– Vous m'avez demandé une audience? dit-elle.
– J'aspire à l'honneur de donner à Votre Majesté l'explication de ma conduite.
– Eh bien! rapportez-moi cette boîte et demandez le concierge Laurent; il sera prévenu.
Et, se retournant vers la rue:
– Kommen Sie da, Weber[4 - «Venez ici, Weber».]! cria-t-elle en allemand.
Un carrosse s'approcha avec rapidité; les deux princesses s'y élancèrent.
Mme de La Motte resta sur la porte jusqu'à ce qu'elle l'eût perdu de vue.
– Oh! dit-elle tout bas, j'ai bien fait de faire ce que j'ai fait; mais pour la suite… réfléchissons.
Chapitre XVIII
Mademoiselle Oliva
Pendant ce temps, l'homme qui avait signalé la prétendue reine aux regards des assistants frappait sur l'épaule d'un des spectateurs à l'œil avide, à l'habit râpé.
– Pour vous qui êtes journaliste, dit-il, le beau sujet d'article!
– Comment cela?
– En voulez-vous le sommaire?
– Volontiers.
– Le voici: «Du danger qu'il y a de naître sujet d'un pays dont le roi est gouverné par la reine, laquelle reine aime les crises.»
Le gazetier se mit à rire.
– Et la Bastille? dit-il.
– Allons donc! Est-ce qu'il n'y a pas les anagrammes, à l'aide desquelles on évite tous les censeurs royaux? Je vous demande un peu si jamais un censeur vous interdira de raconter l'histoire du prince Silou et de la princesse Etteniotna, souveraine de Narfec? Hein! qu'en dites-vous?
– Oh! oui, s'écria le gazetier enflammé, l'idée est admirable.
– Et je vous prie de croire qu'un chapitre intitulé: Les crises de la princesse Etteniotna chez le fakir Remsem obtiendrait un joli succès dans les salons.
– Je le crois comme vous.
– Allez donc, et rédigez-nous cela de votre meilleure encre.
Le gazetier serra la main de l'inconnu.
– Vous enverrai-je quelques numéros? dit-il; je le ferai avec bien du plaisir, s'il vous plaît de me dire votre nom.
– Certes, oui! L'idée me ravit, et exécutée par vous, elle gagnera cent pour cent. À combien tirez-vous ordinairement vos petits pamphlets?
– Deux mille.
– Rendez-moi donc un service?
– Volontiers.
– Prenez ces cinquante louis et faites tirer à six mille.
– Comment! monsieur; oh! mais vous me comblez… Que je sache au moins le nom d'un si généreux protecteur des lettres.
– Je vous le dirai en faisant prendre chez vous un millier d'exemplaires à deux livres la pièce, dans huit jours, n'est-ce pas?
– J'y travaillerai jour et nuit, monsieur.
– Et que ce soit divertissant.
– À faire rire aux larmes tout Paris, excepté une personne.
– Qui pleurera jusqu'au sang, n'est-ce pas?
– Oh! monsieur, que vous avez d'esprit!
– Vous êtes bien bon. À propos, datez la publication de Londres.
– Comme toujours.
– Monsieur, je suis bien votre serviteur.
Et le gros inconnu congédia le folliculaire, lequel, ses cinquante louis en poche, s'enfuit léger comme un oiseau de mauvais augure.
L'inconnu demeuré seul, ou plutôt sans compagnon, regarda encore, dans la salle des crises, la jeune femme dont l'extase avait fait place à une prostration absolue, et dont une femme de chambre affectée au service des dames en travail de crise abaissait chastement les jupes un peu indiscrètes.
Il remarqua dans cette délicate beauté des traits fins et voluptueux, la grâce noble de ce sommeil abandonné; puis, revenant sur ses pas:
«Décidément, dit-il, la ressemblance est effrayante. Dieu, qui l'a faite, avait ses desseins; il a condamné d'avance celle de là-bas, à qui celle-ci ressemble.»
Au moment où il achevait de formuler cette pensée menaçante, la jeune femme se souleva lentement du milieu des coussins, et, s'aidant du bras d'un voisin réveillé déjà de l'extase, elle s'occupa de remettre un peu d'ordre dans sa toilette fort compromise.
Elle rougit un peu de voir l'attention que les assistants lui donnaient, répondit avec une politesse coquette aux questions graves et avenantes à la fois de Mesmer; puis, étirant ses bras ronds et ses jolies jambes comme une chatte qui sort du sommeil, elle traversa les trois salons, récoltant, sans en perdre un seul, tous les regards, soit railleurs, soit convoiteurs, soit effarés, que lui envoyaient les assistants.
Mais ce qui la surprit au point de la faire sourire, c'est qu'en passant devant un groupe chuchotant dans un coin du salon, elle essuya, au lieu d'œillades mutines et de propos galants, une bordée de révérences si respectueuses que nul courtisan français n'en eût trouvé de plus guindées et de plus sévères pour saluer sa reine.
Et réellement ce groupe stupéfait et révérencieux avait été composé à la hâte par cet inconnu infatigable qui, caché derrière eux, leur disait à demi voix:
– N'importe, messieurs, n'importe, ce n'est pas moins la reine de France; saluons, saluons bas.
La petite personne, objet de tant de respect, franchit avec une sorte d'inquiétude le dernier vestibule et arriva dans la cour.