Ce mot, dont la résignation a fait un soupir ou l'impatience une exclamation, décelait tout ce qui sommeillait de dévorante ambition et de folle convoitise dans son esprit.
Mais elle n'eut pas plutôt dépassé le seuil de l'hôtel que sa résolution était prise.
On la mena de chambre en chambre, c'est-à-dire de surprises en surprises, jusqu'à une petite salle à manger du goût le plus exquis.
Elle y trouva le cardinal seul et l'attendant.
Son Éminence feuilletait des brochures qui ressemblaient fort à une collection de ces pamphlets qui pleuvaient par milliers à cette époque, quand le vent venait d'Angleterre ou de la Hollande.
À sa vue, il se leva.
– Ah! vous voici; merci, madame la comtesse, dit-il.
Et il s'approcha pour lui baiser la main.
La comtesse recula d'un air dédaigneux et blessé.
– Quoi donc! fit le cardinal, et qu'avez-vous, madame?
– Vous n'êtes pas accoutumé, n'est-ce pas, monseigneur, à voir une pareille figure aux femmes à qui Votre Éminence fait l'honneur de les appeler ici?
– Oh! madame la comtesse.
– Nous sommes dans votre petite maison, n'est-ce pas, monseigneur? dit la comtesse en jetant autour d'elle un regard dédaigneux.
– Mais, madame…
– J'espérais, monseigneur, que Votre Éminence daignerait se rappeler dans quelle condition je suis née. J'espérais que Votre Éminence daignerait se souvenir que si Dieu m'a faite pauvre, il m'a laissé au moins l'orgueil de mon rang.
– Allons, allons, comtesse, je vous avais prise pour une femme d'esprit, dit le cardinal.
– Vous appelez femme d'esprit, à ce qu'il paraît, monseigneur, toute femme indifférente, qui rit à tout, même au déshonneur; à ces femmes, j'en demande pardon à Votre Éminence, j'ai pris l'habitude, moi, de donner un autre nom.
– Non pas, comtesse, vous vous trompez: j'appelle femme d'esprit toute femme qui écoute quand on lui parle ou qui ne parle pas avant d'avoir écouté.
– J'écoute, voyons.
– J'avais à vous entretenir d'objets sérieux.
– Et vous m'avez fait venir pour cela dans une salle à manger?
– Mais, oui; eussiez-vous mieux aimé que je vous attendisse dans un boudoir, comtesse?
– La distinction est délicate.
– Je le crois ainsi, comtesse.
– Ainsi, il ne s'agit que de souper avec monseigneur?
– Pas autre chose.
– Que Votre Éminence soit persuadée que je ressens cet honneur comme je le dois.
– Vous raillez, comtesse?
– Non, je ris.
– Vous riez?
– Oui. Aimez-vous mieux que je me fâche? Ah! vous êtes d'humeur difficile, monseigneur, à ce qu'il paraît.
– Oh! vous êtes charmante quand vous riez, et je ne demanderais rien de mieux que de vous voir rire toujours. Mais vous ne riez pas en ce moment. Oh! non, non; il y a de la colère derrière ces belles lèvres qui montrent les dents.
– Pas le moins du monde, monseigneur, et la salle à manger me rassure.
– À la bonne heure!
– Et j'espère que vous y souperez bien.
– Comment, que j'y souperai bien. Et vous?
– Moi, je n'ai pas faim.
– Comment, madame, vous me refusez à souper?
– Plaît-il?
– Vous me chassez?
– Je ne vous comprends pas, monseigneur.
– Écoutez, chère comtesse.
– J'écoute.
– Si vous étiez moins courroucée, je vous dirais que vous avez beau faire, vous ne pouvez pas vous empêcher d'être charmante; mais, comme à chaque compliment je crains d'être congédié, je m'abstiens.
– Vous craignez d'être congédié! En vérité, monseigneur, j'en demande pardon à Votre Éminence, mais vous devenez inintelligible.
– C'est pourtant limpide, ce qui se passe.
– Excusez mon éblouissement, monseigneur.
– Eh bien! l'autre jour, vous m'avez reçu avec beaucoup de gêne; vous trouviez que vous étiez logée d'une façon peu convenable pour une personne de votre rang et de votre nom. Cela m'a forcé d'abréger ma visite; cela, en outre, vous a rendue un peu froide avec moi. J'ai pensé alors que vous remettre dans votre milieu, dans vos conditions de vivre, c'était rendre l'air à l'oiseau que le physicien place sous la machine pneumatique.
– Et alors? demanda la comtesse avec anxiété, car elle commençait à comprendre.
– Alors, belle comtesse, pour que vous puissiez me recevoir avec franchise, pour que, de mon côté, je puisse venir vous visiter sans me compromettre, ou vous compromettre vous-même…