– Laquelle, monseigneur?
– C'est qu'avec votre nom et vos titres vous ne vous soyez pas adressée au roi.
– Au roi?
– Oui.
– Mais, monseigneur, je lui ai envoyé vingt placets, vingt suppliques, au roi.
– Sans résultat?
– Sans résultat.
– Mais, à défaut du roi, tous les princes de la maison royale eussent accueilli vos réclamations. M. le duc d'Orléans, par exemple, est charitable, et puis il aime à faire souvent ce que ne fait pas le roi.
– J'ai fait solliciter Son Altesse le duc d'Orléans, monseigneur, mais inutilement.
– Inutilement! Cela m'étonne.
– Que voulez-vous, quand on n'est pas riche ou qu'on n'est pas recommandée, on voit chaque placet s'engloutir dans l'antichambre des princes.
– Il y a encore Mgr le comte d'Artois. Les gens dissipés font parfois de meilleures actions que les gens charitables.
– Il en a été de Mgr le comte d'Artois comme de Son Altesse le duc d'Orléans, comme de Sa Majesté le roi de France.
– Mais enfin, il y a Mesdames, tantes du roi. Oh! celles-là, comtesse, ou je me trompe fort, ou elles ont dû vous répondre favorablement.
– Non, monseigneur.
– Oh! je ne puis croire que Mme Elisabeth, sœur du roi, ait eu le cœur insensible.
– C'est vrai, monseigneur. Son Altesse Royale, sollicitée par moi, avait promis de me recevoir; mais je ne sais vraiment comment cela s'est fait, après avoir reçu mon mari, elle n'a plus voulu, quelques instances que j'aie faites auprès d'elle, daigner donner de ses nouvelles.
– C'est étrange, en vérité! dit le cardinal.
Puis, soudain, et comme si cette pensée se présentait seulement à cette heure en son esprit:
– Mais, mon Dieu! s'écria-t-il, nous oublions…
– Quoi?
– Mais la personne à laquelle vous eussiez dû vous adresser d'abord.
– Et à qui eussé-je dû m'adresser?
– À la dispensatrice des faveurs, à celle qui n'a jamais refusé un secours mérité, à la reine.
– À la reine?
– Oui, à la reine. L'avez-vous vue?
– Jamais, répondit Jeanne avec une parfaite simplicité.
– Comment, vous n'avez pas présenté de supplique à la reine?
– Jamais.
– Vous n'avez jamais cherché à obtenir de Sa Majesté une audience?
– J'ai cherché, mais je n'ai point réussi.
– Au moins avez-vous dû essayer de vous placer sur son passage, pour vous faire remarquer, pour vous faire appeler à la cour. C'était un moyen.
– Je ne l'ai jamais employé.
– En vérité, madame, vous me dites des choses incroyables.
– Non, en vérité, je n'ai jamais été que deux fois à Versailles, et je n'y ai vu que deux personnes, M. le docteur Louis, qui avait soigné mon malheureux père à l'Hôtel-Dieu, et M. le baron de Taverney, à qui j'étais recommandée.
– Que vous a dit M. de Taverney? Il était tout à fait en mesure de vous acheminer vers la reine.
– Il m'a répondu que j'étais bien maladroite.
– Comment cela?
– De revendiquer comme un titre à la bienveillance du roi une parenté qui devait naturellement contrarier Sa Majesté, puisque jamais parent pauvre ne plaît.
– C'est bien le baron égoïste et brutal, dit le prince.
Puis, réfléchissant à cette visite d'Andrée chez la comtesse:
«Chose bizarre, pensa-t-il, le père évite la solliciteuse, et la reine amène la fille chez elle. En vérité, il doit sortir quelque chose de cette contradiction».
– Foi de gentilhomme! reprit-il tout haut, je suis émerveillé d'entendre dire à une solliciteuse, à une femme de la première noblesse, qu'elle n'a jamais vu le roi ni la reine.
– Si ce n'est en peinture, dit Jeanne en souriant.
– Eh bien! s'écria le cardinal, convaincu cette fois de l'ignorance et de la sincérité de la comtesse, je vous mènerai, s'il le faut, moi-même à Versailles, et je vous en ferai ouvrir les portes.
– Oh! monseigneur, que de bontés! s'écria la comtesse au comble de la joie.
Le cardinal se rapprocha d'elle.
– Mais il est impossible, dit-il, qu'avant peu de temps tout le monde ne s'intéresse pas à vous.
– Hélas! monseigneur, dit Jeanne avec un adorable soupir, le croyez-vous sincèrement?
– Oh! j'en suis sûr.