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Le Collier de la Reine, Tome I

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2017
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– On paiera bien, dit l'aînée des Allemandes.

– On paiera, répéta en français l'officier au cocher.

– Et combien paiera-t-on? fit celui-ci du haut de son siège, car il ne paraissait pas avoir une énorme confiance. Ce n'est pas le tout, voyez-vous, mon officier, d'aller à Versailles: une fois qu'on y est allé, il faut en revenir.

– Un louis, est-ce assez? dit la plus jeune des deux dames à l'officier, en continuant de germaniser.

– On t'offre un louis, répéta le jeune homme.

– Un louis, c'est bien juste, grommela le cocher, car je risque de casser les jambes à mes chevaux.

– Drôle! s'écria l'officier, tu n'as droit qu'à trois livres pour aller d'ici au château de la Muette, qui est à moitié chemin. Tu vois bien qu'à ce calcul-là, en te payant l'aller et le retour, tu n'as droit qu'à douze livres, et, au lieu de douze, tu vas en recevoir vingt-quatre.

– Oh! ne marchandez pas, dit l'aînée des deux dames. Deux louis, trois louis, vingt louis, pourvu qu'il parte à l'instant même et qu'il marche sans s'arrêter.

– Un louis suffit, madame, répondit l'officier.

Puis, revenant au cocher:

– Allons, coquin, en bas de ton siège et ouvre la portière, dit-il.

– Je veux être payé d'abord, dit le cocher.

– Tu veux!

– C'est mon droit.

L'officier fit un mouvement en avant.

– Payons d'avance; payons, dit l'aînée des Allemandes.

Et elle fouilla rapidement à sa poche.

– Oh! mon Dieu! dit-elle tout bas à sa compagne, je n'ai pas ma bourse.

– Vraiment?

– Et vous, Andrée, avez-vous la vôtre?

La jeune femme se fouilla à son tour avec la même anxiété.

– Moi… moi, non plus.

– Voyez dans toutes vos poches.

– Inutile, s'écria la jeune femme avec dépit, car elle voyait l'officier les suivre de l'œil pendant ce débat, et le cocher goguenard ouvrait déjà une large bouche pour sourire en se félicitant de ce qu'il appelait peut-être plus bas une heureuse précaution.

En vain les deux dames cherchèrent-elles, ni l'une ni l'autre ne trouva un sou.

L'officier les vit s'impatienter, rougir et pâlir; la situation se compliquait.

Les dames allaient se décider à donner une chaîne ou un bijou comme gage, lorsque l'officier, pour leur épargner tout regret qui eût blessé leur délicatesse, tira de sa bourse un louis qu'il tendit au cocher.

Celui-ci prit le louis, l'examina, le soupesa, tandis que l'une des deux dames remerciait l'officier; puis il ouvrit sa portière, et la dame monta, suivie de sa compagne.

– Et maintenant, maître drôle, dit le jeune homme au cocher, conduis ces dames, et rondement, loyalement surtout, entends-tu?

– Oh! vous n'avez pas besoin de me recommander cela, mon officier. Cela va sans dire.

Pendant ce court colloque, les dames se consultaient.

En effet, elles voyaient avec terreur leur guide, leur protecteur, prêt à les quitter.

– Madame, dit tout bas la plus jeune à sa compagne, il ne faut pas qu'il s'éloigne.

– Pourquoi cela? demandons-lui son nom et son adresse; demain, nous lui enverrons son louis d'or avec un petit mot de remerciement que vous lui écrirez.

– Non, madame, non, gardons-le, je vous en supplie: si le cocher est de mauvaise foi, s'il fait des difficultés en route… Par un pareil temps, les chemins sont mauvais, à qui nous adresserions-nous pour demander secours?

– Oh! nous avons son numéro et la lettre de sa régie.

– Fort bien, madame, et je ne nie pas que, plus tard, vous ne le fassiez rouer de coups; mais, en attendant, vous n'arriveriez pas cette nuit à Versailles; et que dira-t-on, grand Dieu!

L'aînée des deux dames réfléchit.

– C'est vrai, dit-elle.

Mais déjà l'officier s'inclinait pour prendre congé.

– Monsieur, monsieur, dit en allemand Andrée, un mot, un mot encore, s'il vous plaît.

– À vos ordres, madame, répliqua l'officier visiblement contrarié, mais conservant dans son air, dans son ton et jusque dans l'accent de sa voix la plus exquise politesse.

– Monsieur, continua Andrée, vous ne pouvez nous refuser une grâce après tant de services que vous nous avez déjà rendus.

– Parlez.

– Eh bien! nous vous l'avouerons, nous avons peur de ce cocher, qui a si mal entamé la négociation.

– Vous avez tort de vous alarmer, dit-il; je sais son numéro, 107, la lettre de sa régie, Z. S'il vous causait quelque contrariété, adressez-vous à moi.

– À vous! dit en français Andrée qui s'oublia; comment voulez-vous que nous nous adressions à vous, nous ne savons pas même votre nom.

Le jeune homme fit un pas en arrière.

– Vous parlez français, s'écria-t-il stupéfait, vous parlez français, et vous me condamnez, depuis une demi-heure, à écorcher l'allemand! Oh! vraiment, madame, c'est mal.

– Excusez, monsieur, reprit en français l'autre dame, qui vint bravement au secours de sa compagne interdite. Vous voyez bien, monsieur, que, sans être étrangères peut-être, nous nous trouvons dépaysées dans Paris, dépaysées dans un fiacre surtout. Vous êtes assez homme du monde pour comprendre que nous ne nous trouvons pas dans une position naturelle. Ne nous obliger qu'à moitié, ce serait nous désobliger. Être moins discret que vous ne l'avez été jusqu'à présent, ce serait être indiscret. Nous vous jugeons bien, monsieur; veuillez ne pas nous juger mal; et, si vous pouvez nous rendre service, eh bien! faites-le sans réserve, ou permettez-nous de vous remercier et de chercher un autre appui.
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