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Entre ombres et obscurités

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2018
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Fuyant la honte d’un futur procès de la part d’André si ce dernier venait à découvrir l’impensable qui se produisait devant nous, je protestai à une continuation vers l’ivresse un réaménagement de mon emploi du temps. Fort heureusement il accepta, mais tâcha de d’abord terminer son larcin en prenant le numéro de la charmante serveuse, prochaine partenaire de ses activités sexuelles. Nous quittâmes ensuite les lieux d’un pas pressé dont j’imposais la cadence, laissant les tourtereaux à leur rendez-vous, abandonné que j’étais à imaginer la teneur de leur discussion et la réalité de leur relation.

Chapitre 3

Je n’en pouvais plus de la prison mentale dans laquelle j’étais injustement écroué depuis que la suite des évènements ne m’avait pas plus renseigné. Je me murais dans la fausseté, crevais devant la naïveté de ce cher Christian qui, comme pour remuer le couteau dans la plaie, ne se privait plus de jouir de la compagnie du confident que j’étais devenu pour lui. Ses histoires me torturaient, m’enfonçaient de violents coups de poignard à chaque détail de son idylle. J’agonisais en voyant une âme si blanche, si innocente, vivre dans l’ignorance d’éléments importants de son existence. Il enjolivait tout comme un enfant, me racontait ses moments de plaisir tout en usant d’une pudeur respectueuse, et moi je l’écoutais transformer sa tendre Caroline en princesse Disney, moi qui savais désormais qu’elle était certainement loin d’être Blanche-Neige. Je criais ma peine en silence, m’obligeant à devoir accompagner d’un enchantement hypocrite le conte à l’eau de rose que me rapportait le très entiché jeune homme. Mais il m’arrivait souvent l’envie de tout étaler, quitte à le frustrer et à certainement le condamner à une désastreuse dépression. Fort heureusement je réussissais tant bien que mal à me contenir, jusque-là la scène du restaurant et les commérages de ce nuisible André étaient insuffisants pour m’entrainer à créer un cataclysme dans le mental de ce jeune garçon à la fleur de l’âge. Pourquoi ruiner le rêve d’un enfant qui devait certainement n’en être qu’à sa première véritable aventure amoureuse? Pourquoi briser ce conte de fées pourtant bien commencé, entre la belle et le travailleur, tout cela à cause d’une scène certes intrigante à raison, mais pas assez flagrante pour donner lieu à une conclusion qui plus tard pourrait s’apparenter à une erreur de jugement?

C’est ainsi que je décidai d’adopter la vigilance en prêtant beaucoup plus d’attention aux faits et gestes des suspects, en les épiant tel un espion russe, dans une extraordinaire discrétion. Il ne s’agissait pas seulement du souci d’avoir la confirmation d’un amour trahi (entre Christian et sa dulcinée), mais il était aussi question de vérifier l’enracinement de mes propres convictions, de rendre plus forte la légitimité de mes opinions envers monsieur le ministre en ayant à nouveau l’assurance des valeurs que je lui connaissais. Le risque de regretter de longues minutes d’intenses débats, de multiples arguments savamment exposés dans des échanges tendus avec ceux qui m’opposaient ce que je me persuadais être des élucubrations, me tourmentait! En m’adonnant à ce silencieux espionnage, je m’anesthésiais de tout jugement de la part de ma conscience, en espérant ne jamais tenir cet élément qui détruirait toute l’estime cultivée de longues années pour celui qui a toujours été mon idole.

Mais comme s’ils s’en étaient mis d’accord, les deux individus ne se retrouvaient presque jamais dans une même pièce, et avaient cessé de se rendre dans ce restaurant où je les attendais presque chaque soir, camouflé comme ma mission de détective me le recommandait. L’espoir d’avoir juste été témoin d’un fait anodin et innocent, et donc de m’être fait avoir par une imagination influencée par de nombreux commérages, me gagnait peu à peu, mais le doute subsistait! Tous leurs comportements me semblaient désormais suspects, même le vide et le silence parlaient en leur défaveur. Et pourtant une semaine jour pour jour après la scène du restaurant, j’allais avoir la pire des réponses à mes incertitudes.

Ce jour-là, après de longues heures de travail, je me décidai poussé par une fatigue pesante de retourner à mon domicile plus tôt que d’habitude. Je sortis de mon bureau portant ma chair comme une croix, fantasmant sur l’aide d’un tapis volant pour conduire mes soixante dix kilos jusqu’à mon véhicule. Mes pieds faisaient de leur mieux pour supporter ma fatigue musculaire en s’exécutant d’une démarche presque boitillante en direction du parking. Comme si ma lourdeur physique ne suffisait pas il fallut que mon mental lui aussi soit atteint: je voyais le nouveau couple Caroline et Christian sortir de l’immeuble devant moi, heureux comme des roses en plein printemps, presqu’entrain de faire des mamours, souffrant de ne pas pouvoir se tenir la main comme les amoureux passionnés sont supposés faire. La culpabilité me rongeait comme une gangrène, me suçait tel un lupus, affectant mes os et mon cœur dans les cellules les plus reculées, je me sentais mal, mal d’être témoin oculaire d’une probable fourberie sentimentale. Mais j’avais tout de même réussi à regagner mon automobile. Ses sièges m’accueillirent à bras ouverts, me caressant de leur doux cuir jouissif, m’attendrissant d’une sensation d’aisance répondant à un besoin connexe légitiment décrié. Le ballet des voitures n’avait pas encore débuté à mon plus grand bonheur. Je quittai l’immeuble sans regarder derrière, heureux de m’échapper de cet univers peuplé de cols blancs et de prochainement jouir de la tendresse de ma chère épouse, qui devait à cette heure-là être déjà présente dans notre maisonnette.

Plongé dans un moral profondément bas et une aptitude physique encore plus molle qu’à son habitude, je me sentis touché par la grâce quand aux premiers mètres de mon parcours vers la maison, je fus agréablement surpris par la fluidité du trafic. Mais alors que la jubilation montait en moi, plusieurs automobiles m’alertèrent d’un immense bouchon en rebroussant chemin à une centaine de mètres devant moi, je saisis de ce fait l’exigence d’un changement de direction pour ne pas me retrouver coincé des heures dans une interminable queue. C’est ainsi que j’usai de ma lucidité en imitant ceux qui avaient fait le bon choix de revenir sur leurs pas, et optai sans autre choix de passer par un raccourci non bitumé sur l’avenue saint Eloi, réconforté par la puissance de mon auto qui confirmait tout le bien-fondé exposé dans les publicités que son concessionnaire passait en boucle à la télé. Tout comme moi, une longue file de voitures s’aventurait dans ce chemin de quartier sous le regard médusé des riverains, étonnés de voir autant de véhicules emprunter cette piste boueuse, ravissant la vedette à la belle route bitumée juste à côté, plus habituée à ce trafic. Après être sorti de cette ruelle de quartier, j’arrivai à ma plus grande joie au carrefour Debanje alors qu’il m’aurait fallu des heures avant d’atteindre cette jonction en empruntant la voie normale. Mon allégresse contrastait avec l’amertume qui se lisait sur les personnes parquées au carrefour, souffrantes de la rareté des taxis qui pour la plupart avaient délaissé cette partie de la ville très souvent théâtre de monstrueux embouteillages. Parmi ces pauvres gens un visage attira particulièrement mon attention en me donnant une impression de déjà-vu, cette belle gueule au front ressorti ne m’était pas inconnue, en plus d’elle, ces petits yeux étirés semblables à ceux des jolies filles asiatiques et ce teint chocolat bien entretenu me confortaient: c’était bien cette chère Christine!

Christine fut pendant trois années la secrétaire particulière auprès du ministre, cette petite dame était dotée d’un fort caractère. Je me rappelle encore du premier jour où j’avais croisé son chemin, elle m’avait tout simple empêché de rencontrer monsieur Agbwala, à l’époque j’étais encore employé de la banque atlantique. Bien sûr nos relations ne peuvent se résumer à ce malheureux incident, elles s’étaient considérablement rafraichies au fil du temps, surtout à partir du moment où je rejoignis le ministère, mais nous n’étions pas pour autant devenus les meilleurs amis du monde. Avant son départ, nous avions une relation que je qualifierais de tiède, sans réel intérêt réciproque, disons qu’il s’agissait d’une cordialité normale, un respect mutuel, une sympathie de circonstance, rien de plus que ça. Mais j’avoue qu’au moment où je découvris son visage parmi cette masse de personnes, je fus rempli d’une joyeuse émotion. Une bonne dose de nostalgie me gagnait, elle constituait de doux souvenirs, de mes débuts au ministère et mes premières maladresses.

Elle m’avait aussi vu et reconnu à travers les vitres de la voiture puisqu’elle me faisait ensuite des signes de la main, ce qui m’imposa à devoir l’inviter à prendre place sur le siège passager à l’avant de mon quatre fois quatre. Elle s’exécuta sans gêne sous les regards couverts de jalousie des autres gens restés malheureux et impatients dans l’attente de moyens de transports en commun. Malgré mon immense joie de revoir une collègue de longue date, je ne pouvais taire cette petite gêne nourrie du fait qu’à part ma tendre épouse, aucune autre femme n’avait eu droit à une place dans mon véhicule jusqu’alors. Le pis était qu’elle occupait justement le siège passager habituellement voué à Caroline. La crainte de croiser madame Endenne dans une rue et de devoir témoigner de la stupéfaction qu’elle aurait face l’image d’une autre femme, qui plus est jolie, en compagnie de son homme, me dérangeait et m’empêchait de donner toute mon attention à mon invitée.

Heureusement, les remerciements sincères et répétés de Christine changèrent complètement mon état d’esprit en me faisant sentir la fierté d’un sauveur venu à la rescousse d’une pauvre personne qui risquait de souffrir des heures, immobile à attendre la venue d’un de ces véhicules jaunes. Je constatai la fraicheur frappante de la demoiselle malgré son changement professionnel et la couleur éblouissante de sa peau qui, pourtant sombre, témoignait d’une toilette de haute qualité. Son parfum enivrant faisait irruption dans mes cavités nasales et ne ressortait qu’après avoir bercé dans une sensation de jouissance mon odorat devenu en un temps record sous l’addiction de cette magnifique fragrance! Elle rangeait ensuite sa longue chevelure faite de mèches brésiliennes. Sans toutefois me donner l’audace d’une quelconque expertise d’esthéticien, je puis assurer de la valeur de ce dernier artifice qui, en m’aventurant à en faire une estimation, devait valoir plus de trois mois de salaire d’un cadre d’entreprise. Je ne me rappelle pas avoir ne serait-ce qu’un peu été séduit par la demoiselle du temps de ses fonctions au ministère, mais là je puis dire qu’elle dégageait un certain charme insoupçonnable, la jeune petite fille avait bien grandi.

Lorsqu’elle se mit à se refaire une beauté et à user de sa trousse de maquillage, nos yeux se croisèrent sur le rétroviseur en provoquant un frisson incommodant sur nous. Avec la plus grande promptitude, je dégageai mon regard de ce miroir et la laissai continuer son art. Je n’imaginais pas un tel changement physique chez cette chère Christine, tous ces artifices, toute cette fraicheur et que dire de sa joie de vivre, tout cela trahissait une certaine évolution. Le rebond de la demoiselle à côté de moi était remarquable, sa beauté et sa classe semblaient plus éblouissantes comparées à celles de ces heures en tant qu’employée dans l’administration publique. L’envie de m’actualiser sur sa situation me martyrisait désormais, mais j’avais du mal à transcender ma timidité face à la gente féminine, et ma curiosité s’étouffait dans les profondeurs de ma pensée. Le silence qui n’est d’habitude pas attendu dans les retrouvailles en général, encore moins dans le cas d’anciens collègues, gouvernait pourtant sans ombrage dans le véhicule, encouragé par le comportement des deux occupants dont elle, qui continuait à peindre son visage avec le plus d’acuité possible et moi, qui n’opposais guère de sérieuses objections à mes habitudes de garçon introverti. Une brèche vint ensuite à mon secours lorsque je lui indiquai, bousculé par mes réflexes, la nécessité de l’usage de la ceinture de sécurité: il n’en fallut pas plus pour détendre l’atmosphère et délier les langues.

– Alors qu’est-ce que tu deviens Christine? lui demandai-je avec une tonalité trahissant l’idée fixe que je m’étais déjà faite de sa réponse.

– Je suis là, je me débrouille…

Par cet élément de langage couramment utilisé dans notre pays, elle essayait de s’inscrire en faux contre mes sournoises insinuations et d’y protester un modeste train de vie, loin de la surestimation que j’avais faite juste en me fiant à des détails superficiels insuffisamment tangibles. Elle me condamnait à devoir conclure que tous ces artifices qui l’ennoblissaient m’avaient tout simplement envoyé vers la mauvaise direction.

– Tu te débrouilles bien alors, tu es toute rayonnante là, lui rétorquai-je.

Elle esquissa alors un sourire soulignant sa beauté enfantine, mit un petit temps à répondre à ma déclaration en regardant droit devant elle, fuyant mon regard de manière explicite, et finit par confirmer ce que mes remarques suggéraient.

– Je travaille dans le cabinet d’affaires Déporté, je me bats là-bas.

Je sursautai d’emballement en entendant cette réponse, elle certifiait tout ce que son élégance trahissait, seul un salaire dans une société de cette stature pouvait justifier cet agréable changement. C’est tout simplement le meilleur cabinet d’affaires dans notre pays, les employés de cet établissement n’ont rien à envier aux hauts cadres de la fonction publique, l’évolution que je soupçonnais était plus grande que ce que je m’imaginais.


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