– Pour vous, un noir; pour moi, un blanc de satin.
– Oui.
– Et je ne vous donne que vingt minutes pour cela.
– Nous allons au bal?
– Au bal.
– Et tu me conduis au boulevard souper?
– Certes; mais à une condition.
– Laquelle?
– Si vous êtes obéissant.
– Oh! toujours, toujours.
– Allons donc, montrez votre zèle.
– Je cours.
– Comment, vous n'êtes pas encore parti?
– Mais la dépense…
– Vous avez vingt-cinq louis.
– Comment, j'ai vingt-cinq louis! Et où prenez-vous cela?
– Mais ceux que vous avez ramassés.
– Oliva, Oliva, ce n'est pas bien.
– Que voulez-vous dire?
– Oliva, vous me les aviez donnés.
– Je ne dis pas que vous ne les aurez pas; mais si je vous les donnais à présent, vous ne reviendriez pas. Allez donc, et revenez vite.
– Elle a, pardieu! raison, dit le coquin un peu confus. C'était mon intention de ne pas revenir.
– Vingt-cinq minutes, entendez-vous? cria-t-elle.
– J'obéis.
C'est à ce moment que le valet placé en embuscade dans la niche située en face des fenêtres vit un des deux interlocuteurs disparaître.
C'était M. Beausire, lequel sortit avec un habit sans basque, derrière lequel l'épée se balançait insolemment, tandis que la chemise boursouflait sous la veste comme au temps de Louis XIII.
Tandis que le vaurien gagnait du côté de la rue de Seine, Oliva écrivit rapidement sur un papier ces mots, qui résumaient tout l'épisode:
«La paix est signée, le partage est fait, le bal adopté. À deux heures, nous serons à l'Opéra. J'aurai un domino blanc, et sur l'épaule gauche un ruban de soie bleue.»
Oliva roula le papier autour d'un débris de la cruche de faïence, aventura la tête par la fenêtre, et jeta le billet dans la rue.
Le valet fondit sur sa proie, la ramassa et s'enfuit.
Il est à peu près certain que M. Beausire ne resta pas plus de trente minutes à revenir, suivi de deux garçons tailleurs qui apportaient, au prix de dix-huit louis, deux dominos d'un goût exquis, comme on les faisait au Capucin-Magique, chez le bon faiseur, fournisseur de Sa Majesté la reine et des dames d'honneur.
Chapitre XXI
La petite maison
Nous avons laissé Mme de La Motte sur la porte de l'hôtel, suivant des yeux la voiture de la reine, qui disparaissait rapidement.
Quand sa forme cessa d'être visible, quand son roulement cessa d'être distinct, Jeanne remonta à son tour dans sa remise, et rentra chez elle pour prendre un domino et un autre masque, et pour voir en même temps si rien de nouveau ne s'était passé à son domicile.
Mme de La Motte s'était promis, pour cette bienheureuse nuit, un rafraîchissement à toutes les émotions du jour. Elle avait résolu, une fois, en femme forte qu'elle était, de faire le garçon, comme on dit vulgairement ou expressivement, et de s'en aller en conséquence respirer toute seule les délices de l'imprévu.
Mais un contretemps l'attendait au premier pas qu'elle faisait dans cette route si séduisante pour les imaginations vives et longtemps contenues.
En effet, un grison l'attendait chez le concierge.
Ce grison appartenait à M. le prince de Rohan, et était porteur, de la part de Son Éminence, d'un billet conçu en ces termes:
«Madame la comtesse,
«Vous n'avez pas oublié sans doute que nous avons des affaires à régler ensemble. Peut-être avez-vous la mémoire brève; moi je n'oublie jamais ce qui m'a plu.
«J'ai l'honneur de vous attendre là où le porteur vous conduira, si vous le voulez bien.»
La lettre était signée de la croix pastorale.
Mme de La Motte, d'abord contrariée de ce contretemps, réfléchit un instant et prit son parti avec cette rapidité de décision qui la caractérisait.
– Montez avec mon cocher, dit-elle au grison, ou donnez-lui l'adresse.
Le grison monta avec le cocher, Mme de La Motte dans la voiture.
Dix minutes suffirent pour mener la comtesse à l'entrée du faubourg Saint-Antoine, dans un renfoncement nouvellement aplani, où de grands arbres, vieux comme le faubourg lui-même, cachaient à tous les yeux une de ces jolies maisons bâties sous Louis XV, avec le goût extérieur du XVI
siècle et le confort incomparable du XVIII
.
– Oh! oh! une petite maison, murmura la comtesse: c'est bien naturel de la part d'un grand prince, mais bien humiliant pour une Valois. Enfin!