ne prеfеrasse une ma?tresse si belle et si passionnеe. – Aussi mеpriserais-je tous les empires du monde, lui rеpondis-je, pour m’assurer le bonheur d’?tre aimе d’elle. »

Tout le reste d’une conversation si dеsirеe ne pouvait manquer d’?tre infiniment tendre. La pauvre Manon me raconta ses aventures, et je lui appris les miennes. Nous pleur?mes am?rement en nous entretenant de l’еtat o? elle еtait, et de celui d’o? je ne faisais que de sortir. Monsieur de T*** nous consola par de nouvelles promesses de s’employer ardemment pour finir nos mis?res. Il nous conseilla de ne pas rendre cette premi?re entrevue trop longue, pour lui donner plus de facilitе ? nous en procurer d’autres. Il eut beaucoup de peine ? nous faire go?ter ce conseil. Manon surtout ne pouvait se rеsoudre ? me laisser partir. Elle me fit remettre cent fois sur ma chaise. Elle me retenait par les habits et par les mains. « Hеlas ! dans quel lieu me laissez vous ! disait-elle. Qui peut m’assurer de vous revoir ? Monsieur de T*** lui promit de la venir voir souvent avec moi. « Pour le lieu, ajouta-t-il agrеablement, il ne faut plus l’appeler l’h?pital ; c’est Versailles depuis qu’une personne qui mеritе l’empire de tous les cCurs y est renfermеe. »

Je fis en sortant quelques libеralitеs au valet qui la servait, pour l’engager ? lui rendre ses soins avec z?le. Ce gar?on avait l’?me moins basse et moins dure que ses pareils. Il avait еtе tеmoin de notre entrevue. Ce tendre spectacle l’avait touchе. Un louis d’or dont je lui fis prеsent acheva de me l’attacher. Il me prit ? l’еcart en descendant dans les cours : « Monsieur, me dit-il, si vous me voulez prendre ? votre service ou me donner une honn?te rеcompense pour me dеdommager de la perte de l’emploi que j’occupe ici, je crois qu’il me sera facile de dеlivrеr mademoiselle Manon. »

Je voulus savoir quels moyens il avait dessein d’employer. « Nul autre, me dit-il, que de lui ouvrir le soir la porte de sa chambre et de vous la conduire jusqu’? celle de la rue, o? il faudra que vous soyez pr?t ? la recevoir. « Je lui demandai s’il n’еtait point ? craindre qu’elle ne f?t reconnue en traversant les galeries et les cours. Il confessa qu’il y avait quelque danger ; mais il me dit qu’il fallait bien risquer quelque chose.

Nous conv?nmes donc avec le valet de ne pas remettre son entreprise plus loin qu’au jour suivant ; et, pour la rendre aussi certaine qu’il еtait en notre pouvoir, nous rеsol?mes d’apporter des habits d’homme, dans la vue de faciliter notre sortie. Il n’еtait pas aisе de les faire entrer ; mais je ne manquai pas d’invention pour en trouver le moyen. Je priai seulement monsieur de T*** de mettre le lendemain deux vestes lеg?res l’une sur l’autre, et je me chargeai de tout le reste.

Nous retourn?mes le matin ? l’h?pital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon just-au-corps un surtout qui ne laissait rien voir de trop enflе dans mes poches. Nous ne f?mes qu’un moment dans sa chambre. Monsieur de T*** lui laissa une de ses deux vestes. Je lui donnai mon just-au-corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque ? son ajustement, exceptе la culotte, que j’avais malheureusement oubliеe.

L’oubli de cette pi?ce nеcessaire nous e?t sans doute appr?tе ? rire, si l’embarras o? il nous mettait e?t еtе moins sеrieux. J’еtais au dеsespoir qu’une bagatelle de cette nature f?t capable de nous arr?ter. Cependant je pris mon parti, qui fut de sortir moi-m?me sans culotte. Je laissai la mienne ? Manon. Mon surtout еtait long, et je me mis, ? l’aide de quelques еpingles, en еtat de passer dеcemment ? la porte.

Le reste du jour me parut d’une longueur insupportable. Enfin, la nuit еtant venue, nous nous rend?mes dans un carrosse un peu au-dessous de la porte de l’h?pital. Nous n’y f?mes pas longtemps sans voir Manon para?tre avec son conducteur. Notre porti?re еtant ouverte, ils mont?rent tous deux ? l’instant. Je re?us ma ch?re ma?tresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher me demanda o? il fallait toucher : « Touche au bout du monde, lui dis-je, et m?ne-moi quelque part o? je ne puisse jamais ?tre sеparе de Manon. »

Ce transport, dont je ne fus pas le ma?tre, faillit de m’atirer un f?cheux embarras. Le cocher fit rеflexion ? mon langage, et lorsque je lui dis ensuite le nom de la rue o? nous voulions ?tre conduits, il me rеpondit qu’il craignait que je ne l’еngageasse dans une mauvaise affaire ; qu’il voyait bien que ce beau jeune homme qui s’appelait Manon еtait une fille que j’enlevais de l’h?pital, et qu’il n’еtait pas d’humeur ? se perdre pour l’amour de moi.

La dеlicatesse de ce coquin n’еtait qu’une envie de me faire payer la voiture plus cher. Nous еtions trop pr?s de l’h?pital pour ne pas filer doux. « Tais-toi, lui dis-je, il y a un louis d’or ? gagner pour toi. » Il m’aurait aidе, apr?s cela, ? br?ler l’h?pital m?me.

Nous gagn?mes la maison o? demeurait Lescaut. Comme il еtait tard, monsieur de T*** nous quitta en chemin avec promesse de nous revoir le lendemain ; le valet demeura seul avec nous.

Je tenais Manon si еtroitement serrеe entre mes bras, que nous n’occupions qu’une place dans le carrosse. Elle pleurait de joie et je sentais ses larmes qui mouillaient mon visage.

Lorsqu’il fallut descendre pour entrer chez Lescaut, j’eus avec le cocher un nouveau dеm?lе dont les suites furent funestes. Je me repentis de lui avoir promis un louis, non seulement parce que le prеsent еtait excessif, mais par une autre raison bien plus forte, qui еtait l’impuissance de le payer. Je fis appeler Lescaut. Il descendit de sa chambre pour venir ? la porte. Je lui dis ? l’oreille dans quel embarras je me trouvais. Comme il еtait d’une humeur brusque et nullement accoutumе ? mеnager un fiacre, il me rеpondit que je me moquais. « Un louis d’or ! ajouta-t-il ; vingt coups de canne ? ce coquin-l? ! » J’eus beau lui reprеsenter doucement qu’il allait nous perdre, il m’arracha ma, canne avec l’air d’en vouloir maltraiter le cocher. Celui-ci, ? qui il еtait peut-?tre arrivе de tomber quelquefois sous la main d’un garde du corps ou d’un mousquetaire, s’enfuit de peur avec son carrosse, en criant que je l’avais trompе, mais que j’aurais de ses nouvelles. Je lui rеpеtai inutilement d’arr?ter.


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