– Vous êtes fou!
– J'étais sûr que vous me diriez cela. J'aurais dû ne pas m'y exposer, c'est ma faute.
La reine se leva tout à coup, fit quelques pas dans la chambre avec agitation.
Le comte la regardait d'un air étonné.
Andrée frissonnait de crainte et d'inquiétude.
Jeanne s'enfonçait les ongles dans la chair pour garder bonne contenance.
La reine s'arrêta.
– Mon ami, dit-elle au jeune prince, ne plaisantons pas; j'ai un si mauvais caractère, que, vous voyez, je perds déjà patience; avouez-moi vite que vous avez voulu vous divertir à mes dépens, et je serai très heureuse.
– Je vous avouerai cela si vous le voulez, ma sœur.
– Soyez sérieux, Charles.
– Comme un poisson, ma sœur.
– Par grâce, dites-moi, vous avez forgé ce conte, n'est-ce pas?
Il regarda, en clignant, les dames; puis:
– Oui, j'ai forgé, dit-il, veuillez m'excusez.
– Vous ne m'avez pas comprise, mon frère, répéta la reine avec véhémence. Oui ou non, devant ces dames, retirez-vous ce que vous avez dit? Ne mentez pas; ne me ménagez pas.
Andrée et Jeanne s'éclipsèrent derrière la tenture des Gobelins.
– Eh bien! sœur, dit le prince à voix basse, quand elles n'y furent plus, j'ai dit la vérité; que ne m'avertissiez-vous plus tôt?
– Vous m'avez vue au bal de l'Opéra?
– Comme je vous vois, et vous m'avez vu aussi.
La reine poussa un cri, rappela Jeanne et Andrée, courut les chercher de l'autre côté de la tapisserie, les ramena chacune par une main, les entraînant rapidement toutes deux.
– Mesdames, M. le comte d'Artois affirme, dit-elle, qu'il m'a vue à l'Opéra.
– Oh! murmura Andrée.
– Il n'est plus temps de reculer, continua la reine, prouvez, prouvez…
– Voici, dit le prince. J'étais avec le maréchal de Richelieu, avec M. de Calonne, avec… ma foi! avec du monde. Votre masque est tombé.
– Mon masque!
– J'allais vous dire: «C'est plus que téméraire, ma sœur»; mais vous avez disparu, entraînée par le cavalier qui vous donnait le bras.
– Le cavalier! Oh! mon Dieu! mais vous me rendez folle.
– Un domino bleu, fit le prince.
La reine passa sa main sur son front.
– Quel jour cela? dit-elle.
– Samedi, la veille de mon départ pour la chasse. Vous dormiez encore, le matin, quand je suis parti, sans quoi je vous eusse dit ce que je viens de dire.
– Mon Dieu! mon Dieu! À quelle heure m'avez-vous vue?
– Il pouvait être de deux à trois heures.
– Décidément, je suis folle ou vous êtes fou.
– Je vous répète que c'est moi… je me serai trompé… cependant…
– Cependant…
– Ne vous faites pas tant de mal… On n'en a rien su… Un moment j'avais cru que vous étiez avec le roi; mais le personnage parlait allemand, et le roi ne sait que l'anglais.
– Allemand… un Allemand. Oh! j'ai une preuve, mon frère. Samedi, j'étais couchée à onze heures.
Le comte salua comme un homme incrédule, en souriant.
La reine sonna.
– Mme de Misery va vous le dire, dit-elle.
Le comte se mit à rire.
– Que n'appelez-vous aussi Laurent, le suisse des Réservoirs; il portera aussi témoignage. C'est moi qui ai fondu ce canon, petite sœur, ne le tirez pas sur moi.
– Oh! fit la reine avec rage; oh! ne pas être crue!
– Je vous croirais si vous vous mettiez moins en colère; mais le moyen! Si je vous dis oui, d'autres diront, après être venus, non.
– D'autres? Quels autres?
– Pardieu! ceux qui ont vu comme moi.
– Ah! voilà qui est curieux, par exemple! Il y a des gens qui m'ont vue. Eh bien! montrez-les-moi.
– Tout de suite… Philippe de Taverney est-il là?
– Mon frère! dit Andrée.