– Eh bien! moi, dit madame de La Motte, je la vois moins riche que vous ne la faites, pauvre reine, ou plutôt pauvre femme!
– Comment cela?
– Est-on riche quand on est obligée de s'imposer des privations?
– Des privations! contez-moi cela, chère Jeanne.
– Oh! mon Dieu, je vous dirai ce que j'ai vu, rien de plus, rien de moins.
– Dites, je vous écoute.
– Figurez-vous deux affreux supplices que cette malheureuse reine a endurés.
– Deux supplices! Lesquels, voyons?
– Savez-vous ce que c'est qu'un désir de femme, mon cher prince?
– Non, mais je voudrais que vous me l'apprissiez, comtesse.
– Eh bien! la reine a un désir qu'elle ne peut satisfaire.
– De qui?
– Non, de quoi.
– Soit, de quoi?
– D'un collier de diamants.
– Attendez donc, je sais. Ne voulez-vous point parler des diamants de Bœhmer et Bossange?
– Précisément.
– Oh! la vieille histoire, comtesse.
– Vieille ou neuve, n'est-ce pas un véritable désespoir pour une reine, dites, que de ne pouvoir posséder ce qu'a failli posséder une simple favorite? Quinze jours d'existence de plus au roi Louis XV, et Jeanne Vaubernier avait ce que ne peut avoir Marie-Antoinette.
– Eh bien! chère comtesse, voilà ce qui vous trompe, la reine a pu avoir cinq ou six fois ces diamants, et la reine les a toujours refusés.
– Oh!
– Quand je vous le dis, le roi les lui a offerts, et elle les a refusés de la main du roi.
Et le cardinal raconta l'histoire du vaisseau.
Jeanne écouta avidement, et lorsque le cardinal eut fini:
– Eh bien! dit-elle, après?
– Comment, après?
– Oui, qu'est-ce que cela prouve?
– Qu'elle n'en a point voulu, ce me semble.
Jeanne haussa les épaules.
– Vous connaissez les femmes, vous connaissez la cour, vous connaissez les rois, et vous vous laissez prendre à une pareille réponse?
– Dame! je constate un refus.
– Mon cher prince, cela constate une chose: c'est que la reine a eu besoin de faire un mot brillant, un mot populaire, et qu'elle l'a fait.
– Bon! dit le cardinal, voilà comme vous croyez aux vertus royales, vous? Ah! sceptique! Mais saint Thomas était un croyant, près de vous.
– Sceptique ou croyante, je vous affirme une chose, moi.
– Laquelle?
– C'est que la reine n'a pas eu plutôt refusé le collier, qu'elle a été prise d'une envie folle de l'avoir.
– Vous vous forgez ces idées-là, ma chère, et d'abord, croyez bien à une chose, c'est qu'à travers tous ses défauts, la reine a une qualité immense.
– Laquelle?
– Elle est désintéressée! Elle n'aime ni l'or ni l'argent, ni les pierres. Elle pèse les minéraux à leur valeur; pour elle une fleur au corset vaut un diamant à l'oreille.
– Je ne dis pas non. Seulement, à cette heure, je soutiens qu'elle a envie de se mettre plusieurs diamants au cou.
– Oh! comtesse, prouvez.
– Rien ne sera plus facile; tantôt j'ai vu le collier.
– Vous?
– Moi; non seulement je l'ai vu, mais je l'ai touché.
– Où cela?
– À Versailles, toujours.
– À Versailles?
– Oui, où les joailliers l'apportaient pour essayer de tenter la reine une dernière fois.
– Et c'est beau.
– C'est merveilleux.