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Le Collier de la Reine, Tome I

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2017
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Elle sut apprécier ce que Jeanne avait mis de délicatesse et de réserve dans sa déposition improvisée, comme aussi le tact vraiment remarquable avec lequel, après le succès, elle restait dans l'ombre.

En effet, Jeanne, qui venait, par un bonheur inouï, d'être initiée du premier coup à ces secrets d'intimité que les courtisans les plus habiles chassent dix ans sans les atteindre, et partant sûre désormais d'être pour beaucoup dans une journée importante de la reine, n'en prenait pas avantage par un de ces riens que la susceptibilité orgueilleuse des grands sait deviner sur le visage des inférieurs.

Aussi la reine, au lieu d'accepter la proposition que lui fit Jeanne de lui présenter ses respects et de partir, la retint-elle par un sourire aimable en disant:

– Il est vraiment heureux, comtesse, que vous m'ayez empêchée d'entrer chez Mesmer avec la princesse de Lamballe; car, voyez la noirceur: on m'a vue, soit à la porte, soit à l'antichambre, et l'on a pris texte de là pour dire que j'avais été dans ce qu'ils appellent la salle aux crises. N'est-ce pas cela?

– La salle aux crises, oui, madame.

– Mais, dit la princesse de Lamballe, comment se fait-il que, si les assistants ont su que la reine était là, les agents de M. de Crosne s'y soient trompés? Là est le mystère, selon moi; les agents du lieutenant de police affirment en effet que la reine a été dans la salle aux crises.

– C'est vrai, dit la reine pensive. Et il n'y a nul intérêt de la part de M. de Crosne, qui est un honnête homme et qui m'aime; mais des agents peuvent avoir été soudoyés, chère Lamballe. J'ai des ennemis, vous le voyez. Il faut que ce bruit ait reposé sur quelque chose. Dites-nous donc le détail, madame la comtesse. D'abord, l'infâme brochure me représente enivrée, fascinée, magnétisée de telle sorte que j'aurais perdu toute dignité de femme. Qu'y a-t-il de vraisemblable là-dedans? Y a-t-il eu, ce jour-là, une femme?..

Jeanne rougit. Le secret se présentait encore à elle, le secret dont un seul mot pouvait détruire sa funeste influence sur la destinée de la reine.

Ce secret, Jeanne, en le révélant, perdait l'occasion d'être utile, indispensable même à Sa Majesté. Cette situation ruinait son avenir; elle se tint réservée comme la première fois.

– Madame, dit-elle, il y avait, en effet, une femme très agitée qui s'est beaucoup affichée par ses contorsions et son délire. Mais il me semble…

– Il vous semble, dit vivement la reine, que cette femme était quelque femme de théâtre, ou ce qu'on appelle une fille du monde, et non pas la reine de France, n'est-ce pas?

– Certes, non, madame.

– Comtesse, vous avez très bien répondu au roi; et maintenant, c'est à moi de parler pour vous. Voyons, où en êtes-vous de vos affaires? À quel moment comptez-vous faire reconnaître vos droits? Mais n'y a-t-il pas quelqu'un, princesse?..

Mme de Misery entra.

– Votre Majesté veut-elle recevoir Mlle de Taverney? demanda la femme de chambre.

– Elle! assurément. Oh! la cérémonieuse! jamais elle ne manquerait à l'étiquette. Andrée! Andrée! venez donc.

– Votre Majesté est trop bonne pour moi, dit celle-ci en saluant avec grâce.

Et elle aperçut Jeanne qui, reconnaissant la seconde dame allemande du bureau de secours, venait d'appeler à son aide une rougeur et une modestie de commande.

La princesse de Lamballe profita du renfort survenu à la reine pour retourner à Sceaux, chez le duc de Penthièvre.

Andrée prit place à côté de Marie-Antoinette, ses yeux calmes et scrutateurs fixés sur Mme de La Motte.

– Eh bien! Andrée, dit la reine, voilà cette dame que nous allâmes voir le dernier jour de la gelée.

– J'ai reconnu madame, répliqua Andrée en s'inclinant.

Jeanne, déjà orgueilleuse, se hâta de chercher sur les traits d'Andrée un symptôme de jalousie. Elle ne vit rien qu'une parfaite indifférence.

Andrée, avec les mêmes passions que la reine, Andrée, femme et supérieure à toutes les femmes en bonté, en esprit, en générosité, si elle eût été heureuse, Andrée se renfermait dans son impénétrable dissimulation que toute la cour prenait pour la fière pudeur de Diane virginale.

– Savez-vous, lui dit la reine, ce qu'on a dit sur moi au roi?

– On a dû dire tout ce qu'il a de plus mauvais, répliqua Andrée, précisément parce qu'on ne saurait dire assez ce qu'il y a de bon.

– Voilà, dit Jeanne simplement, la plus belle phrase que j'aie entendue. Je la dis belle, parce qu'elle rend, sans en rien ôter, le sentiment qui est celui de toute ma vie, et que mon faible esprit n'aurait jamais su formuler ces paroles.

– Je vous conterai cela, Andrée.

– Oh! je le sais, dit celle-ci; M. le comte de Provence l'a raconté tout à l'heure; une amie à moi l'a entendu.

– C'est un heureux moyen, dit la reine avec colère, de propager le mensonge après avoir rendu hommage à la vérité. Laissons cela. J'en étais avec la comtesse à l'exposé de sa situation. Qui vous protège, comtesse?

– Vous, madame, dit hardiment Jeanne; vous qui me permettez de venir vous baiser la main.

– Elle a du cœur, dit Marie-Antoinette à Andrée, et j'aime ses élans.

Andrée ne répondit rien.

– Madame, continua Jeanne, peu de personnes m'ont osé protéger quand j'étais dans la gêne et dans l'obscurité; mais à présent qu'on m'aura vue une fois à Versailles, tout le monde va se disputer le droit d'être agréable à la reine, je veux dire à une personne que Sa Majesté a daigné honorer d'un regard.

– Eh quoi! dit la reine en s'asseyant, nul n'a été assez brave ou assez corrompu pour vous protéger pour vous-même?

– J'ai eu d'abord Mme de Boulainvilliers, répondit Jeanne, une femme brave; puis M. de Boulainvilliers, un protecteur corrompu… Mais depuis mon mariage, personne, oh! personne! dit-elle avec une syncope des plus habiles. Oh! pardon, j'oubliais un galant homme, prince généreux…

– Un prince! comtesse; qui donc?

– M. le cardinal de Rohan.

La reine fit un mouvement brusque vers Jeanne.

– Mon ennemi! dit-elle en souriant.

– Ennemi de Votre Majesté, lui! le cardinal! s'écria Jeanne. Oh! madame.

– On dirait que cela vous étonne, comtesse, qu'une reine ait un ennemi. Comme on voit que vous n'avez pas vécu à la cour!

– Mais, madame, le cardinal est en adoration devant Votre Majesté, du moins je croyais le savoir; et, si je ne me suis pas trompée, son respect pour l'auguste épouse du roi égale son dévouement.

– Oh! je vous crois, comtesse, reprit Marie-Antoinette en se livrant à sa gaieté habituelle, je vous crois en partie. Oui, c'est cela, le cardinal est en adoration.

Et elle se tourna, en disant ces mots, vers Andrée de Taverney avec un franc éclat de rire.

– Eh bien! comtesse, oui, M. le cardinal est en adoration. Voilà pourquoi il est mon ennemi.

Jeanne de La Motte affecta la surprise d'une provinciale.

– Ah! vous êtes la protégée de M. le prince archevêque Louis de Rohan, continua la reine. Contez-nous donc cela, comtesse.

– C'est bien simple, madame. Son Excellence, par les procédés les plus magnanimes, les plus délicats, la générosité la plus ingénieuse, m'a secourue.

– Très bien. Le prince Louis est prodigue, on ne peut lui refuser cela. Est-ce que vous ne pensez pas, Andrée, que M. le cardinal pourra bien ressentir aussi quelque adoration pour cette jolie comtesse? Hein! comtesse, voyons, dites-nous!

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