Entre ombres et obscurités
Willem Ngouane
Nul n’est tenu d’accepter l’esclavage de la gratitude. Dans l’obscurité de nos incertitudes, on ne saurait distinguer l’ange d’une légion malefique.
Entre ombres et obscurités
Willem Ngouane
© Willem Ngouane, 2018
ISBN 978-5-4490-4021-3
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Chapitre 1
Caroline faisait encore des siennes et c’en était devenu très agaçant même pour l’habitué que j’étais. Cela devait faire plus d’une trentaine de minutes que je subissais les effets de son ultra exigence vestimentaire. L’impatience née de tous ces essayages et le temps qui s’amenuisait m’avaient imposé le choix de la première cravate qui m’était tombée sous la main, et avec cela la dame n’était pas du tout d’accord. Elle insistait sur ses préférences avec toute la véhémence de critique de mode qu’elle se passionnait à être. « Tu dois assurer, tu es quand même le chef du protocole!”, répétait-elle de manière aussi engagée que persuadée. Ma femme était une fashion victim comme on dit ces jours-ci, et naturellement ma présentation se devait d’être en accord avec ses gouts de dame élégante. J’avoue que sa justesse vestimentaire, fût-elle souvent excessive, avait été le détail déterminant dans plusieurs cas lors de mes sollicitations professionnelles. Le look compte, j’avais réussi à obtenir des contrats et à convaincre des clients dans mon ancien emploi en partie parce que je présentais mieux que mes concurrents. Mais là l’attention ne devait pas être particulièrement portée sur ma personne, donc je pouvais faire fi de tous ses conseils. Si au moins elle tâtonnait moins, je me serais volontiers adonné à ses essayages.
C’est ainsi que les minutes s’égrainaient en donnant lieu à une opposition d’arguments parmi lesquels les miens étaient les plus pertinents, sans toutefois parvenir à faire flancher la dame.
– Chéri!!! Je t’assure, cette cravate ira mieux avec ta veste, insistait-elle malgré mon exaspération de plus en plus manifeste.
Elle se mettait ensuite à tendrement caresser la cravate en question et à me la présenter sous les yeux comme une commerciale affutée dans un grand magasin. Mais je ne pus me laisser séduire pour autant malgré les yeux de petit chat qu’elle m’afficha par la suite, le temps qui passait augmentait mon angoisse et focalisait ma personne tout entière vers l’échéance qui se rapprochait. Il me restait à peine une heure et demie; en imaginant la densité du trafic routier à ces heures de la journée, il y avait de quoi commencer à s’inquiéter.
Mais malgré cela, quelque temps plus tard nous n’étions pas plus avancés, madame persistait et finissait par m’entrainer de nouveau dans ses tâtonnements d’habilleuse de star. En effet, il m’était généralement difficile de lui tenir tête bien longtemps, sa personnalité en était la principale cause, et si on y rajoute l’amour et l’idiotie qui en provient, on comprend mieux comment j’ai pu accepter de telles choses dans des circonstances pourtant pesantes.
Je me sapais et me déshabillais, une veste bleue puis une veste noire, une cravate rouge puis une cravate pourpre, toute une souffrance. Mon alarme psychologique, elle, n’avait pas cessé de fonctionner, et sans consulter l’heure je la sentais régulièrement me brutaliser l’intérieur et me rappeler la nécessité d’écourter ce manège.
– Désolé chérie, pas le temps de tergiverser, je dois arriver avant le ministre, je dois vite y aller…
– Mais tes obligations ne doivent pas te faire perdre le sens de l’élégance, me répondit-elle avec conviction. Tu dois toujours être fringant, le monde te regarde. On est habitué à te voir chic et distingué, tu ne dois pas décevoir tous ces gens qui apprécient beaucoup ce côté-là de toi.
– Tu me fais bien rire Caro. Tu sais… ce n’est pas moi qui passe à la télé, lui rappelai-je.
– Ce n’est pas toi mais…
Subitement le bruit aigu de la sonnerie de mon téléphone coupa notre discussion pareillement au marteau d’un juge venu confirmer la décision du jury. Après avoir regardé l’heure, un affolement sans pareil m’agrippa l’esprit. J’avais pourtant tout fait pour éviter cette sentence, je me mettais désormais à maudire Eve d’avoir entraîné la chute d’Adam, et à supplier Dieu de m’épargner de cette condamnation.
– Où est-il? Où est-il? criai-je tout troublé à ma femme qui s’interrogeait aussi en étant complètement paniquée.
Tout m’amenait à croire que cet appel ne pouvait être qu’un rappel à l’ordre compte tenu de mon retard. A cause du précédent qui avait eu lieu au début du mois, mes plus grandes frayeurs venaient de l’éventualité qu’il provienne du ministre en personne. En effet un de mes collègues m’avait rapporté combien il avait souffert pendant cinq minutes sous la rage de monsieur mécontent de lui après qu’il eut été retardataire à une réunion.
Depuis lors, même ses coups de fil ordinaires me conduisaient dans une obscure incertitude où le stress devenait le seul maitre, usant de ses pouvoirs tel Bokassa 1
, disposant de ma vie comme s’il me l’avait empruntée depuis trente ans. Tout commençait dès la simple vue de son nom sur l’afficheur, instantanément mon cerveau se mettait à affreusement souffrir et enflait sous une rafale d’inquiétudes laissant place à toutes sortes de conclusions: un renvoi, un remaniement? Le supplice s’accentuait tout le long des échanges et la délivrance prenait place seulement après qu’il eut raccroché, parce que la civilité imposait que lui seul puisse terminer l’appel! Si on y rajoute le contexte particulier de cette journée, il y avait de quoi s’affoler comme un homme sans issue dans un immeuble sous la menace d’un écroulement imminent.
La cause de toute cette excitation matinale était une interview que monsieur le ministre avait programmée à la première chaine de télévision privée de notre pays. C’était la période qui suivait la divulgation par la presse d’un supposé système de détournement de fonds dans notre ministère. Les esprits étaient un peu tendus en effet et de ce fait, monsieur pestait d’une nervosité inhabituelle; mais au vu de la situation il y avait franchement matière à être grincheux. À peine après avoir majestueusement survécu à une campagne diffamatoire de la part de la presse à scandale qui l’accusait de pratiques spirituellement obscures, et supporté tous les ragots partis de son propre bureau qui faisaient de lui un homme aux multiples aventures extraconjugales, il se retrouvait devant cet autre épineux problème qui semblait ne pas être né d’affabulations infamantes comme les précédents. Les responsables de ce tonnerre travaillaient pour un journal spécialisé dans l’investigation, le Herald. Dans un numéro spécial, ils avaient apporté des preuves difficilement discutables mais jusque-là pas assez fortes pour étayer ce qu’ils appelaient la mafia: ils affirmaient que depuis plus de cinq ans de nombreux dons de l’UNESCO avaient été utilisés à des fins personnelles et reversés dans des circuits commerciaux par plusieurs hauts cadres de notre administration. Ce n’était pas une affaire à négliger, la comptabilisation qu’ils avaient faite de ces malversations avoisinait des milliards de notre monnaie. Dans un pays pauvre comme le nôtre, c’est triste à dire, les scandales pareils étaient légion. Monsieur le ministre, aimé et respecté de la majorité de mes concitoyens comme il était, ne pouvait supporter d’être mis dans le même sac que les voleurs de la République et de laisser libre cours au doute qui commençait à gagner les cœurs de ses partisans. Il avait donc décidé de mettre un terme aux agitations en optant pour une communication média à travers l’émission de télévision la plus suivie de tout le pays. C’est ce qui faisait de ce jour une journée si spéciale. Il était exigé de nous une ponctualité extraordinaire, nous devions arriver sur les lieux une heure avant le chef, mais voilà que je m’illustrais à l’opposé des ordres!
C“était la panique totale, ma femme et moi nous activions à chercher mon téléphone dans toute la chambre en augmentant le désordre qui témoignait déjà suffisamment mal de notre habituelle discipline. Heureusement, après une recherche assidue, elle le trouva enfin!
– Chéri le voici… cria-t-elle en le brandissant comme de l’or trouvé dans les profondeurs d’une mine au Katanga.
– PASSE LE MOI! lui hurlai-je dessus, oubliant la douceur attendrissante qui accompagne ordinairement les paroles de ma bouche qui lui sont destinées.
En consultant l’afficheur je plongeai dans la frayeur la plus traumatisante. Mes craintes se voyaient réalisées, il était bel et bien l’auteur de l’appel! Comme agonisant d’angoisse, mon pouce tremblant appuya la touche « décrocher” du combiné et mes oreilles s’apprêtaient à entendre la pire des sanctions.
– Allo, Monsieur le ministre…
Pendant que je me battais contre la torture du stress durant l’appel, ma femme y rajoutait de la nervosité en marmonnant derrière moi à cause de la frustration ressentie après les rudes paroles de tantôt, mais le soulagement qui résultait ensuite de ma conversation téléphonique me fit oublier ses gesticulations de poulette dégoûtée. Elle revint à de meilleurs sentiments lorsque je lui rapportai le propos de ma discussion. Monsieur m’avait appelé pour me communiquer un réaménagement du programme, l’interview était finalement annulée pour une toute autre activité aux environs de douze heures.
– Bah au moins tu vas pouvoir déjeuner, me dit-elle en commençant à faire du rangement dans ce semi-dépotoir que nous avions organisé.
Tout redevint calme par la suite, mes esprits retrouvés me firent regretter ma rudesse, regret que je transmis à la belle dame en lui arrachant au passage son formidable sourire.
Une vingtaine de minutes passées, une bonne odeur d’œufs au feu vint chatouiller mes narines pendant que je dressais la table. Caroline a aussi cet autre talent, c’est un véritable cordon-bleu. Cette qualité a été la première qui m’avait séduit chez elle lorsque nous commencions à nous fréquenter. Elle ferait tomber amoureux n’importe quel homme par ses petits plats.
Alors que j’étais maintenant assis sur la table en salivant, elle se ramena avec deux plats tellement remplis que des pains en tombaient presque.
– WOW!! C’est bien garni Caro, c’est pour nous deux, j’espère, lui dis-je alors qu’elle me regardait en m’affichant un sourire moqueur pour finir par bouger la tête d’un geste traduisant une réponse négative.
Elle m’avait servi quatre pains, de la salade d’avocat et des œufs bouillis. La vue de toute cette nourriture réduisit mon appétit. Finir ce plat entrainerait un étouffement! Discernant à travers ma réaction la barrière que je m’étais mise en rendant impossible la consommation totale de ce plat, elle réagit tout de suite en m’encourageant à la tâche.
– Mange mon amour. Je ne veux surtout pas que ta mère m’appelle encore pour me dire: mon fils a maigri. Mange chéri, me répétait-elle d’un air réellement ennuyé.
Mon poids était une obsession familiale. Ma mère me trouvait désespérément maigre par rapport à tout l’argent que je gagnais. Il était inconcevable pour elle que je continue à rester ce gringalet dont la corpulence reflétait l’état de misère auquel il avait été convié dans la majeure partie de son enfance. Elle n’hésitait pas à le faire savoir à Caroline chaque fois qu’elle en avait l’occasion, et lui tenait implicitement responsable de cette contrastante maigreur. Cela mettait une pression énorme à la pauvre qui naturellement me la transférait. C’est ainsi que toutes les fois où l’opportunité de me servir à manger se présentait à elle, j’avais droit à de copieux repas avec obligation de consommation intégrale. C’était très compliqué. Même rassasié, il ne fallait rien laisser dans l’assiette au risque de s’attirer ses foudres. Manger en sa présence devenait un véritable acte de bravoure. Personne n’était épargné à la maison.
Comme à son habitude lorsqu’une sourde contrariété dans mon comportement lui parvenait, elle bondit vers un sujet plus conciliateur, cette fois-ci son dévolu était porté sur l’inutilité du stress dans lequel nous avions été plongés depuis le matin.
– Ton travail me dépasse!!! Avec toute la peine de ce matin, subitement tout est annulé!! me dit-elle alors que je me faisais violence en avalant un pain de plus.
– Je t’assure… répondis-je après avoir bu un peu de jus de fruit.
Elle avait quand même raison, nous étions sous une pression considérable depuis les premières heures de la journée… Mon corps avait été frustré par une douche froide en plein cinq heures du matin, je crois qu’il m’en veut encore de l’avoir autant maltraité, mais la panne d’eau chaude ne m’avait guère laissé le choix. Que dire de ces essayages de vestes, ce fut un début de journée très éprouvant! Hélas, toute cette contrariété résumait à elle seule ma vie de fonctionnaire pendant cette période, beaucoup trop de feu et de panique. Nous voir nous agiter de la sorte pourrait laisser plus d’un extrapoler sur un caractère tyrannique chez le ministre, il n’en était pourtant rien, de mémoire, je ne me rappelle pas avoir réellement été un jour verbalement brutalisé par monsieur, mais l’ambiance tendue de ces derniers temps au ministère me conseillait d’éviter tout ce qui pourrait m’amener à découvrir son côté obscur.
À cause de toute cette tension et des sollicitations de mon patron, j’avais ajourné mes vacances. Ce fut très difficile à accepter pour Caroline qui me souhaitait plus souvent à la maison. Elle ne s’était point plainte, mais son mal-être se lisait dans certaines de ses réactions. Mais que pouvais-je faire à part me soumettre à mon travail? Il fallait bien que les factures soient payées, que l’éducation de nos enfants soit financée et que j’épargne pour qu’on puisse terminer la construction de notre maison. Malgré cela j’avais conscience de combien il pouvait être exaspérant d’être la femme d’un fonctionnaire aussi sollicité que je l’étais. Pour moi aussi ce fut difficile, j’adore passer du temps en famille et encore plus avec elle. Mes journées libres ont toujours été d’un immense plaisir, encore plus à cause du bonheur dans lequel elles plongeaient mon épouse. Caroline mettait de la musique, faisait ses travaux ménagers avec beaucoup plus de gaieté que d’habitude, me racontait ses histoires de familles, ses histoires de femmes. Elle se revêtait de sa plus belle robe, rajeunissait de dix ans son visage en se maquillant d’une manière dont elle seule a le secret. Nous allions faire des balades, souvent nous nous retrouvions au restaurant de notre premier rendez-vous galant. Nous revivions des moments intimes semblables à ceux de notre plus grande jeunesse, à cette époque où nous n’avions pas d’argent, pas d’enfants, pas de sollicitations contraignantes. Je l’accompagnais faire du shopping, je supportais de passer des heures à la recherche du nouveau produit révolutionnaire. Nous regardions un film ensemble, elle aimait beaucoup les films de romance, comme toute femme finalement. Elle me rappelait alors de manière moqueuse combien j’ai souffert avant qu’elle n’accepte de devenir ma petite amie. On se remémorait ensuite nos débuts… Elle riait, elle souriait, elle s’amusait, son teint clair en devenait presque rouge tellement elle pétillait de gaieté. J’étais toujours émerveillé devant ce spectacle, c’est tellement beau de la voir si enjouée.
Hélas, il fallait accepter d’attendre longtemps avant de la revoir ainsi, l’heure était grave au ministère et je ne pouvais abandonner mon parrain pendant toute cette période. A la place de l’interview, sous le conseil de son équipe de communication, monsieur le ministre avait décidé de jouer sur l’image en optant plutôt pour une remise de don à l’école publique d’un village à l’ouest du pays. L’idée en elle-même me semblait bonne, mais la destination choisie était loin de me ravir. La très mauvaise qualité de la route pour s’y rendre risquait de me causer un accident. En plus de cela, l’éventualité d’y croiser un de ces groupes de brigands spécialisés dans l’agression de voyageurs en abaissant des troncs d’arbres en pleine chaussée m’effrayait abondamment. Mais la plus grande raison à mes craintes restait le fait que cette région avait servi de base à la rébellion pendant la grande guerre: il y demeurait encore beaucoup d’animosité, de refus de l’ordre étatique. La preuve la plus récente était la grande émeute qui avait eu lieu il y a quelques mois de cela lorsque les habitants de cette localité s’étaient révoltés contre une énième taxe foncière. La contestation avait paralysé cette partie du pays pendant des mois et ce n’était qu’après maintes tractations avec le gouvernement que les choses s’étaient un tout petit peu calmées. Mais la haine était toujours présente. Tout ce qui représentait l’État dans quelque forme que ce soit n’y était pas le bienvenu. Et bizarrement… c’est dans cet endroit que le ministre avait décidé d’aller faire des dons. Je trouvais cela vraiment fou!!
Malgré mes réticences, je violentai mes peurs et me résolus à suivre mes imposantes obligations… Après une courte sieste, et une longue prière animée par ma femme, je pris ma voiture en direction de Waloua. Je me fis accompagner par deux gendarmes, cela aurait été une folie de s’y rendre tout seul, et surtout non-armé.
À ma grande surprise le début du trajet était fort agréable. La beauté de la nature m’emportait en combattant le scepticisme qui m’avait convaincu d’un florilège d’images navrantes dès les premiers kilomètres de route. L’émerveillement me supplantait à la vue des plantations de café, elles dégageaient une esthétique provoquant en moi l’idée selon laquelle des intentions artistiques délibérées animaient forcement les agriculteurs lors de leur semence. C’était si beau!!
La structure des habitations contrastait énormément avec l’urbanité à laquelle je m’efforçais de m’habituer dans la capitale. L’humidité régnait dans l’air avec une pureté qui me rapprochait de ce que l’imaginaire commun nous renvoie comme tentative de définition du paradis. De temps à autre aux postes de péage routier, nous avions droit à de réelles scènes d’agressivité commerciale, une véritable démonstration de la débrouillardise rurale: de jeunes commerçants prenaient d’assaut les véhicules en proposant à leurs occupants divers produits alimentaires: du bâton de manioc, du mets de pistache, etc. L’amabilité apparente et fortement séductrice des vendeurs compliquait la domination sans partage de ma chicheté habituelle, et finissait par m’obtenir de trahir mes penchants radins pour me soustraire d’une culpabilité naissante face à tant d’affabilité.
Malheureusement la suite du voyage vint confirmer toutes mes plus folles appréhensions en me désolant à foison. Plus on avançait, plus ce décor paradisiaque laissait place à un tableau sombre et pathétique. Arrivés à la bordure de Waloua, nous découvrîmes la rouille dominante sur la plaque indiquant le nom de la ville, elle nous annonçait l’état de délabrement total qui y régnait. Les cicatrices de la guerre restées encore visibles depuis toutes ces années créaient une ambiance de maison hantée où l’esprit du malin s’accapare les plus grandes peurs en asservissant les âmes pour laisser les mentalités dans ce qu’elles ont de plus primitif. J’avais l’impression d’être un de ces grands reporters de chaines de télévision occidentales suffisamment fou pour se rendre en territoire hostile et poussé par un enthousiasme professionnel qui le castre de tout sens de la responsabilité envers soi-même et sa vie.
Comment faisaient-ils pour y vivre? La pauvreté criait sur tous les toits. Pourquoi toute cette misère? Même si cette région avait une histoire qui pouvait l’incriminer aux yeux de certains, la logique de la solidarité ne saurait pardonner cette absence de compassion de la part des élites de la nation.
Alors que je me perdais progressivement dans mes questionnements émotionnels, subitement je vis une bande de jeunes se diriger tout droit vers notre véhicule avec de lisibles et hostiles intentions. Après les avoir aussi vus, la nervosité brulait dans les yeux des gendarmes qui m’accompagnaient. J’apercevais la vapeur de la rage sortir de leurs peaux, aérant leurs grosses veines encastrées dans des biceps d’une énormité respectant la norme professionnelle d’homme en tenue. À peine je me plaçais pour mieux distinguer la tête des jeunes qu’un des gendarmes, lui, avait déjà brusquement ouvert la portière de la voiture et pointait désormais son calibre sur eux!