– À tout.
– Dites.
– Je suis chez moi.
– Et…
– Et si je trouve vos conditions déraisonnables, j'appelle mes gens.
Le cardinal se mit à rire.
– Eh bien! vous voyez? dit-elle.
– Je ne vois rien du tout, fit le cardinal.
– Si fait, vous voyez bien que vous vous moquiez de moi!
– Comment cela?
– Vous riez!..
– C'est le moment, ce me semble.
– Oui, c'est le moment, car vous savez bien que si j'appelais mes gens, ils ne viendraient pas.
– Oh! si fait! le diable m'emporte!
– Fi! monseigneur.
– Qu'ai-je donc fait?
– Vous avez juré, monseigneur.
– Je ne suis plus cardinal ici, comtesse; je suis chez vous, c'est-à-dire en bonne fortune.
Et il se mit encore à rire.
«Allons, dit la comtesse en elle-même, décidément, c'est un excellent homme.»
– À propos, fit tout à coup le cardinal, comme si une pensée bien éloignée de son esprit venait d'y rentrer par hasard, que me disiez-vous l'autre jour de ces deux dames de charité, de ces deux Allemandes?
– De ces deux dames au portrait? fit Jeanne qui, ayant vu la reine, arrivait à la parade et se tenait prête à la riposte.
– Oui, de ces dames au portrait.
– Monseigneur, fit Mme de La Motte en regardant le cardinal, vous les connaissez aussi bien et même mieux que moi, je parie.
– Moi? oh! comtesse, vous me faites tort. N'avez-vous point paru désirer savoir qui elles sont?
– Sans doute; et c'est bien naturel de désirer connaître ses bienfaitrices, ce me semble.
– Eh bien! si je savais qui elles sont, vous le sauriez déjà, vous.
– Monsieur le cardinal, ces dames, vous les connaissez, vous dis-je.
– Non.
– Encore un non, et je vous appelle menteur.
– Oh! et moi je me venge de l'insulte.
– Comment, s'il vous plaît?
– En vous embrassant.
– Monsieur l'ambassadeur près la cour de Vienne! monsieur le grand ami de l'impératrice Marie-Thérèse! il me semble, à moins qu'il ne soit guère ressemblant, que vous auriez dû reconnaître le portrait de votre amie.
– Quoi! vraiment, comtesse, c'était le portrait de Marie-Thérèse!
– Oh! faites donc l'ignorant, monsieur le diplomate!
– Eh bien! voyons, quand cela serait, quand j'aurais reconnu l'impératrice Marie-Thérèse, où cela nous mènerait-il?
– Qu'ayant reconnu le portrait de Marie-Thérèse, vous devez bien avoir quelque soupçon des femmes à qui un pareil portrait appartient.
– Mais pourquoi voulez-vous que je sache cela? dit le cardinal, assez inquiet.
– Dame! parce qu'il n'est pas très ordinaire de voir un portrait de mère – car, remarquez bien que ce portrait est portrait de mère et non d'impératrice – en d'autres mains qu'entre les mains…
– Achevez.
– Qu'entre les mains d'une fille…
– La reine! s'écria Louis de Rohan avec une vérité d'intonation qui dupa Jeanne. La reine! Sa Majesté serait venue chez vous!
– Eh! quoi, vous n'aviez pas deviné que c'était elle, monsieur?
– Mon Dieu! non, dit le cardinal d'un ton parfaitement simple; non, il est d'habitude, en Hongrie, que les portraits des princes régnants passent de famille en famille. Ainsi, moi qui vous parle, par exemple, je ne suis ni fils, ni fille, ni même parent de Marie-Thérèse, eh bien! j'ai un portrait d'elle sur moi.
– Sur vous, monseigneur?
– Tenez, dit froidement le cardinal.
Et il tira de sa poche une tabatière qu'il montra à Jeanne, confondue.
– Vous voyez bien, ajouta-t-il, que si j'ai ce portrait, moi qui, comme je vous le disais, n'ai pas l'honneur d'être de la famille impériale, un autre que moi peut bien l'avoir oublié chez vous, sans être pour cela de l'auguste maison d'Autriche.
Jeanne se tut. Elle avait tous les instincts de la diplomatie; mais la pratique lui manquait encore.