– Les mains?
– Parfaites.
– Le col?
– Long et mince.
– La physionomie?
– Sévère et noble.
– L'accent?
– Légèrement embarrassé. Mais vous connaissez peut-être cette dame, monseigneur?
– Comment la connaîtrais-je, madame la comtesse? demanda vivement le prélat.
– Mais à la façon dont vous me questionnez, monseigneur, ou même par la sympathie que tous les ouvriers de bonnes œuvres éprouvent les uns pour les autres.
– Non, madame, non, je ne la connais pas.
– Cependant, monseigneur, si vous aviez quelque soupçon?..
– Mais à quel propos?
– Inspiré par ce portrait, par exemple?
– Ah! répliqua vivement le cardinal, qui craignait d'en avoir trop laissé soupçonner, oui, certes, ce portrait…
– Eh bien! ce portrait, monseigneur?
– Eh bien! ce portrait me fait toujours l'effet d'être…
– Celui de l'impératrice Marie-Thérèse, n'est-ce pas?
– Mais je crois que oui.
– Alors vous pensez?..
– Je pense que vous aurez reçu la visite de quelque dame allemande, de celles, par exemple, qui ont fondé une maison de secours…
– À Versailles?
– À Versailles, oui, madame.
Et le cardinal se tut.
Mais on voyait clairement qu'il doutait encore, et que la présence de cette boîte dans la maison de la comtesse avait renouvelé toutes ses défiances.
Seulement, ce que Jeanne ne distinguait pas complètement, ce qu'elle cherchait vainement d'expliquer, c'était le fond de la pensée du prince, pensée visiblement désavantageuse pour elle, et qui n'allait à rien de moins qu'à la soupçonner de lui tendre un piège avec des apparences.
En effet, on pouvait avoir su l'intérêt que le cardinal prenait aux affaires de la reine, c'était un bruit de cour qui était loin d'être demeuré même à l'état de demi-secret, et nous avons signalé tout le soin que mettaient certains ennemis à entretenir l'animosité entre la reine et son grand aumônier.
Ce portrait de Marie-Thérèse, cette boîte dont elle se servait habituellement et que le cardinal lui avait vue cent fois entre les mains, comment cela se trouvait-il entre les mains de Jeanne la mendiante?
La reine était-elle réellement venue ici elle-même dans ce pauvre logis?
Si elle était venue, était-elle restée inconnue à Jeanne? Pour un motif quelconque, dissimulait-elle l'honneur qu'elle avait reçu?
Le prélat doutait.
Il doutait déjà la veille. Le nom de Valois lui avait appris à se tenir en garde, et voilà qu'il ne s'agissait plus d'une femme pauvre, mais d'une princesse secourue par une reine apportant ses bienfaits en personne.
Marie-Antoinette était-elle charitable à ce point?
Tandis que le cardinal doutait ainsi, Jeanne, qui ne le perdait pas de vue, Jeanne, à qui aucun des sentiments du prince n'échappait, Jeanne était au supplice C'est, en effet, un véritable martyre, pour les consciences chargées d'une arrière-pensée, que le doute de ceux que l'on voudrait convaincre avec la vérité pure.
Le silence était embarrassant pour tous deux; le cardinal le rompit par une nouvelle interruption.
– Et la dame qui accompagnait votre bienfaitrice, l'avez-vous remarquée? Pouvez-vous me dire quel air elle avait?
– Oh! celle-là, je l'ai bien vue, dit la comtesse; elle est grande et belle, elle a le visage résolu, le teint superbe, les formes riches.
– Et l'autre dame ne l'a pas nommée?
– Si fait, une fois, mais par son nom de baptême.
– Et de son nom de baptême elle s'appelle?
– Andrée.
– Andrée! s'écria le cardinal.
Et il tressaillit.
Ce mouvement n'échappa pas plus que les autres à la comtesse de La Motte.
Le cardinal savait maintenant à quoi s'en tenir, le nom d'Andrée lui avait enlevé tous ses doutes.
En effet, la surveille, on savait que la reine était venue à Paris avec Mlle de Taverney. Certaine histoire de retard, de porte fermée, de querelle conjugale entre le roi et la reine avait couru dans Versailles.
Le cardinal respira.
Il n'y avait ni piège ni complot rue Saint-Claude. Mme de La Motte lui parut belle et pure comme l'ange de la candeur.
Pourtant il fallait tenter une dernière épreuve. Le prince était diplomate.
– Comtesse, dit-il, une chose m'étonne par-dessus tout, je l'avouerai.