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Le Collier de la Reine, Tome I

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2017
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– Oh! toujours le même, répliqua la vieille; téméraire comme un moineau franc.

– Je t'achèterai des boucles avec le numéro d'aujourd'hui, fit le gazetier, roulé dans son drap d'une blancheur équivoque. Est-on venu déjà acheter beaucoup d'exemplaires?

– Pas encore, et mes boucles ne seront pas bien reluisantes, si cela continue. Vous rappelez-vous le bon numéro contre M. de Broglie? Il n'était pas dix heures qu'on avait déjà vendu cent numéros.

– Et j'avais passé trois fois rue des Vieux-Augustins, dit Réteau; chaque bruit me donnait la fièvre; ces militaires sont brutaux.

– J'en conclus, poursuivit Aldegonde tenace, que ce numéro d'aujourd'hui ne vaudra pas celui de M. de Broglie.

– Soit, dit Réteau; mais je n'aurai pas tant à courir, et je mangerai tranquillement ma soupe. Sais-tu pourquoi, Aldegonde?

– Ma foi non, monsieur.

– C'est qu'au lieu d'attaquer un homme, j'attaque un corps; au lieu d'attaquer un militaire, j'attaque une reine.

– La reine! Dieu soit loué, murmura la vieille; alors ne craignez rien; si vous attaquez la reine, vous serez porté en triomphe, et nous allons vendre des numéros, et j'aurai mes boucles.

– On sonne, dit Réteau, rentré dans son lit.

La vieille courut vite à la boutique pour recevoir la visite.

Un moment après, elle remontait enluminée, triomphante.

– Mille exemplaires, disait-elle, mille d'un coup; voilà une commande.

– À quel nom? dit vivement Réteau.

– Je ne sais.

– Il faut le savoir; cours vite.

– Oh! nous avons le temps; ce n'est pas peu de chose que de compter, de ficeler et de charger mille numéros.

– Cours vite, te dis-je, et demande au valet… Est-ce un valet?

– C'est un commissionnaire, un Auvergnat avec ses crochets.

– Bon! questionne, demande-lui où il va porter ces numéros.

Aldegonde fit diligence; ses grosses jambes firent gémir l'escalier de bois criard, et sa voix, qui interrogeait, ne cessa de résonner à travers les planches. Le commissionnaire répliqua qu'il portait ces numéros rue Neuve Saint-Gilles, au Marais, chez le comte de Cagliostro.

Le gazetier fit un bond de joie qui faillit défoncer sa couchette. Il se leva, vint lui-même activer la livraison confiée aux soins d'un seul commis, sorte d'ombre famélique plus diaphane que les feuilles imprimées. Les mille exemplaires furent chargés sur les crochets de l'Auvergnat, lequel disparut par la grille, courbé sous le poids.

Le sieur Réteau se disposait à noter pour le prochain numéro le succès de celui-ci, et à consacrer quelques lignes au généreux seigneur qui voulait bien prendre mille numéros d'un pamphlet prétendu politique. M. Réteau, disons-nous, se félicitait d'avoir fait une si heureuse connaissance, lorsqu'un nouveau coup de sonnette retentit dans la cour.

– Encore mille exemplaires, fit Aldegonde alléchée par ce premier succès. Ah! monsieur, ce n'est pas étonnant; dès qu'il s'agit de l'Autrichienne tout le monde va faire chorus.

– Silence! silence! Aldegonde; ne parle pas si haut. L'Autrichienne, c'est une injure qui me vaudrait la Bastille, que tu m'as prédite.

– Eh bien! quoi, dit aigrement la vieille, est-elle, oui ou non, l'Autrichienne?

– C'est un mot que nous autres journalistes nous mettons en circulation, mais qu'il ne faut pas prodiguer.

Nouveau coup de sonnette.

– Va voir, Aldegonde, je ne crois pas que ce soit pour acheter des numéros.

– Qui vous fait croire cela? dit la vieille en descendant.

– Je ne sais; il me semble que je vois un homme de figure lugubre à la grille.

Aldegonde descendait toujours pour ouvrir.

M. Réteau regardait, lui, avec une attention que l'on comprendra depuis que nous avons fait la description du personnage et de son officine.

Aldegonde ouvrit, en effet, à un homme vêtu simplement, qui s'informa si l'on trouverait chez lui le rédacteur de la gazette.

– Qu'avez-vous à lui dire? demanda Aldegonde, un peu défiante.

Et elle entrebâillait à peine la porte, prête à la repousser à la première apparence de danger.

L'homme fit sonner des écus dans sa poche.

Ce son métallique dilata le cœur de la vieille.

– Je viens, dit-il, payer les mille exemplaires de la Gazette d'aujourd'hui, qu'on est venu prendre au nom de M. le comte de Cagliostro.

– Ah! si c'est ainsi, entrez.

L'homme franchit la grille; mais il ne l'avait pas refermée, que derrière lui un autre visiteur, jeune, grand et de belle mine, retint cette grille en disant:

– Pardon, monsieur.

Et sans demander autrement la permission, il se glissa derrière le payeur envoyé par le comte de Cagliostro.

Aldegonde, tout entière au gain, fascinée par le son des écus, arrivait au maître.

– Allons, allons, dit-elle, tout va bien, voici les cinq cents livres du monsieur aux mille exemplaires.

– Recevons-les noblement, dit Réteau en parodiant Larive dans sa plus récente création.

Et il se drapa dans une robe de chambre assez belle, qu'il tenait de la munificence ou plutôt de la terreur de Mme Dugazon, à laquelle, depuis son aventure avec l'écuyer Astley, le gazetier soutirait bon nombre de cadeaux en tous genres.

Le payeur du comte de Cagliostro se présenta, étala un petit sac d'écus de six livres, en compta jusqu'à cent qu'il empila en douze tas.

Réteau comptait scrupuleusement et regardait si les pièces n'étaient pas rognées.

Enfin, ayant trouvé son compte, il remercia, donna quittance, et congédia, par un sourire agréable, le payeur, auquel il demanda malicieusement des nouvelles de M. le comte de Cagliostro.

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