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L'abîme

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2017
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– Descendez-moi vers lui, – s'écria Marguerite, en prenant deux petits bidons, qu'elle avait apportés et en les assujettissant autour d'elle, – ou j'irai seule, dussé-je me briser en pièces sur les roches. Je suis une paysanne, je ne connais ni le vertige ni la crainte, et le péril n'est rien à mes yeux, car je l'aime… Descendez-moi, par pitié!

– Mademoiselle, il doit être mort ou si près de l'être…

– Expirant ou mort, je veux le voir. La tête de mon époux vivante ou inanimée reposera sur mon sein. Descendez moi, ou je descendrai seule.

Ils obéirent enfin. Avec toutes les précautions que leur suggérèrent leur adresse et leur compassion, ils firent glisser la jeune fille du bord du gouffre… Elle dirigeait la descente elle-même le long de la muraille de glace. Ils lâchèrent la corde plus bas, encore plus bas, jusqu'à ce que ce cri arrivât à leurs oreilles.

– Assez!..

– Est-ce réellement lui?.. Est-il mort?.. – crièrent-ils à leur tour, penchés sur l'abîme.

– C'est lui. Il ne m'entend point, il est insensible; mais son cœur bat encore; son cœur bat contre le mien!

– Où est-il tombé?

– Sur une pointe de glace… Hâtez-vous!.. Ah! si je meurs ici, je serai satisfaite.

L'un des deux hommes s'élança suivi des chiens; l'autre planta les torches dans la neige, et s'efforça de ranimer le pauvre Joey. Quelques frictions de neige et un peu d'eau-de-vie le firent revenir à lui; mais il avait le délire et ne savait plus où il était.

Le guide, alors, revint au bord du gouffre.

– Courage! – criait-il. – On vient… Comment êtes-vous?.. Comment est-il?

– Son cœur bat toujours contre le mien… Je le réchauffe dans mes bras… je n'ai pas peur…

La lune descendit derrière les hautes cimes, et le désert et l'abîme ne furent plus que ténèbres, et le guide jeta encore son cri d'espérance au fond du gouffre.

– Comment êtes-vous?.. comment est-il?.. On vient…

Et le même cri passionné monta des profondeurs du glacier où Marguerite était ensevelie avec son époux.

– Son cœur bat toujours contre le mien.

Enfin les aboiements des chiens, une lueur lointaine répandue sur la neige annoncèrent que les secours arrivaient. Vingt hommes, des lanternes, des torches, une litière, des cordes, des draps, du bois pour faire un grand feu, tout cela venait à la fois. Les chiens couraient aux hommes, s'élançaient vers le gouffre, puis revenaient priant, dans leur langage muet, qu'on fît diligence. Le cri sauveur descendit encore.

– Dieu merci tout est prêt!.. Comment vous trouvez-vous?.. Est-il mort?..

Le cri désespéré répondit.

– Nous enfonçons dans la glace et nous avons un froid mortel. Son cœur ne bat plus contre le mien. Ne laissez descendre personne, car le poids de nos deux corps est assez lourd. Faites seulement glisser la corde.

On alluma le feu. La clarté des torches illumina le bord de l'abîme, on y fixa les lanternes, et la corde descendit.

D'en haut on la voyait, la vaillante jeune fille, attacher la corde, de ses doigts engourdis, au corps de son fiancé.

Le cri monta au milieu d'un silence mortel.

– Tirez doucement.

Elle, on la voyait toujours au fond du gouffre tandis que, lui, il flottait déjà dans l'air.

Aucun vivat ne se fit entendre lorsqu'on le déposa dans la litière. Quelques-uns des hommes prirent soin de lui tandis que l'on faisait redescendre la corde.

Le cri monta une dernière fois au milieu du même silence de mort.

– Tirez.

Mais lorsqu'ils la saisirent, elle, au bord du précipice, alors ils firent retentir l'air de leurs cris de joie; ils pleuraient, ils remerciaient le ciel, ils baisaient ses pieds et sa robe; les chiens la caressaient, léchaient ses doigts glacés.

Elle s'échappa, courut vers la litière, et, se jetant sur le corps de son fiancé, posa ses deux belles mains sur ce cher cœur qui ne battait plus.

QUATRIÈME ACTE

L'horloge de sûreté

L'action se passe maintenant à Neufchâtel. C'est l'agréable mois d'Avril; l'agréable lieu où nous transportons nos lecteurs est l'étude d'un notaire; l'agréable personne que nous y trouvons, c'est le notaire lui-même, beau vieillard au teint vermeil, le premier notaire de Neufchâtel, universellement connu dans le canton, Maître Voigt. Par sa profession et ses qualités personnelles, Maître Voigt est un citoyen populaire. Les nombreux services qu'il a rendus, et ses originalités aussi nombreuses que ses services, ont fait de lui l'un des personnages les plus fameux de cette jolie ville de Suisse. Sa longue redingote brune et son bonnet noir ont pris rang parmi les institutions du pays; sa tabatière n'est pas moins renommée, et bien des gens pensent que dans l'Europe entière il n'y en a pas de plus grande.

Une autre personne est là, dans l'élude, une personne moins agréable que Maître Voigt. C'est Obenreizer.

Cette étude, quelque peu champêtre, ne rappelait en rien le solennel logis du notaire Anglais. Elle était située dans le fond d'une cour, riante et proprette, et s'ouvrait sur un joli parterre tout rempli de fleurs. Des chèvres broutaient non loin de la porte; la vache paissait si près de la maison que l'excellente bête, en avançant seulement d'une dizaine de pieds, aurait pu venir faire compagnie au clerc. Le cabinet de Maître Voigt était petit, clair, et tout verni; les murs étaient recouverts de panneaux de bois; il ressemblait à ces chambres rustiques qu'on voit dans les boites de jouets d'enfants; la fenêtre, suivant la saison, était ornée de roses, d'hélianthes, de roses trémières. Les abeilles de Maître Voigt bourdonnaient à travers l'étude pendant tout l'été, entrant par une fenêtre et sortant par l'autre, comme si elles eussent été tentées de faire leur miel avec le doux caractère de Maître Voigt. De temps en temps, une grande boîte à musique, placée sur la cheminée, partait en cadence sur l'ouverture de Fra Diavolo, ou bien chantait des morceaux de Guillaume Tell avec gazouillements joyeux. Survenait-il quelque client, il fallait bien arrêter le ressort; mais l'harmonieux instrument se remettait à chanter de plus belle, dès que le client était parti.

– Courage, courage, mon brave garçon, – dit Maître Voigt, en caressant les genoux d'Obenreizer d'un air paternel: – vous allez commencer une nouvelle vie, auprès de moi dans mon étude, et cela demain matin.

Obenreizer, en habit de deuil, l'air humble et soumis, mit sur son cœur une de ses mains qui tenait un mouchoir.

– Ma reconnaissance est là, Monsieur, – dit-il, – mais je ne trouve point de mots pour vous l'exprimer.

– Ta, ta, ta, ne me parlez pas de reconnaissance, – dit Maître Voigt. – Je déteste de voir un homme persécuté. Je vous ai vu souffrir: je vous ai naturellement tendu la main. Oh! je ne suis pas encore assez vieux pour ne pas me rappeler mes jeunes années. Savez-vous bien que c'est votre père qui m'a amené mon premier client. Il s'agissait de la moitié d'un acre de terre qui ne donnait jamais de raisin. Ne dois-je rien à son fils? J'ai envers lui une dette d'amitié, je m'en acquitte envers vous… Voilà qui est assez bien dit, je pense, – ajouta Maître Voigt, enchanté de lui-même. – Permettez-moi de récompenser mes propres mérites par une prise de tabac.

Obenreizer laissa tomber son regard sur le plancher comme s'il ne se sentait pas même digne de contempler cet honnête vieillard savourant sa prise.

– Accordez-moi une dernière grâce, Monsieur, – dit-il. – N'agissez pas envers moi par impulsion généreuse. Jusqu'ici, vous n'avez connu que vaguement la situation où je me trouve. Eh bien! Écoutez les raisons qui s'élèvent pour et contre moi, avant de me prendre avec vous dans votre étude. Je veux que mon droit à votre bienveillance soit reconnu par votre bon jugement en même temps que par votre excellent cœur. Ah! je peux lever la tête devant mes ennemis, je peux me refaire une réputation sur les ruines de celle que j'avais autrefois et qu'on m'a ravie!..

– Comme il vous plaira, – dit Maître Voigt. – Vous parlez bien, mon fils. Vous ferez quelque jour un bon avocat.

– Les détails de ma triste affaire ne sont pas bien nombreux, – poursuivit Obenreizer, – mes chagrins ont commencé après la mort par accident de mon dernier compagnon de voyage, mon pauvre et cher ami Monsieur Vendale.

– Monsieur Vendale, – répéta le notaire. – C'est bien cela. J'ai souvent entendu ce nom depuis deux mois. C'est cet infortuné Anglais qui a été tué dans le Simplon, alors que vous-même vous avez été blessé, ainsi que le témoignent les deux cicatrices que vous portez au col et à la joue.

– Blessé par mon propre couteau, – dit Obenreizer, en touchant ces marques sinistres, témoins parlants de l'horrible lutte.

– Par votre propre couteau, en essayant de sauver votre ami, – affirma le notaire. – Bien, très bien… C'est singulier. J'ai trouvé plaisant de penser que j'ai eu autrefois un client de ce nom de Vendale.

– Le monde est si petit! – fit Obenreizer.

Toutefois, il prit note intérieurement que Maître Voigt avait eu jadis un client de ce nom.

– Je vous disais donc, – reprit-il, – qu'après la mort de mon cher compagnon de voyage, mes chagrins avaient commencé. Je me rendis à Milan. Je suis reçu avec froideur par Defresnier et Compagnie. Peu de temps après ils me chassent. Pourquoi? On ne m'en donne aucune raison. Je demande à ces Messieurs s'ils prétendent attaquer mon honneur? Point de réponse. Où sont leurs preuves contre moi? Point de réponse encore. Ce que j'en dois penser? Cette fois on me répond! «M. Obenreizer est libre de penser ce que bon lui semble et ce qu'il pensera n'importe guères à Defresnier et Compagnie.» Et voilà tout.
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