– Et Sa Majesté avait raison, ma cousine… Maintenant… Il me semble que je respire, car Mme de Lamballe ne ment jamais.
– Jamais, sire, dit doucement la princesse.
– Oh! jamais, s'écria M. de Crosne avec la conviction la plus respectueuse. Mais alors, sire, permettez-moi…
– Oh! oui, je vous permets, monsieur de Crosne; questionnez, cherchez, je place ma chère princesse sur la sellette, je vous la livre.
Mme de Lamballe sourit.
– Je suis prête, dit-elle; mais, sire, la torture est abolie.
– Oui, je l'ai abolie pour les autres, fit le roi avec un sourire, mais on ne l'a pas abolie pour moi.
– Madame, dit le lieutenant de police, ayez la bonté de dire au roi ce que vous fîtes avec Sa Majesté chez M. Mesmer, et d'abord comment Sa Majesté était-elle mise?
– Sa Majesté portait une robe de taffetas gris perle, une mante de mousseline brodée, un manchon d'hermine, un chapeau de velours rose, à grands rubans noirs.
C'était un signalement tout opposé à celui donné pour Oliva.
M. de Crosne manifesta une vive surprise, le comte de Provence se mordit les lèvres.
Le roi se frotta les mains.
– Et qu'a fait la reine en entrant? dit-il.
– Sire, vous avez raison de dire en entrant, car, à peine étions-nous entrées…
– Ensemble?
– Oui, sire, ensemble; et à peine étions-nous entrées dans le premier salon, où nul n'avait pu nous remarquer, tant était grande l'attention donnée aux mystères magnétiques, qu'une femme s'approcha de Sa Majesté, lui offrit un masque, la suppliant de ne pas pousser plus avant.
– Et vous vous arrêtâtes? dit vivement le comte de Provence.
– Oui, monsieur.
– Et vous n'avez pas franchi le seuil du premier salon? demanda M. de Crosne.
– Non, monsieur.
– Et vous n'avez pas quitté le bras de la reine? fit le roi avec un reste d'anxiété.
– Pas une seconde; le bras de Sa Majesté n'a pas cessé de s'appuyer sur le mien.
– Eh bien! s'écria tout à coup le roi, qu'en pensez-vous, monsieur de Crosne? Mon frère, qu'en dites-vous?
– C'est extraordinaire, c'est surnaturel, dit Monsieur en affectant une gaieté qui décelait, mieux que n'eût fait le doute, tout son dépit de la contradiction.
– Il n'y a rien de surnaturel là-dedans, se hâta de répondre M. de Crosne, à qui la joie bien naturelle du roi donnait une sorte de remords; ce que Mme la princesse a dit ne peut être que la vérité.
– Il en résulte?.. dit M. de Provence.
– Il en résulte, monseigneur, que mes agents se sont trompés.
– Parlez-vous bien sérieusement? demanda le comte de Provence avec le même tressaillement nerveux.
– Tout à fait, monseigneur, mes agents se sont trompés; Sa Majesté a fait ce que vient de dire Mme de Lamballe, et pas autre chose. Quant au gazetier, si je suis convaincu par les paroles éminemment vraies de Mme la princesse, je crois que ce maraud doit l'être aussi: je vais envoyer l'ordre de l'écrouer sur-le-champ.
Mme de Lamballe tournait et retournait la tête, avec la placidité de l'innocence qui s'informe sans plus de curiosité que de crainte.
– Un moment, dit le roi, un moment; il sera toujours temps de faire pendre ce gazetier. Vous avez parlé d'une femme qui aurait arrêté la reine à l'entrée du salon: princesse, dites-nous quelle était cette femme.
– Sa Majesté paraît la connaître, sire; je dirai même, toujours parce que je ne mens pas, que Sa Majesté la connaît, je le sais.
– C'est que, voyez-vous, cousine, il faut que je parle à cette femme, c'est indispensable. Là est toute la vérité; là seulement est la clef du mystère.
– C'est mon avis, dit M. de Crosne, vers qui le roi s'était retourné.
«Commérage… murmura le comte de Provence. Voilà une femme qui me fait l'effet du dieu des dénouements.»
– Ma cousine, dit-il tout haut, la reine vous a avoué qu'elle connaissait cette femme?
– Sa Majesté ne m'a pas avoué, monseigneur, elle m'a raconté.
– Oui, oui, pardon.
– Mon frère veut vous dire, interrompit le roi, que si la reine connaît cette femme, vous savez aussi son nom.
– C'est Mme de La Motte-Valois.
– Cette intrigante! s'écria le roi avec dépit.
– Cette mendiante! dit le comte. Diable! diable! elle sera difficile à interroger; elle est fine.
– Nous serons aussi fins qu'elle, dit M. de Crosne. Et d'ailleurs, il n'y a pas de finesse, depuis la déclaration de Mme de Lamballe. Ainsi, au premier mot du roi…
– Non, non, fit Louis XVI avec découragement, je suis las de voir cette mauvaise société autour de la reine. La reine est si bonne, que le prétexte de la misère lui amène tout ce qu'il y a de gens équivoques dans la noblesse infime du royaume.
– Mme de La Motte est réellement Valois, dit Mme de Lamballe.
– Qu'elle soit ce qu'elle voudra, ma cousine, je ne veux pas qu'elle mette les pieds ici. J'aime mieux me priver de cette joie immense que m'eût faite l'entière absolution de la reine; oui, j'aime mieux renoncer à cette joie, que de voir en face cette créature.
– Et pourtant vous la verrez, s'écria la reine, pâle de colère, en ouvrant la porte du cabinet et en se montrant, belle de noblesse et d'indignation, aux yeux éblouis du comte de Provence, qui salua gauchement derrière le battant de la porte replié sur lui. Oui, sire, continua la reine, il ne s'agit pas de dire: «J'aime à voir ou je crains de voir cette créature»; cette créature est un témoin à qui l'intelligence de mes accusateurs…
Elle regarda son beau-frère.
– Et la franchise de mes juges…
Elle se tourna vers le roi et M. de Crosne.