– Oh! pour cela, passe encore.
– Eh bien! c'est dit.
– Tope.
– Voici le premier mois d'avance.
Il lui tendit un rouleau de cinquante louis, sans même effleurer le bout de ses doigts. Et, comme elle hésitait, il le lui glissa dans la poche de sa robe, sans même frôler de la main cette hanche si ronde et si mobile que les fins gourmets de l'Espagne ne l'eussent pas dédaignée comme lui.
À peine l'or avait-il touché le fond de la poche, que deux coups secs, frappés à la porte de la rue, firent bondir Oliva vers la fenêtre.
– Bon Dieu! s'écria-t-elle, sauvez-vous vite, c'est lui.
– Lui. Qui?
– Beausire… mon amant… Remuez-vous donc, monsieur.
– Ah! ma foi! tant pis!
– Comment, tant pis! Mais il va vous mettre en pièces.
– Bah!
– Entendez-vous comme il frappe; il va enfoncer la porte.
– Faites-lui ouvrir. Que diable! aussi, pourquoi ne lui donnez-vous pas de passe-partout?
Et l'inconnu s'étendit sur le sofa en disant tout bas:
– Il faut que je voie ce drôle et que je le juge.
Les coups continuaient, ils s'entrecoupaient d'affreux jurons qui montaient bien plus haut que le deuxième étage.
– Allez, mère, allez ouvrir, dit Oliva toute furieuse. Et quant à vous, monsieur, tant pis s'il vous arrive un malheur.
– Comme vous dites, tant pis! répliqua l'impassible inconnu sans bouger du sofa.
Oliva écoutait, palpitante, sur le palier.
Chapitre XIX
M. Beausire
Oliva se jeta au-devant d'un homme furieux qui, les deux mains étendues, le visage pâle, les habits en désordre, faisait invasion dans l'appartement en poussant de rauques imprécations.
– Beausire! voyons! Beausire, dit-elle d'une voix qui n'était pas assez épouvantée pour faire tort au courage de cette femme.
– Lâchez-moi! cria le nouveau venu en se débarrassant avec brutalité des étreintes d'Oliva.
Et il se mit à continuer sur un ton progressif:
– Ah! c'est parce qu'il y avait ici un homme qu'on ne m'ouvrait pas la porte! Ah! ah!
L'inconnu, nous le savons, était demeuré sur le sofa dans une attitude calme et immobile, que M. Beausire dut prendre peur de l'indécision ou même de l'effroi.
Il arriva en face de l'homme avec des grincements de dents de mauvais augure.
– Je suppose que vous me répondrez, monsieur?
– Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, mon cher monsieur Beausire? répliqua l'inconnu.
– Que faites-vous ici? et d'abord qui êtes-vous?
– Je suis un homme très tranquille à qui vous faites des yeux effrayants, et puis je causais avec madame en tout bien tout honneur.
– Mais oui, certainement, murmura Oliva, en tout bien tout honneur.
– Tâchez de vous taire, vous, vociféra Beausire.
– Là, là! dit l'inconnu, ne rudoyez pas ainsi madame qui est parfaitement innocente; et si vous avez de la mauvaise humeur…
– Oui, j'en ai.
– Il aura perdu au jeu, dit à demi-voix Oliva.
– Je suis dépouillé, mort de tous les diables! hurla Beausire.
– Et vous ne seriez pas fâché de dépouiller un peu quelqu'un, dit en riant l'inconnu; cela se conçoit, cher monsieur Beausire.
– Trêve de mauvaises plaisanteries, vous! et faites-moi le plaisir de déguerpir d'ici.
– Oh! monsieur Beausire, de l'indulgence!
– Mort de tous les diables de l'enfer! levez-vous et partez, ou je brise le sofa et tout ce qu'il y a dessus.
– Vous ne m'aviez pas dit, mademoiselle, que M. Beausire avait de ces lunes rousses. Tudieu! quelle férocité!
Beausire, exaspéré, fit un grand mouvement de comédie, et, pour tirer l'épée, décrivit avec ses bras et la lame un cercle d'au moins dix pieds de circonférence.
– Encore un coup, dit-il, levez-vous, ou sinon je vous cloue sur le dossier.
– En vérité, on n'est pas plus désagréable, répondit l'inconnu en faisant doucement, et de sa seule main gauche, sortir du fourreau la petite épée qu'il avait mise en verrou, derrière lui, sur le sofa.
Oliva poussa des cris perçants.
– Ah! mademoiselle, mademoiselle, taisez-vous, dit l'homme tranquille qui avait enfin l'épée au poing sans s'être levé de son siège; taisez-vous, car il arrivera deux choses: la première, c'est que vous étourdirez M. Beausire et qu'il se fera embrocher; la seconde, c'est que le guet montera, vous frappera, et vous mènera droit à Saint-Lazare.
Oliva remplaça les cris par une pantomime des plus expressives.