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Maria (Français)

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2023
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Alors, Bruno, votre mariage est-il pr?t pour apr?s-demain ?

Oui, mon ma?tre, rеpondit-il en ?tant son chapeau de roseau et en s'appuyant sur le manche de sa b?che.

–Qui sont les parrains et marraines ?

–Je serai avec Dolores et M. Anselmo, s'il vous pla?t.

–Eh bien, Remigia et toi serez bien confessеs. Remigia et vous serez bien confessеs. Avez-vous achetе tout ce dont vous aviez besoin pour elle et pour vous avec l'argent que j'ai envoyе pour vous ?

–C'est fait, mon ma?tre.

–Et c'est tout ce que vous voulez ?

–Vous verrez.

–La pi?ce que Higinio vous a indiquеe, c'est bien ?

–Oui, mon ma?tre.

–Oh, je sais. Ce que vous voulez, c'est de la danse.

Bruno rit alors, montrant ses dents d'une blancheur еblouissante, et se tourne vers ses compagnons.

–C'est bien ; vous vous conduisez tr?s bien. Vous savez, ajouta-t-il en se tournant vers Higinio, arrangez cela, et rendez-les heureux.

–Et ils partent en premier ? -demande Bruno.

Non, rеpondis-je, nous sommes invitеs.

Le samedi matin suivant, ? l'aube, Bruno et Remigia se sont mariеs. Ce soir-l?, ? sept heures, mon p?re et moi sommes montеs ? cheval pour aller au bal, dont nous commencions ? peine ? entendre la musique. Lorsque nous sommes arrivеs, Julian, le capitaine esclave de la bande, est sorti pour nous mettre le pied ? l'еtrier et recevoir nos chevaux. Il еtait v?tu de son costume du dimanche et portait ? la taille la longue machette plaquеe d'argent qui еtait l'insigne de son emploi. Une pi?ce de notre ancienne maison d'habitation avait еtе vidеe des biens de travail qu'elle contenait, afin d'y organiser le bal. Un lustre en bois, suspendu ? l'un des chevrons, faisait tourner une demi-douzaine de lumi?res : les musiciens et les chanteurs, un mеlange d'agrеgеs, d'esclaves et de manumissionnaires, occupaient l'une des portes. Il n'y avait que deux fl?tes de roseau, un tambour improvisе, deux alfandoques et un tambourin ; mais les voix fines des negritos entonnaient les bambucos avec une telle ma?trise ; il y avait dans leurs chants une combinaison si sinc?re d'accords mеlancoliques, joyeux et lеgers ; les vers qu'ils chantaient еtaient si tendrement simples, que le dilettante le plus instruit aurait еcoutе en extase cette musique ? demi sauvage. Nous sommes entrеs dans la salle avec nos chapeaux et nos bonnets. Remigia et Bruno dansaient ? ce moment-l? : elle, v?tue d'un follao de bolеros bleus, d'un tumbadillo ? fleurs rouges, d'une chemise blanche brodеe de noir, d'un collier et de boucles d'oreilles en verre rubis, dansait avec toute la douceur et la gr?ce que l'on pouvait attendre de sa stature de cimbrador. Bruno, avec ses ruanes enfilеes repliеes sur les еpaules, sa culotte de couverture aux couleurs vives, sa chemise blanche aplatie et un nouveau cabiblanco autour de la taille, tapait du pied avec une admirable dextеritе.

Apr?s cette main, qui est le nom que les paysans donnent ? chaque morceau de danse, les musiciens jou?rent leur plus beau bambuco, car Julien leur annon?a que c'еtait pour le ma?tre. Remigia, encouragеe par son mari et par le capitaine, se rеsolut enfin ? danser quelques instants avec mon p?re ; mais alors elle n'osait plus lever les yeux, et ses mouvements dans la danse еtaient moins spontanеs. Au bout d'une heure, nous nous retir?mes.

Mon p?re fut satisfait de mon attention pendant la visite que nous f?mes aux domaines ; mais quand je lui dis que je voulais dеsormais partager ses fatigues en restant ? ses c?tеs, il me dit, presque avec regret, qu'il еtait obligе de me sacrifier son propre bien-?tre, en accomplissant la promesse qu'il m'avait faite quelque temps auparavant, de m'envoyer en Europe pour y terminer mes еtudes mеdicales, et que je devais me mettre en route dans quatre mois au plus tard. Tandis qu'il me parlait ainsi, son visage prenait, sans affectation, la gravitе solennelle que l'on remarque chez lui lorsqu'il prend des rеsolutions irrеvocables. Cela se passa le soir o? nous retournions ? la sierra. La nuit commen?ait ? tomber et, s'il n'en avait pas еtе ainsi, j'aurais remarquе l'еmotion que son refus m'avait causеe. Le reste du voyage se fit en silence ; comme j'aurais еtе heureux de revoir Maria, si la nouvelle de ce voyage ne s'еtait pas interposеe entre elle et mes espеrances !

Chapitre VI

Que s'est-il passе pendant ces quatre jours dans l'?me de Marie ?

Elle allait poser une lampe sur une des tables du salon, lorsque je m'approchai pour la saluer ; et j'avais dеj? еtе surpris de ne pas la voir au milieu du groupe familial sur les marches o? nous venions de descendre. Le tremblement de sa main dеcouvrit la lampe, et je lui pr?tai main-forte, moins calme que je ne croyais l'?tre. Elle me parut un peu p?le, et autour de ses yeux se dessinait une ombre lеg?re, imperceptible pour qui l'avait vue sans la regarder. Elle tourna son visage vers ma m?re, qui parlait en ce moment, m'emp?chant ainsi de l'examiner ? la lumi?re qui еtait pr?s de nous ; et je remarquai alors qu'? la t?te d'une de ses tresses еtait un Cillet fanе ; et c'еtait sans doute celui que je lui avais donnе la veille de mon dеpart pour la Vallеe. La petite croix de corail еmaillе que j'avais apportеe pour elle, comme celles de mes sCurs, elle la portait autour du cou sur un cordon de cheveux noirs. Elle еtait silencieuse, assise au milieu des si?ges que ma m?re et moi occupions. Comme la rеsolution de mon p?re au sujet de mon voyage ne s'еtait pas effacеe de ma mеmoire, je devais lui para?tre triste, car elle me dit d'une voix presque basse :

Le voyage vous a-t-il fait du mal ?

Non, Maria, rеpondis-je, mais nous avons pris des bains de soleil et nous nous sommes tellement promenеs....

J'allais lui dire encore quelque chose, mais l'accent confidentiel de sa voix, la lumi?re nouvelle de ses yeux dont je m'еtonnais, m'emp?ch?rent de faire plus que la regarder, jusqu'? ce que, remarquant qu'elle еtait embarrassеe par la fixitе involontaire de mes regards, et me trouvant examinе par un de ceux de mon p?re (plus craintif quand un certain sourire passager errait sur ses l?vres), je sortis de la pi?ce pour aller dans ma chambre.

J'ai fermе les portes. Il y avait les fleurs qu'elle avait cueillies pour moi : je les ai embrassеes ; j'ai voulu respirer tous leurs parfums ? la fois, en y cherchant ceux des v?tements de Marie ; je les ai baignеes de mes larmes.... Ah, vous qui n'avez pas pleurе de bonheur comme cela, pleurez de dеsespoir, si votre adolescence est passеe, parce que vous n'aimerez plus jamais !

Premier amour !… noble orgueil de se sentir aimе : doux sacrifice de tout ce qui nous еtait cher auparavant en faveur de la femme aimеe : bonheur que, achetе pour un jour avec les larmes de toute une existence, nous recevrions comme un don de Dieu : parfum pour toutes les heures de l'avenir : lumi?re inextinguible du passе : fleur gardеe dans l'?me et qu'il n'est pas donnе aux dеceptions de flеtrir : seul trеsor que l'envie des hommes ne peut nous arracher : dеlire dеlicieux… inspiration venue du ciel… Marie, Marie, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe…

Chapitre VII

Lorsque mon p?re fit son dernier voyage aux Antilles, Salomon, un de ses cousins qu'il aimait beaucoup depuis son enfance, venait de perdre sa femme. Tr?s jeunes, ils еtaient partis ensemble pour l'Amеrique du Sud et, au cours d'un de leurs voyages, mon p?re еtait tombе amoureux de la fille d'un Espagnol, intrеpide capitaine de vaisseau, qui, apr?s avoir quittе le service pendant quelques annеes, avait еtе forcе en 1819 de reprendre les armes pour dеfendre les rois d'Espagne et qui avait еtе fusillе ? Majagual le 20 mai 1820.

La m?re de la jeune femme que mon p?re aimait exigeait qu'il renonce ? la religion juive pour la lui donner comme еpouse. Mon p?re devint chrеtien ? l'?ge de vingt ans. ? l'еpoque, sa cousine aimait la religion catholique, mais il n'a pas cеdе ? son insistance de se faire baptiser ? son tour, car il savait que ce que mon p?re avait fait pour lui donner la femme qu'il voulait l'emp?cherait d'?tre acceptе par la femme qu'il aimait en Jama?que.

Apr?s quelques annеes de sеparation, les deux amis se retrouvent. Salomon еtait dеj? veuf. Sarah, sa femme, lui avait laissе un enfant qui avait alors trois ans. Mon p?re le trouva moralement et physiquement dеfigurе par le chagrin, puis sa nouvelle religion lui apporta des rеconforts pour son cousin, rеconforts que les proches avaient vainement cherchеs pour le sauver. Il pressa Salomon de lui donner sa fille pour l'еlever ? nos c?tеs, et il osa proposer d'en faire une chrеtienne. Salomon y consentit en disant : "Il est vrai que ma fille seule m'a emp?chе d'entreprendre un voyage aux Indes, qui aurait amеliorе mon esprit et remеdiе ? ma pauvretе ; elle a aussi еtе mon seul rеconfort apr?s la mort de Sarah ; mais si vous le voulez, qu'elle soit votre fille. Les femmes chrеtiennes sont douces et bonnes, et votre femme doit ?tre une sainte m?re. Si le christianisme apporte dans les malheurs supr?mes le soulagement que vous m'avez donnе, peut-?tre rendrais-je ma fille malheureuse en la laissant juive. Ne le dites pas ? nos parents, mais lorsque vous atteindrez la premi?re c?te o? il y aura un pr?tre catholique, faites-la baptiser et changez le nom d'Esther en celui de Marie. C'est ce que dit le malheureux en versant beaucoup de larmes.

Quelques jours plus tard, la goеlette qui devait emmener mon p?re sur la c?te de la Nouvelle-Grenade appareillait ? Montego Bay. Le bateau lеger essayait ses ailes blanches, comme un hеron de nos for?ts essaie ses ailes avant de s'envoler pour un long vol. Salomon entra dans la chambre de mon p?re, qui venait de finir de raccommoder son costume de bord, portant Esther assise dans un de ses bras, et suspendu ? l'autre un coffre contenant les bagages de l'enfant : elle tendit ses petits bras ? son oncle, et Salomon, la pla?ant dans ceux de son ami, se laissa tomber en sanglotant sur la petite botte. Cette enfant, dont la t?te prеcieuse venait de baigner d'une pluie de larmes le bapt?me de la douleur plut?t que la religion de Jеsus, еtait un trеsor sacrе ; mon p?re le savait bien, et ne l'oublia jamais. Au moment de sauter dans le bateau qui devait les sеparer, son ami rappela ? Solomon une promesse, et il rеpondit d'une voix еtranglеe : "Les pri?res de ma fille pour moi, et les miennes pour elle et sa m?re, monteront ensemble jusqu'aux pieds du Crucifiе.

J'avais sept ans lorsque mon p?re revint, et je dеdaignai les prеcieux jouets qu'il m'avait apportеs de son voyage, pour admirer cette belle, douce et souriante enfant. Ma m?re la couvrait de caresses, et mes sCurs de tendresse, d?s que mon p?re la dеposa sur les genoux de sa femme et lui dit : "Voici la fille de Salomon, qu'il t'envoie.

Au cours de nos jeux enfantins, ses l?vres ont commencе ? moduler les accents castillans, si harmonieux et sеduisants dans la bouche d'une jolie femme et dans celle, rieuse, d'un enfant.

Cela doit remonter ? six ans environ. Un soir, en entrant dans la chambre de mon p?re, je l'entendis sangloter ; ses bras еtaient croisеs sur la table et son front appuyе sur eux ; pr?s de lui, ma m?re pleurait et Marie appuyait sa t?te sur ses genoux, ne comprenant pas sa douleur et presque indiffеrente aux lamentations de son oncle ; c'est qu'une lettre de Kingston, re?ue ce jour-l?, donnait la nouvelle de la mort de Salomon. Je ne me souviens que d'une seule expression de mon p?re cet apr?s-midi-l? : "S'ils me quittent tous sans que je puisse recevoir leurs derniers adieux, pourquoi retournerais-je dans mon pays ? Hеlas ! ses cendres devraient reposer dans un pays еtranger, sans que les vents de l'ocеan, sur les rives duquel il s'est еbattu enfant, dont il a traversе l'immensitе jeune et ardente, ne viennent balayer sur la dalle de son sеpulcre les fleurs s?ches des rameaux de la floraison et la poussi?re des annеes !

Peu de personnes connaissant notre famille auraient soup?onnе que Maria n'еtait pas la fille de mes parents. Elle parlait bien notre langue, еtait gentille, vive et intelligente. Lorsque ma m?re lui caressait la t?te en m?me temps que mes sCurs et moi, personne n'aurait pu deviner qui еtait l'orpheline.

Elle avait neuf ans. Les cheveux abondants, encore d'un brun clair, flottant librement et virevoltant autour de sa taille fine et mobile ; les yeux bavards ; l'accent avec quelque chose de mеlancolique que nos voix n'avaient pas ; telle еtait l'image que j'emportais d'elle en quittant la maison de ma m?re : telle elle еtait le matin de ce triste jour, sous les plantes grimpantes des fen?tres de ma m?re.

Chapitre VIII

En dеbut de soirеe, Emma frappa ? ma porte pour venir ? table. Je me suis lavе le visage pour cacher les traces de larmes et j'ai changе de robe pour excuser mon retard.

Mary n'еtait pas dans la salle ? manger, et j'imaginais vainement que ses occupations l'avaient retardеe plus longtemps que d'habitude. Mon p?re, remarquant un si?ge inoccupе, la demanda, et Emma l'excusa en disant qu'elle avait mal ? la t?te depuis l'apr?s-midi et qu'elle dormait. J'essayai de ne pas me laisser impressionner et, m'effor?ant de rendre la conversation agrеable, je parlai avec enthousiasme de toutes les amеliorations que j'avais trouvеes dans les propriеtеs que nous venions de visiter. Emma et ma m?re se lev?rent pour mettre les enfants au lit et voir comment allait Maria, ce dont je les remerciai et ne m'еtonnai plus du m?me sentiment de gratitude.

Bien qu'Emma soit retournеe dans la salle ? manger, la conversation ne dura pas longtemps. Philippe et Elo?se, qui avaient insistе pour que je participe ? leur jeu de cartes, accus?rent mes yeux de somnolence. Il avait demandе en vain ? ma m?re la permission de m'accompagner ? la montagne le lendemain, et s'еtait retirе mеcontent.

Mеditant dans ma chambre, je crus deviner la cause de la souffrance de Maria. Je me rappelais la mani?re dont j'avais quittе la chambre apr?s mon arrivеe, et comment l'impression produite sur moi par son accent confidentiel m'avait fait lui rеpondre avec le manque de tact propre ? celui qui rеprime une еmotion. Connaissant l'origine de son chagrin, j'aurais donnе mille vies pour obtenir d'elle un pardon ; mais le doute aggravait la confusion de mon esprit. Je doutais de l'amour de Marie ; pourquoi, me disais-je, mon cCur s'efforcerait-il de croire qu'elle subissait ce m?me martyre ? Je me jugeais indigne de possеder tant de beautе, tant d'innocence. Je me reprochais l'orgueil qui m'avait aveuglеe au point de me croire l'objet de son amour, n'еtant digne que de son affection de sCur. Dans ma folie, je pensais avec moins de terreur, presque avec plaisir, ? mon prochain voyage.

Chapitre IX

Le lendemain, je me suis levе ? l'aube. Les lueurs qui dessinaient les sommets de la cha?ne centrale ? l'est, doraient en demi-cercle quelques nuages lеgers qui se dеtachaient les uns des autres pour s'еloigner et dispara?tre. Les pampas vertes et les jungles de la vallеe еtaient vues comme ? travers un verre bleutе, et au milieu d'elles, quelques huttes blanches, la fumеe des montagnes fra?chement br?lеes s'еlevant en spirale, et parfois les remous d'une rivi?re. La cha?ne de montagnes de l'Ouest, avec ses plis et ses poitrines, ressemblait ? des manteaux de velours bleu foncе suspendus ? leur centre par les mains de gеnies voilеs par les brumes. Devant ma fen?tre, les rosiers et le feuillage des arbres du verger semblaient craindre les premi?res brises qui viendraient faire tomber la rosеe qui scintillait sur leurs feuilles et leurs fleurs. Tout cela me paraissait triste. Je pris le fusil : je fis signe ? l'affectueux Mayo qui, assis sur ses pattes de derri?re, me regardait fixement, les sourcils froncеs par une attention excessive, attendant le premier ordre ; et, sautant par-dessus la cl?ture de pierre, je pris le sentier de la montagne. En entrant, je le trouvai frais et tremblant sous les caresses des derni?res auras de la nuit. Les hеrons quittaient leurs perchoirs, leur vol formant des lignes ondulantes que le soleil argentait, comme des rubans laissеs au grе du vent. De nombreuses volеes de perroquets s'еlevaient des fourrеs pour se diriger vers les champs de ma?s voisins ; et le diostedе saluait le jour de son chant triste et monotone depuis le cCur de la sierra.

Je descendis vers la plaine montagneuse de la rivi?re par le m?me chemin que j'avais empruntе ? maintes reprises six ans auparavant. Le tonnerre de son dеbit augmentait, et en peu de temps je dеcouvris les ruisseaux, impеtueux lorsqu'ils se prеcipitaient sur les chutes, bouillants dans les chutes, limpides et lisses dans les bras morts, roulant toujours sur un lit de rochers couverts de mousse, bordеs sur les rives d'iracales, de foug?res et de roseaux aux tiges jaunes, au plumage soyeux et aux semis pourpres.

Je m'arr?tai au milieu du pont, formе par l'ouragan avec un c?dre robuste, celui-l? m?me o? j'еtais passе autrefois. Des parasites fleuris pendaient ? ses lattes, et des clochettes bleues et irisеes descendaient en festons de mes pieds pour se balancer dans les vagues. Une vеgеtation luxuriante et alti?re vo?tait la rivi?re par intervalles, et ? travers elle pеnеtraient quelques rayons du soleil levant, comme ? travers le toit brisе d'un temple indien dеsertе. Mayo hurla l?chement sur la rive que je venais de quitter et, sous mon impulsion, se rеsolut ? passer sur le pont fantastique, empruntant aussit?t, devant moi, le sentier qui menait ? la propriеtе du vieux Josе, qui attendait de moi, ce jour-l?, le paiement de sa visite de bienvenue.

Apr?s une petite pente raide et sombre, et apr?s avoir sautе par-dessus les arbres secs de la derni?re coupe du highlander, je me suis retrouvе dans la petite place plantеe de lеgumes, d'o? je pouvais voir fumer la petite maison au milieu des collines vertes, que j'avais laissеe au milieu de bois apparemment indestructibles. Les vaches, belles par leur taille et leur couleur, mugissaient ? la porte du corral ? la recherche de leurs veaux. Les volailles domestiques еtaient en effervescence, recevant leur ration matinale ; dans les palmiers voisins, еpargnеs par la hache des cultivateurs, les oropendolas se balan?aient bruyamment dans leurs nids suspendus, et au milieu de tout ce joyeux brouhaha, on entendait parfois le cri strident de l'oiseleur qui, depuis son barbecue et armе d'un lance-pierre, chassait les aras affamеs qui voltigeaient au-dessus du champ de ma?s.

Les chiens de l'Antioquien l'ont prеvenu de mon arrivеe par leurs aboiements. Mayo, qui les craignait, s'approcha de moi d'un air maussade. Josе sortit pour m'accueillir, la hache dans une main et le chapeau dans l'autre.

La petite habitation еtait synonyme de travail, d'еconomie et de propretе : tout еtait rustique, mais confortablement arrangе, et chaque chose еtait ? sa place. Le salon de la petite maison, parfaitement balayе, avec des bancs de bambou tout autour, recouvert de nattes de roseau et de peaux d'ours, quelques gravures sur papier enluminеes, reprеsentant des saints, et еpinglеes avec des еpines d'orange sur les murs еcrus, avait ? droite et ? gauche la chambre ? coucher de la femme de Joseph et la chambre ? coucher des filles. La cuisine, faite de roseau et coiffеe de feuilles de la m?me plante, еtait sеparеe de la maison par un petit potager o? persil, camomille, pennyroyal et basilic m?laient leurs ar?mes.

Les femmes semblaient plus soignеes que d'habitude. Les filles, Lucia et Transito, portaient des jupons de sarsen violet, des chemises tr?s blanches avec des robes de dentelle garnies de galons noirs, sous lesquels elles cachaient une partie de leurs chapelets, et des colliers ras-de-cou d'ampoules de verre couleur d'opale. Les tresses еpaisses et couleur de jais de leurs cheveux jouaient dans leur dos au moindre mouvement de leurs pieds nus, prudents et agitеs. Ils me parlaient avec beaucoup de timiditе et c'est leur p?re qui, s'en apercevant, les encourageait en disant : "Ephra?m n'est-il pas le m?me enfant, puisqu'il sort de l'еcole sage et grandi ? Puis ils devinrent plus joviaux et plus souriants : ils nous liaient amicalement avec les souvenirs des jeux de l'enfance, puissants dans l'imagination des po?tes et des femmes. Avec la vieillesse, la physionomie de Josе avait beaucoup gagnе : bien qu'il ne port?t pas la barbe, son visage avait quelque chose de biblique, comme presque tous ceux des vieillards de bonnes mani?res du pays o? il еtait nе : d'abondants cheveux gris ombrageaient son front large et grillе, et ses sourires rеvеlaient une sеrеnitе d'?me. Luisa, sa femme, plus heureuse que lui dans la lutte contre les annеes, conservait dans ses v?tements quelque chose de la mani?re antioquienne, et sa jovialitе constante montrait clairement qu'elle еtait satisfaite de son sort.

Josе me conduisit ? la rivi?re et me raconta ses semailles et sa chasse, tandis que je plongeais dans le marigot diaphane d'o? l'eau se dеversait en une petite cascade. ? notre retour, nous avons trouvе le dеjeuner provocateur servi ? l'unique table de la maison. Le ma?s еtait partout : dans la soupe de mote servie dans des plats en terre vernissеe et dans les arepas dorеes еparpillеes sur la nappe. Le seul couvert еtait croisе sur mon assiette blanche et bordе de bleu.
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