Et ces mots, elle les prononça de telle façon que la reine en découvrit l'hostilité, et se retourna vivement.
Le regard de la reine fut une riposte qu'Andrée soutint avec énergie.
– Que dites-vous? fit Marie-Antoinette; vous avez remarqué que monsieur de Charny souffrait, et vous ne l'avez pas dit!
Andrée ne répondit pas. Jeanne voulut venir au secours de la favorite, dont il fallait se faire une amie.
– Moi aussi, reprit-elle, j'ai cru m'apercevoir que monsieur de Charny se soutenait difficilement pendant tout le temps que Sa Majesté lui faisait l'honneur de lui parler.
– Difficilement, oui, dit la fière Andrée, qui ne remercia pas même la comtesse avec un regard.
Monsieur de Crosne, lui qu'on interrogeait, savourait à l'aise ses observations sur les trois femmes, dont pas une, Jeanne exceptée, ne se doutait qu'elle posait devant un lieutenant de police.
Enfin la reine reprit:
– Monsieur, avec qui et pourquoi monsieur de Charny s'est-il battu?
Pendant ce temps, Andrée put reprendre contenance.
– Avec un gentilhomme qui… Mais, mon Dieu! madame, c'est bien inutile à présent… Les deux adversaires sont en fort bonne intelligence à l'heure qu'il est, puisque tout présentement ils causaient ensemble devant Votre Majesté.
– Devant moi… ici?
– Ici même… d'où le vainqueur est sorti le premier, voilà vingt minutes peut-être.
– Monsieur de Taverney! s'écria la reine avec un éclair de rage dans les yeux.
– Mon frère! murmura Andrée, qui se reprocha d'avoir été assez égoïste pour ne pas tout comprendre.
– Je crois, dit monsieur de Crosne, que c'est en effet avec monsieur Philippe de Taverney que monsieur de Charny s'est battu.
La reine frappa violemment ses mains l'une contre l'autre, ce qui était l'indice de sa plus chaude colère.
– C'est inconvenant… inconvenant, dit-elle… Quoi!.. les mœurs d'Amérique apportées à Versailles… Oh! non, je ne m'en accommoderai pas, moi.
Andrée baissa la tête, monsieur de Crosne également.
– Ainsi, parce qu'on a couru avec monsieur La Fayette et Washington – la reine affecta de prononcer ce nom à la française-, ainsi l'on transformera ma cour en une lice du seizième siècle; non, encore une fois, non. Andrée, vous deviez savoir que votre frère s'est battu.
– Je l'apprends, madame, répondit-elle.
– Pourquoi s'est-il battu?
– Nous aurions pu le demander à monsieur de Charny, qui s'est battu avec lui, fit Andrée pâle et les yeux brillants.
– Je ne demande pas, répondit arrogamment la reine, ce qu'a fait monsieur de Charny, mais bien ce qu'a fait monsieur Philippe de Taverney.
– Si mon frère s'est battu, dit la jeune fille en laissant tomber une à une ses paroles, ce ne peut être contre le service de Votre Majesté.
– Est-ce à dire que monsieur de Charny ne se battait pas pour mon service, mademoiselle?
– J'ai l'honneur de faire observer à Votre Majesté, répondit Andrée, du même ton, que je ne parle à la reine que de mon frère, et non d'un autre.
Marie-Antoinette se tint calme, et, pour en venir là, il lui fallut toute la force dont elle était capable.
Elle se leva, fit un tour dans la chambre, feignit de se regarder au miroir, prit un volume dans un casier de laque, en parcourut sept à huit lignes, puis le jeta.
– Merci, monsieur de Crosne, dit-elle au magistrat, vous m'avez convaincue. J'avais la tête un peu bouleversée par tous ces rapports, par toutes ces suppositions. Oui, la police est très bien faite, monsieur; mais, je vous en prie, songez à cette ressemblance dont je vous ai parlé, n'est-ce pas, monsieur. Adieu.
Elle lui tendit sa main avec une grâce suprême, et il partit doublement heureux et renseigné au décuple.
Andrée sentit la nuance de ce mot: adieu; elle fit une révérence longue et solennelle.
La reine lui dit adieu négligemment, mais sans rancune apparente.
Jeanne s'inclina comme devant un autel sacré; elle se préparait à prendre congé.
Madame de Misery entra.
– Madame, dit-elle à la reine, Votre Majesté n'a-t-elle pas donné heure à messieurs Bœhmer et Bossange?
– Ah! c'est vrai, ma bonne Misery; c'est vrai. Qu'ils entrent. Restez encore, madame de La Motte, je veux que le roi fasse une paix plus complète avec vous.
La reine, en disant ces mots, guettait dans une glace l'expression du visage d'Andrée, qui gagnait lentement la porte du vaste cabinet.
Elle voulait peut-être piquer sa jalousie en favorisant ainsi la nouvelle venue.
Andrée disparut sous les pans de la tapisserie; elle n'avait ni sourcillé ni tressailli.
– Acier! acier! s'écria la reine en soupirant. Oui, acier, que ces Taverney, mais or aussi.
«Ah! messieurs les joailliers, bonjour. Que m'apportez-vous de nouveau? Vous savez bien que je n'ai pas d'argent.»
Chapitre XL
La tentatrice
Madame de La Motte avait repris son poste; à l'écart comme une femme modeste, debout et attentive comme une femme à qui l'on a permis de rester et d'écouter.
Messieurs Bœhmer et Bossange, en habits de cérémonie, se présentèrent à l'audience de la souveraine. Ils multiplièrent leurs saluts jusqu'au fauteuil de Marie-Antoinette.
– Des joailliers, dit-elle soudain, ne viennent ici que pour parler joyaux. Vous tombez mal, messieurs.
Monsieur Bœhmer prit la parole: c'était l'orateur de l'association.
– Madame, répliqua-t-il, nous ne venons point offrir des marchandises à Votre Majesté, nous craindrions d'être indiscrets.
– Oh! fit la reine, qui se repentait déjà d'avoir témoigné trop de courage, voir des joyaux, ce n'est pas en acheter.