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Le Collier de la Reine, Tome I

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2017
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– Elle est morte, je crois?

– Oui, et sa mort m'a replongée dans l'abîme.

– Mais son mari vit encore; il est riche.

– Son mari, madame, c'est à lui que je dois tous mes malheurs de jeune fille, comme c'est à ma mère que je dois tous mes malheurs d'enfant. J'avais grandi, j'avais embelli peut-être; il s'en aperçut; il voulut mettre un prix à ses bienfaits: je refusai. Ce fut sur ces entrefaites que Mme de Boulainvilliers mourut, et moi, moi qu'elle avait mariée à un brave et loyal militaire, M. de La Motte, je me trouvai, séparée que j'étais de mon mari, plus abandonnée après sa mort que je ne l'avais été après la mort de mon père.

«Voilà mon histoire, madame. J'ai abrégé: les souffrances sont toujours des longueurs qu'il faut épargner aux gens heureux, fussent-ils bienfaisants, comme vous paraissez l'être, mesdames.

Un long silence succéda à cette dernière période de l'histoire de Mme de La Motte.

L'aînée des deux dames le rompit la première.

– Et votre mari, que fait-il? demanda-t-elle.

– Mon mari est en garnison à Bar-sur-Aube, madame; il sert dans la gendarmerie, et, de son côté, attend des temps meilleurs.

– Mais vous avez sollicité auprès de la cour?

– Sans doute!

– Le nom des Valois, justifié par des titres, a dû éveiller des sympathies?

– Je ne sais pas, madame, quels sont les sentiments que mon nom a pu éveiller, car à aucune de mes demandes je n'ai reçu de réponse.

– Cependant, vous avez vu les ministres, le roi, la reine.

– Personne. Partout, tentatives vaines, répliqua Mme de La Motte.

– Vous ne pouvez mendier, pourtant!

– Non, madame, j'en ai perdu l'habitude. Mais…

– Mais quoi?

– Mais je puis mourir de faim comme mon père.

– Vous n'avez point d'enfant?

– Non, madame, et mon mari, en se faisant tuer pour le service du roi, trouvera de son côté au moins une fin glorieuse à nos misères.

– Pouvez-vous, madame, je regrette d'insister sur ce sujet, pouvez-vous fournir les preuves justificatives de votre généalogie?

Jeanne se leva, fouilla dans un meuble, et en tira quelques papiers qu'elle présenta à la dame.

Mais comme elle voulait profiter du moment où cette dame, pour les examiner, s'approcherait de la lumière et découvrirait entièrement ses traits, Jeanne laissa deviner sa manœuvre par le soin qu'elle mit à lever la mèche de la lampe afin de doubler la clarté.

Alors la dame de charité, comme si la lumière blessait ses yeux, tourna le dos à la lampe et, par conséquent à Mme de La Motte.

Ce fut dans cette position qu'elle lut attentivement et compulsa chaque pièce l'une après l'autre.

– Mais, dit-elle, ce sont là des copies d'actes, madame, et je ne vois aucune pièce authentique.

– Les minutes, madame, répondit Jeanne, sont déposées en lieu sûr, et je les produirais…

– Si une occasion importante se présentait, n'est-ce pas? dit en souriant la dame.

– C'est sans doute, madame, une occasion importante que celle qui me procure l'honneur de vous voir; mais les documents dont vous parlez sont tellement précieux pour moi que…

– Je comprends. Vous ne pouvez les livrer au premier venu.

– Oh! madame, s'écria la comtesse qui venait enfin d'entrevoir le visage plein de dignité de la protectrice; oh! madame, il me semble que, pour moi, vous n'êtes pas la première venue.

Et aussitôt, ouvrant avec rapidité un autre meuble dans lequel jouait un tiroir secret, elle en tira les originaux des pièces justificatives, soigneusement enfermées dans un vieux portefeuille armorié au blason de Valois.

La dame les prit, et après un examen plein d'intelligence et d'attention:

– Vous avez raison, dit la dame de charité, ces titres sont parfaitement en règle; je vous engage à ne pas manquer de les fournir à qui de droit.

– Et qu'en obtiendrais-je à votre avis, madame?

– Mais sans nul doute une pension pour vous, un avancement pour M. de La Motte, pour peu que ce gentilhomme se recommande par lui-même.

– Mon mari est le modèle de l'honneur, madame, et jamais il n'a manqué aux devoirs du service militaire.

– Il suffit, madame, dit la dame de charité en abattant tout à fait la calèche sur son visage.

Mme de La Motte suivait avec anxiété chacun de ses mouvements.

Elle la vit fouiller dans sa poche, dont elle tira d'abord le mouchoir brodé qui lui avait servi à cacher son visage quand elle glissait en traîneau le long des boulevards.

Puis au mouchoir succéda un petit rouleau d'un pouce de diamètre et de trois à quatre pouces de longueur.

La dame de charité déposa le rouleau sur le chiffonnier en disant:

– Le bureau des Bonnes-Œuvres m'autorise, madame, à vous offrir ce léger secours, en attendant mieux.

Mme de La Motte jeta un rapide coup d'œil sur le rouleau.

«Des écus de trois livres, pensa-t-elle; il doit y en avoir au moins cinquante ou même cent. Allons, c'est cent cinquante ou peut-être trois cents livres qui nous tombent du ciel. Cependant, pour cent il est bien court; mais aussi pour cinquante il est bien long.»

Tandis qu'elle faisait ces observations, les deux dames étaient passées dans la première pièce, où dame Clotilde dormait sur une chaise près d'une chandelle dont la mèche rouge et fumeuse s'allongeait au milieu d'une nappe de suif liquéfié.

L'odeur âcre et nauséabonde saisit à la gorge celle des deux dames de charité qui avait déposé le rouleau sur le chiffonnier. Elle porta vivement la main à sa poche et en tira un flacon.

Mais à l'appel de Jeanne, dame Clotilde s'était réveillée en saisissant à belles mains le reste de la chandelle. Elle l'élevait comme un phare au-dessus des montées obscures, malgré les protestations des deux étrangères qu'on éclairait en les empoisonnant.

– Au revoir, au revoir, madame la comtesse! crièrent-elles.

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