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Le Collier de la Reine, Tome I

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2017
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– Je ne suis pas un délateur, répliqua Réteau en se redressant.

– Très bien! cela veut dire qu'il y a un complice; d'abord, cet homme qui vous a fait acheter mille exemplaires de cette diatribe, le comte de Cagliostro, comme vous disiez tout à l'heure, soit! Le comte paiera pour lui, lorsque vous aurez payé pour vous.

– Monsieur, monsieur, je ne l'accuse pas, hurla le gazetier, redoutant de se trouver pris entre les deux colères de ces deux hommes, sans compter celle de Philippe qui pâlissait de l'autre côté de la grille.

– Mais, continua Charny, comme je vous tiens le premier, vous paierez le premier.

Et il leva sa canne.

– Monsieur, si j'avais une épée, hurla le gazetier.

Charny baissa sa canne.

– Monsieur Philippe, dit-il, prêtez votre épée à ce coquin, je vous prie.

– Oh! point de cela, je ne prête point une épée honnête à ce drôle; voici ma canne, si vous n'avez point assez de la vôtre. Mais je ne puis consciencieusement faire autre chose pour lui et pour vous.

– Corbleu! une canne, dit Réteau exaspéré; savez-vous, monsieur, que je suis gentilhomme?

– Alors, prêtez-moi votre épée, à moi, dit Charny en jetant la sienne aux pieds du gazetier, j'en serai quitte pour ne plus toucher à celle-ci.

Et il jeta la sienne aux pieds de Réteau pâlissant.

Philippe n'avait plus d'objection à faire. Il tira son épée du fourreau et la passa à travers la grille à Charny.

Charny la prit en saluant.

– Ah! tu es gentilhomme, dit-il en se retournant du côté de Réteau, tu es gentilhomme et tu écris sur la reine de France de pareilles infamies!.. Eh bien! ramasse cette épée et prouve que tu es gentilhomme.

Mais Réteau ne bougea point; on eût dit qu'il avait aussi peur de l'épée qui était à ses pieds que de la canne qui, un instant, avait été au-dessus de sa tête.

– Mordieu! dit Philippe exaspéré, ouvrez-moi donc cette grille.

– Pardon, monsieur, dit Charny, mais, vous en êtes convenu, cet homme est à moi d'abord.

– Alors, hâtez-vous d'en finir, car j'ai, moi, hâte de commencer.

– Je devais épuiser tous les moyens avant d'en arriver à ce moyen extrême, dit Charny, car je trouve que les coups de canne coûtent presque autant à donner qu'à recevoir; mais puisque bien décidément monsieur préfère les coups de canne aux coups d'épée, soit, il sera servi à sa guise.

À peine ces mots étaient-ils achevés, qu'un cri poussé par Réteau annonça que Charny venait de joindre l'effet aux paroles. Cinq ou six coups vigoureusement appliqués, dont chacun tira un cri équivalent à la douleur qu'il produisit, suivirent le premier.

Ces cris attirèrent la vieille Aldegonde; mais Charny s'inquiéta aussi peu de ses cris qu'il s'était inquiété de ceux de son maître.

Pendant ce temps, Philippe, placé comme Adam de l'autre côté du paradis, se rongeait les doigts, faisant le manège de l'ours qui sent la chair fraîche en avant de ses barreaux.

Enfin Charny s'arrêta, las d'avoir battu, et Réteau se prosterna, las d'être rossé.

– Là! dit Philippe, avez-vous fini, monsieur?

– Oui, dit Charny.

– Eh bien! maintenant, rendez-moi mon épée qui vous a été inutile, et ouvrez-moi, je vous prie.

– Monsieur! monsieur! implora Réteau qui voyait un défenseur dans l'homme qui avait terminé ses comptes avec lui.

– Vous comprenez que je ne puis laisser Monsieur à la porte, dit Charny; je vais donc lui ouvrir.

– Oh! c'est un meurtre! cria Réteau; voyons, tuez-moi tout de suite d'un coup d'épée, et que ce soit fini.

– Oh! maintenant, dit Charny, rassurez-vous, je crois que monsieur ne vous touchera même pas.

– Et vous avez raison, dit avec un souverain mépris Philippe qui venait d'entrer. Je n'ai garde. Vous avez été roué, c'est bien, et, comme dit l'axiome légal: Non bis in idem. Mais il reste des numéros de l'édition, et ces numéros, il est important de les détruire.

– Ah! très bien! dit Charny; voyez-vous que mieux vaut être deux qu'un seul; j'eusse peut-être oublié cela; mais par quel hasard étiez-vous donc à cette porte, monsieur de Taverney?

– Voici, dit Philippe. Je me suis fait instruire dans le quartier des mœurs de ce coquin. J'ai appris qu'il avait l'habitude de fuir quand on lui serrait le bouton. Alors je me suis enquis de ses moyens de fuite, et j'ai pensé qu'en me présentant par la porte dérobée au lieu de me présenter par la porte ordinaire, et qu'en refermant cette porte derrière moi, je prendrais mon renard dans son terrier. La même idée de vengeance vous était venue: seulement, plus pressé que moi, vous avez pris des informations moins complètes; vous êtes entré par la porte de tout le monde, et il allait vous échapper, quand heureusement vous m'avez trouvé là.

– Et je m'en réjouis! Venez, monsieur de Taverney… Ce drôle va nous conduire à sa presse.

– Mais ma presse n'est pas ici, dit Réteau.

– Mensonge! s'écria Charny menaçant.

– Non, non, s'écria Philippe, vous voyez bien qu'il a raison, les caractères sont déjà distribués: il n'y a plus que l'édition. Or, l'édition doit être entière, sauf les mille vendus à M. de Cagliostro.

– Alors, il va déchirer cette édition devant nous.

– Il va la brûler, c'est plus sûr.

Et Philippe, approuvant ce mode de satisfaction, poussa Réteau et le dirigea vers la boutique.

Chapitre XXXII

Comment deux amis deviennent ennemis

Cependant Aldegonde, ayant entendu crier son maître et ayant trouvé la porte fermée, était allée chercher la garde.

Mais, avant qu'elle fût de retour, Philippe et Charny avaient eu le temps d'allumer un feu brillant avec les premiers numéros de la gazette, puis d'y jeter lacérées successivement les autres feuilles, qui s'embrasaient à mesure qu'elles touchaient le rayon de la flamme.

Les deux exécuteurs en étaient aux derniers numéros, lorsque la garde parut derrière Aldegonde, à l'extrémité de la cour, et en même temps que la garde cent polissons et autant de commères.

Les premiers fusils frappaient la dalle du vestibule quand le dernier numéro de la gazette commençait à flamber.

Heureusement Philippe et Charny connaissaient le chemin que leur avait imprudemment montré Réteau; ils prirent donc le couloir secret, fermèrent les verrous, franchirent la grille de la rue des Vieux-Augustins, fermèrent la grille à double tour, et en jetèrent la clef dans le premier égout qui se trouva là.

Pendant ce temps-là, Réteau, devenu libre, criait à l'aide, au meurtre, à l'assassinat, et Aldegonde qui voyait les vitres s'enflammer aux reflets du papier brûlant, criait au feu.

Les fusiliers arrivèrent; mais comme ils trouvèrent les deux jeunes gens partis et le feu éteint, ils ne jugèrent pas à propos de pousser plus loin les recherches; ils laissèrent Réteau se bassiner le dos avec de l'eau-de-vie camphrée et retournèrent au corps de garde.

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