– Oh! à merveille. Nous voulons parler à l'ambassadeur.
– Je viens de sa part.
– De sa part! pour nous dire?..
– Qu'il vous prie de sortir bien vite de son hôtel, et bien vite, messieurs.
Les deux joailliers se regardèrent penauds.
– Parce que, dit Ducorneau avec importance, vous avez été maladroits et malhonnêtes, à ce qu'il paraît.
– Écoutez-nous donc.
– C'est inutile, dit tout à coup la voix de Beausire, qui apparut fier et froid au seuil de la chambre. Monsieur Ducorneau, Son Excellence vous a dit de congédier ces messieurs. Congédiez-les.
– Monsieur le secrétaire…
– Obéissez, dit Beausire avec dédain. Faites!
Et il passa.
Le chancelier prit son parent par l'épaule droite, l'associé du parent par l'épaule gauche, et les poussa doucement dehors.
– Voilà, dit-il, c'est une affaire manquée.
– Que ces étrangers sont donc susceptibles, mon Dieu! murmura Bœhmer, qui était un Allemand.
– Quand on s'appelle Souza et qu'on a neuf cent mille livres de revenu, mon cher cousin, dit le chancelier, on a le droit d'être ce qu'on veut.
– Ah! soupira Bossange, je vous ai bien dit, Bœhmer, que vous êtes trop raide en affaires.
– Eh! répliqua l'entêté Allemand, si nous n'avons pas son argent, il n'aura pas notre collier.
On approchait de la porte de la rue.
Ducorneau se mit à rire.
– Savez-vous bien ce que c'est qu'un Portugais? dit-il dédaigneusement; savez-vous ce que c'est qu'un ambassadeur, bourgeois que vous êtes? Non. Eh bien! je vais vous le dire. Un ambassadeur favori d'une reine, M. Potemkine, achetait tous les ans, au 1
janvier, pour la reine, un panier de cerises qui coûtait cent mille écus, mille livres la cerise; c'est joli, n'est-ce pas? Eh bien! M. de Souza achètera les mines du Brésil pour trouver dans les filons un diamant gros comme tous les vôtres. Cela lui coûtera vingt années de son revenu, vingt millions; mais que lui importe, il n'a pas d'enfants. Voilà.
Et il leur fermait la porte, quand Bossange, se ravisant:
– Raccommodez cela, dit-il, et vous aurez…
– Ici, l'on est incorruptible, répliqua Ducorneau.
Et il ferma la porte.
Le soir même, l'ambassadeur reçut la lettre suivante:
«Monseigneur,
«Un homme qui attend vos ordres et désire vous présenter les respectueuses excuses de vos humbles serviteurs est à la porte de votre hôtel; sur un signe de Votre Excellence, il déposera dans les mains d'un de vos gens le collier qui avait eu le bonheur d'attirer votre attention.
«Daignez recevoir, monseigneur, l'assurance du profond respect, etc., etc.
«Bœhmer et Bossange.»
– Eh bien! mais, dit don Manoël en lisant cette épître, le collier est à nous.
– Non pas, non pas, dit Beausire; il ne sera à nous que quand nous l'aurons acheté; achetons-le!
– Comment?
– Votre Excellence ne sait pas le français, c'est convenu; et, tout d'abord, débarrassons-nous de M. le chancelier.
– Comment?
– De la façon la plus simple: il s'agit de lui donner une mission diplomatique importante; je m'en charge.
– Vous avez tort, dit Manoël, il sera ici notre caution.
– Il dira que vous parlez français comme M. Bossange et moi.
– Il ne le dira pas; je l'en prierai.
– Soit, qu'il reste. Faites entrer l'homme aux diamants.
L'homme fut introduit; c'était Bœhmer en personne, Bœhmer, qui fit les plus profondes gentillesses et les excuses les plus soumises.
Après quoi il offrit ses diamants, et fit mine de les laisser pour être examinés.
Don Manoël le retint.
– Assez d'épreuves comme cela, dit Beausire; vous êtes un marchand défiant; vous devez être honnête. Asseyons-nous ici et causons, puisque M. l'ambassadeur vous pardonne.
– Ouf! que l'on a du mal à vendre! soupira Bœhmer.
«Que de mal on se donne pour voler!» pensa Beausire.
Chapitre XXX
Le marché
Alors, M. l'ambassadeur consentit à examiner le collier en détail.
M. Bœhmer en montra curieusement chaque pièce, et en fit ressortir chaque beauté.