– Cependant, Ma Majesté ne le portera pas, répliqua Marie-Antoinette.
– Nous n'avons pas dû le laisser sortir de France, madame, sans venir déposer aux pieds de Votre Majesté tous nos regrets. C'est un joyau que toute l'Europe connaît maintenant et qu'on se dispute. Que telle ou telle souveraine s'en pare au refus de la reine de France, notre orgueil national le permettra, quand vous, madame, vous aurez encore une fois, définitivement, irrévocablement refusé.
– Mon refus a été prononcé, répondit la reine. Il a été public. On m'a trop louée pour que je m'en repente.
– Oh! madame, dit Bœhmer, si le peuple a trouvé beau que Votre Majesté préférât un vaisseau à un collier, la noblesse, qui est française aussi, n'aurait pas trouvé surprenant que la reine de France achetât un collier après avoir acheté un vaisseau.
– Ne parlons plus de cela, fit Marie-Antoinette en jetant un dernier regard à l'écrin.
Jeanne soupira, pour aider le soupir de la reine.
– Ah! vous soupirez, vous, comtesse. Si vous étiez à ma place, vous feriez comme moi.
– Je ne sais pas, murmura Jeanne.
– Avez-vous bien regardé? se hâta de dire la reine.
– Je regarderais toujours, madame.
– Laissez cette curieuse, messieurs; elle admire. Cela n'ôte rien aux diamants; ils valent toujours quinze cent mille livres, malheureusement.
Ce mot-là sembla une occasion favorable à la comtesse.
La reine regrettait, donc elle avait eu envie. Elle avait eu envie, donc elle devait désirer encore, n'ayant pas été satisfaite. Telle était la logique de Jeanne, il faut le croire, puisqu'elle ajouta:
– Quinze cent mille livres, madame, qui, à votre col, feraient mourir de jalousie toutes les femmes, fussent-elles Cléopâtre, fussent-elles Vénus.
Et, saisissant dans l'écrin le royal collier, elle l'agrafa si habilement, si prestidigieusement sur la peau satinée de Marie-Antoinette, que celle-ci se trouva en un clin d'œil inondée de phosphore et de chatoyantes couleurs.
– Oh! Votre Majesté est sublime ainsi, dit Jeanne.
Marie-Antoinette s'approcha vivement d'un miroir: elle éblouissait.
Son col fin et souple autant que celui de Jeanne Gray, ce col mignon comme le tube d'un lis, destiné comme la fleur de Virgile à tomber sous le fer, s'élevait gracieusement avec ses boucles dorées et frisées du sein de ce flot lumineux.
Jeanne avait osé découvrir les épaules de la reine, en sorte que les derniers rangs du collier tombaient sur sa poitrine de nacre. La reine était radieuse, la femme était superbe. Amants ou sujets, tout se fût prosterné.
Marie-Antoinette s'oublia jusqu'à s'admirer ainsi. Puis, saisie de crainte, elle voulut arracher le collier de ses épaules.
– Assez, dit-elle, assez!
– Il a touché Votre Majesté, s'écria Bœhmer, il ne peut plus convenir à personne.
– Impossible, répliqua fermement la reine. Messieurs, j'ai un peu joué avec ces diamants, mais prolonger le jeu, ce serait une faute.
– Votre Majesté a tout le temps nécessaire pour s'accoutumer à cette idée, glissa Bœhmer à la reine; demain nous reviendrons.
– Payer tard, c'est toujours payer. Et puis, pourquoi payer tard? Vous êtes pressés. On vous paie sans doute plus avantageusement.
– Oui, Votre Majesté, comptant, riposta le marchand redevenu marchand.
– Prenez! prenez! s'écria la reine; dans l'écrin les diamants. Vite! vite!
– Votre Majesté oublie peut-être qu'un pareil joyau, c'est de l'argent, et que dans cent ans le collier vaudra toujours ce qu'il vaut aujourd'hui.
– Donnez-moi quinze cent mille livres, comtesse, répliqua en souriant forcément la reine, et nous verrons.
– Si je les avais, s'écria celle-ci; oh…
Elle se tut. Les longues phrases ne valent pas toujours une heureuse réticence.
Bœhmer et Bossange eurent beau mettre un quart d'heure à serrer, à cadenasser leurs diamants, la reine ne bougea plus.
On voyait à son air affecté, à son silence, que l'impression avait été vive, la lutte pénible.
Selon son habitude, dans les moments de dépit, elle allongea les mains vers un livre, dont elle feuilleta quelques pages sans lire.
Les joailliers prirent congé en disant:
– Votre Majesté a refusé?
– Oui… et oui, soupira la reine, qui, cette fois, soupira pour tout le monde.
Ils sortirent.
Jeanne vit que le pied de Marie-Antoinette s'agitait au-dessus du coussin de velours dans lequel son empreinte était marquée encore.
Elle souffre, pensa la comtesse immobile.
Tout à coup la reine se leva, fit un tour dans sa chambre, et s'arrêtant devant Jeanne dont le regard la fascinait:
– Comtesse, dit-elle d'une voix brève, il paraît que le roi ne viendra pas. Notre petite supplique est remise à une prochaine audience.
Jeanne salua respectueusement et se recula jusqu'à la porte.
– Mais je penserai à vous, ajouta la reine avec bonté.
Jeanne appuya ses lèvres sur sa main, comme si elle y déposait son cœur, et sortit, laissant Marie-Antoinette toute possédée de chagrins et de vertiges.
«Les chagrins de l'impuissance, les vertiges du désir, se dit Jeanne. Et elle est la reine! Oh! non! elle est femme!»
La comtesse disparut.
Chapitre XLI
Deux ambitions qui veulent passer pour deux amours
Jeanne aussi était femme, et sans être reine.