– Monsieur… dit Bœhmer confus.
– Acceptez-vous, ou bien préférez-vous d'autres conditions?
– Celles que Monsieur le secrétaire a bien voulu me poser en premier lieu me paraissent acceptables. Y aurait-il des termes aux paiements?
– Il y aurait trois termes, monsieur Bœhmer, chacun de cinq cent mille livres, et ce serait pour vous l'affaire d'un voyage intéressant.
– D'un voyage à Lisbonne?
– Pourquoi pas?.. Toucher un million et demi en trois mois, cela vaut-il qu'on se dérange?
– Oh! sans doute, mais…
– D'ailleurs, vous voyagerez aux frais de l'ambassade, et moi ou M. le chancelier, nous vous accompagnerons.
– Je porterai les diamants?
– Sans nul doute, à moins que vous ne préfériez envoyer d'ici les traites, et laisser les diamants aller seuls en Portugal.
– Je ne sais… je… crois… que… le voyage serait utile, et que…
– C'est aussi mon avis, dit Beausire. On signerait ici. Vous recevriez vos cent mille livres comptant, vous signeriez la vente, et vous porteriez vos diamants à Sa Majesté.
– Quel est votre correspondant?
– MM. Nunez Balboa frères.
Don Manoël leva la tête.
– Ce sont mes banquiers, dit-il en souriant.
– Ce sont les banquiers de Son Excellence, dit Beausire en souriant aussi.
Bœhmer parut radieux; son aspect n'avait pas conservé un nuage; il s'inclina comme pour remercier et prendre congé.
Soudain une réflexion le ramena.
– Qu'y a-t-il? demanda Beausire inquiet.
– C'est parole donnée? fit Bœhmer.
– Oui, donnée.
– Sauf…
– Sauf la ratification de M. Bossange, nous l'avons dit.
– Sauf un autre cas, ajouta Bœhmer.
– Ah! ah!
– Monsieur, cela est tout délicat, et l'honneur du nom portugais est un sentiment trop puissant pour que Son Excellence ne comprenne pas ma pensée.
– Que de détours! Au fait!
– Voici le fait. Le collier a été offert à Sa Majesté la reine de France.
– Qui l'a refusé. Après?
– Nous ne pouvons, monsieur, laisser sortir de France à tout jamais ce collier sans en prévenir la reine, et le respect, la loyauté même exigent que nous donnions la préférence à Sa Majesté la reine.
– C'est juste, dit don Manoël avec dignité. Je voudrais qu'un marchand portugais tînt le même langage que M. Bœhmer.
– Je suis bien heureux et bien fier de l'assentiment que Son Excellence a daigné m'accorder. Voilà donc les deux cas prévus: ratification des conditions par Bossange, deuxième et définitif refus de Sa Majesté la reine de France. Je vous demande pour cela trois jours.
– De notre côté, dit Beausire, cent mille livres comptant, trois traites de cinq cent mille livres mises dans vos mains. La boîte de diamants remise à M. le chancelier de l'ambassade ou à moi disposé à vous accompagner à Lisbonne, chez MM. Nunez Balboa frères. Paiement intégral en trois mois. Frais de voyage nuls.
– Oui, monseigneur, oui, monsieur, dit Bœhmer en faisant la révérence.
– Ah! dit don Manoël en portugais.
– Quoi donc? fit Bœhmer inquiet à son tour et revenant.
– Pour épingles, dit l'ambassadeur, une bague de mille pistoles pour mon secrétaire, ou pour mon chancelier, pour votre compagnon, enfin, monsieur le joaillier.
– C'est trop juste, monseigneur, murmura Bœhmer, et j'avais déjà fait cette dépense dans mon esprit.
Don Manoël congédia le joaillier avec un geste de grand seigneur.
Les deux associés demeurèrent seuls.
– Veuillez m'expliquer, dit don Manoël avec une certaine animation à Beausire, quelle diable d'idée vous avez eue de ne pas faire remettre ici les diamants? Un voyage en Portugal! Êtes-vous fou? Ne pouvait-on donner à ces bijoutiers leur argent et prendre leurs diamants en échange?
– Vous prenez trop au sérieux votre rôle d'ambassadeur, répliqua Beausire. Vous n'êtes pas encore tout à fait M. de Souza pour M. Bœhmer.
– Allons donc! Eût-il traité s'il eût eu des soupçons?
– Tant qu'il vous plaira. Il n'eût pas traité, c'est possible; mais tout homme qui possède quinze cent mille livres se croit au-dessus de tous les rois et de tous les ambassadeurs du monde. Tout homme qui troque quinze cent mille livres contre des morceaux de papier veut savoir si ces papiers valent quelque chose.
– Allons, vous allez en Portugal! Vous qui ne savez pas le portugais… Je vous dis que vous êtes fou.
– Point du tout. Vous irez vous-même.
– Oh! non pas, s'écria don Manoël; retourner en Portugal, moi, j'ai de trop fameuses raisons. Non! non!
– Je vous déclare que Bœhmer n'eût jamais donné ses diamants contre papiers.
– Papiers signés Souza!