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Contes bruns

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2017
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En ce moment, le défiant inconnu tira son poignard; mais j'eus le temps de tout dire à la femme-de-chambre, qui lui cria deux mots à voix basse.

En entendant mon arrêt, l'amant eut un léger frisson qui passa sur lui de pied à la tête comme un éclair, et il me sembla voir pâlir sa physionomie sous son masque de velours noir.

La camariste, saisissant un moment où cet homme au désespoir regardait la mourante qui devenait violette, me montra, par un geste, des verres de limonade tout préparés sur une table, en me faisant un signe négatif.

Je compris qu'il fallait m'abstenir de boire, malgré l'horrible chaleur qui me mettait en nage.

Tout à coup l'amant ayant soif prit un de ces verres, et but environ la moitié de la limonade qu'il contenait.

En ce moment, la dame eut une convulsion violente qui m'annonça l'heure favorable à la crise; et, prenant ma lancette, je la saignai, de force, au bras droit avec assez de bonheur. La camariste reçut dans des serviettes le sang qui jaillissait abondamment; puis l'inconnue tomba dans un abattement propice à mon opération… Je m'armai de courage, et je pus, après une heure de travail, extraire l'enfant par morceaux.

L'Espagnol, ne pensant plus à m'empoisonner, en comprenant que je venais de sauver sa maîtresse, pleurait sous son masque, et de grosses larmes roulaient, par instans, sur son manteau.

Du reste, la femme ne jeta pas un cri, mais elle mordait son mouchoir, tressaillait comme une bête fauve surprise, et suait à grosses gouttes.

Dans un instant horriblement critique, elle fit un geste pour montrer la chambre de son mari; le mari venait de se retourner; et, de nous quatre, elle seule avait entendu le froissement des draps, le bruissement du lit ou des rideaux.

Nous nous arrêtâmes, et à travers les trous de leurs masques, la camariste et l'amant se jetèrent des regards de feu…

Profitant de cette espèce de relâche, j'étendis la main pour prendre le verre de limonade que l'inconnu avait entamé; mais lui, croyant que j'allais boire un des verres pleins, bondit aussi légèrement qu'un chat, et posa son long poignard sur les deux verres empoisonnés. Il me laissa le sien, en me faisant un signe de tête pour me dire d'en boire le reste. Il y avait tant de choses, d'idées, de sentiment, dans ce signe et dans son vif mouvement, que je lui pardonnai presque les atroces combinaisons médités pour tuer et ensevelir toute mémoire de ces événemens.

Il me serra la main lorsque j'eus achevé de boire; puis, après avoir laissé échapper un mouvement convulsif, il enveloppa lui-même soigneusement les débris de son enfant; et quand, après deux heures de soins et de craintes, nous eûmes, la camariste et moi, recouché sa maîtresse, il me serra de nouveau les mains, et mit à mon insu, dans ma poche, des diamans sur papier. Mais, par parenthèse, comme j'ignorais le somptueux cadeau de l'Espagnol, mon domestique me vola ce trésor le surlendemain, et s'est enfui nanti d'une vraie fortune.

Je dis à l'oreille de la femme-de-chambre, et bien bas, les précautions qui restaient à prendre; puis je manifestai l'intention d'être libre. La camariste resta près de sa maîtresse, circonstance qui ne me rassura pas excessivement; mais je résolus de me tenir sur mes gardes. L'amant fit un paquet de l'enfant mort et des linges teints du sang de sa maîtresse; puis il le serra fortement, le cacha sous son manteau; et, me passant la main sur les yeux comme pour me dire de les fermer, il sortit le premier, en m'invitant par un geste à tenir le pan de son habit; ce que je fis, non sans donner un dernier regard à la camariste. Elle arracha son masque en voyant l'Espagnol dehors, et me montra la plus délicieuse figure du monde.

Je traversai les appartemens à la suite de l'amant; et quand je me trouvai dans le jardin, en plein air, j'avoue que je respirai comme si l'on m'eût ôté un poids énorme de dessus la poitrine. Je marchais à une distance respectueuse de mon guide, en veillant sur ses moindres mouvemens avec la plus grande attention.

Arrivés à la petite porte, il me prit par la main, et m'appuya sur les lèvres un cachet, monté en bague, que je lui avais vu à un doigt de la main gauche. Je compris toute la valeur de ce signe éloquent. Nous nous trouvâmes dans la rue; et, au lieu de la voiture, deux chevaux nous attendaient. Nous montâmes chacun sur une des deux bêtes; mon Espagnol s'empara de ma bride, la tint dans sa main gauche, prit entre ses dents les guides de sa monture, car il avait son paquet sanglant dans sa main droite, et nous partîmes avec la rapidité de l'éclair. Il me fut impossible de remarquer le moindre objet qui pût servir à me faire reconnaître la route que nous parcourûmes. Au petit jour, je me trouvai près de ma porte, et l'Espagnol s'enfuit, en se dirigeant vers la porte d'Atocha…

– Et vous n'avez rien aperçu qui puisse vous faire soupçonner à quelle femme vous aviez affaire?.. dit un officier au chirurgien.

– Une seule chose… reprit-il. Quand je saignai l'inconnue, je remarquai sur son bras, à peu près au milieu, une petite envie, grosse comme une lentille, et environnée de poils bruns… Puis le palais m'a paru magnifique, immense; la façade ne finissait pas…

En ce moment, l'indiscret chirurgien s'arrêta, pâlit. Tous les yeux fixés sur les siens en suivirent la direction; et les Français virent un Espagnol enveloppé d'un manteau, dont le regard de feu brillait dans l'ombre, au milieu d'une touffe d'orangers où il se tenait debout.

L'écouteur disparut aussitôt avec une légèreté de sylphe, quand un jeune sous-lieutenant s'élança vivement sur lui.

– Sarpéjeu! mes amis, s'écria le chirurgien, cet oeil de basilic m'a glacé. J'entends sonner des cloches dans mes oreilles; et je vous fais mes adieux… vous m'enterrez ici!..

– Es-tu bête!.. dit le colonel Charrin. Lecamus s'est mis à la piste l'espion, il saura bien nous en rendre raison.

– Hé bien! Lecamus?.. s'écrièrent les officiers, en voyant revenir le sous-lieutenant tout essoufflé.

– Au diable!.. répondit Lecamus. Il a passé, je crois, à travers les murailles; et, comme je ne pense pas qu'il soit sorcier, il est sans doute de la maison! il en connaît les passages, les détours, et m'a facilement échappé.

– Je suis perdu!.. dit le chirurgien d'une voix sombre.

– Allons, sois calme!.. répondirent les officiers; nous nous mettrons à tour de rôle chez toi, jusqu'à ton départ… et, pour ce soir, nous t'accompagnerons.

En effet, trois jeunes officiers, qui ayant perdu leur argent au jeu ne savaient plus que faire, reconduisirent le chirurgien à son logement, et s'offrirent à rester chez lui, ce qu'il accepta.

Le surlendemain, il avait obtenu son renvoi en France, et faisait tous ses préparatifs pour partir avec une dame à laquelle Murat donnait une forte escorte. Il achevait de dîner en compagnie de ses amis, lorsque son domestique vint le prévenir qu'une jeune dame voulait lui parler. Le chirurgien et les trois officiers descendirent aussitôt; mais l'inconnue ne put que dire à son amant:

– Prenez garde!..

Elle tomba morte.

C'était la camariste qui, se sentant empoisonnée, espérait arriver à temps pour sauver le chirurgien.

Le poison la défigura complétement.

– Diable! diable!.. s'écria Lecamus, voilà ce qui s'appelle aimer!.. il n'y a qu'une Espagnole au monde qui puisse trotter avec un monstre de poison dans son bocal!..

Le chirurgien restait singulièrement pensif. Enfin, pour noyer les sinistres pressentimens qui le tourmentaient, il se remit à table et but immodérément, ainsi que ses compagnons; puis tous, à moitié ivres, se couchèrent de bonne heure.

Au milieu de la nuit, le chirurgien fut réveillé par le bruit aigu que firent les anneaux de ses rideaux violemment tirés sur les tringles. Il se mit sur son séant, en proie à cette trépidation mécanique de toutes les fibres qui nous saisit au moment d'un semblable réveil. Alors il vit, debout devant lui, un Espagnol enveloppé dans son manteau. L'inconnu lui jetait le même regard brûlant, parti du buisson pendant la fête, et par lequel il avait déjà été si fatalement saisi.

Le chirurgien cria: Au secours!.. A moi, mes amis!

Mais, à ce cri de détresse, l'Espagnol répondit d'abord par un rire amer:

– L'opium croît pour tout le monde!.. dit-il.

Puis, après cette espèce de sentence, il lui montra ses trois amis profondément endormis; et, tirant avec brusquerie de dessous son manteau un bras de femme récemment coupé, il le présenta vivement au chirurgien, en lui montrant un signe semblable à celui qu'il avait si imprudemment décrit:

– Est-ce bien le même?.. demanda-t-il.

A la lueur d'une lanterne posée sur le lit, le chirurgien, glacé d'effroi, répondit par un signe de tête; et, sans plus ample information, le mari de l'inconnu lui plongea son poignard dans le coeur!..

– Le conte est furieusement brun, dit un des auditeurs, mais il est encore plus invraisemblable; car pourriez-vous m'expliquer qui, du mort ou de l'Espagnol, vous a raconté cela?..

– Monsieur, répondit le narrateur, piqué de l'observation, comme fort heureusement le coup de poignard que j'ai reçu a glissé à droite au lieu d'aller à gauche, vous me permettrez de savoir un peu ma propre histoire… Je vous jure qu'il y a encore des nuits où je vois en rêve les deux sacrés yeux…

L'ancien chirurgien en chef s'arrêta, pâlit, et resta, la bouche ouverte, dans un véritable état d'épilepsie.

Nous nous retournâmes tous du côté du salon. A la porte était un grand d'Espagne, un afrancesados en exil, et arrivé depuis quinze jours en Touraine, avec sa famille. Il apparaissait pour la première fois dans le monde; et, venu fort tard, il visitait les salons, accompagné de sa femme dont le bras droit restait immobile.

Nous nous séparâmes en silence pour laisser passer ce couple, que nous ne vîmes pas sans une émotion profonde.

C'était un vrai tableau de Murillo! Le mari avait, sous des orbites creusés et noircis, des yeux de feu. Sa face était desséchée, son crâne sans cheveux, et son corps d'une maigreur effroyable. – La femme!.. imaginez-la? – non! – vous ne la feriez pas vraie. – Elle avait une admirable taille; elle était pâle, mais belle encore; son teint, par un privilége inouï pour une Espagnole, était éclatant de blancheur; mais son regard tombait sur vous comme un jet de plomb fondu… son beau front, orné de perles, et blanc, ressemblait au marbre d'une tombe; il y avait un mort enseveli dans son coeur!.. C'était la douleur espagnole dans tout son lustre.

Inutile de dire que le chirurgien avait disparu.

– Madame, demandai-je à la comtesse vers la fin de la soirée, par quel événement avez-vous donc perdu le bras?

– Dans la guerre de l'indépendance… dit-elle.

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