BOISSEL.
Hélas! oui, monsieur. Le garçon de bureau, en venant ce matin ici pour prendre le porte-feuille, a appris le décès de madame votre épouse, il nous l'a transmis. – Les bureaux sont dans la consternation.
ROYER, avec un soupir.
Que voulez-vous, mon ami? – Il n'y a rien de nouveau là-bas?
BOISSEL.
Nous avons eu la visite du secrétaire général; il a parcouru tous les bureaux.
ROYER.
Qui était avec lui?
BOISSEL.
M. Certain le chef.
ROYER, à part.
Petit intrigant! (Haut.) C'est incroyable qu'on ne puisse pas s'absenter un jour, et pour un motif aussi légitime, sans s'exposer à des désagrémens.
BOISSEL.
Je vous assure, monsieur, que monsieur le secrétaire général n'a pas du tout paru piqué de votre absence.
ROYER.
Piqué de mon absence! Il s'agit bien qu'il soit piqué ou non. Ne voyez-vous pas qu'il est de la dernière inconvenance, quand il y a un chef de service, de se faire accompagner par un de ses subalternes? Du moment que monsieur le secrétaire-général voulait faire sa visite ce jour-là, il devait me prévenir; j'aurais surmonté la préoccupation de ma juste douleur, je me serais arraché aux derniers embrassemens d'une épouse chérie, afin de me trouver à mon poste.
BOISSEL.
Moi, je sais bien que pour mon compte j'ai trouvé très-étonnante la conduite de M. Certain.
ROYER.
Du reste, je sais ce que j'ai à faire. – Dites-moi, mon cher Boissel. – Asseyez-vous donc. – Je veux vous demander un service…
BOISSEL.
Deux, monsieur le directeur.
ROYER.
Qu'est-ce que vous faites le soir?
BOISSEL.
Mon Dieu, nous sommes une société, des employés, un médecin, quelques avocats, il y a même là un homme, un ancien magistrat, je voudrais que vous le connussiez, un homme du premier mérite. Nous nous réunissons dans un café près de chez moi, on jase politique, on fait sa partie de dames ou de dominos; quand on est célibataire…
ROYER.
Voyez-vous, j'ai là une liste des personnes de ma connaissance auxquelles je veux envoyer des billets de faire-part. J'ai marqué aussi dans l'Almanach royal les différens fonctionnaires de l'ordre civil et militaire auxquels je compte en adresser…
BOISSEL.
Oui, monsieur.
ROYER.
Il faudrait me prendre cette liste et l'Almanach, avoir bien soin de n'oublier personne, et de votre belle écriture…
BOISSEL, riant.
Ah! monsieur le directeur.
ROYER.
Non, vraiment, vous avez une main superbe. Vous auriez donc la bonté de plier les lettres, de mettre les adresses, et à mesure qu'il y en aura un paquet de prêt, Cumilhac mon garçon de bureau viendra les prendre pour les porter. Avant minuit vous pouvez avoir fini tout cela.
BOISSEL.
Oui, monsieur.
ROYER.
Ça ne vous contrarie pas de manquer votre partie ce soir?
BOISSEL.
Comment donc, monsieur le directeur!
ROYER.
Tenez, voilà précisément qu'on vient de l'imprimerie.
(Entre un apprenti.)
L'APPRENTI.
Bonsoir, monsieur la compagnie; v'la les billets de votre épouse.
ROYER.
Vous venez bien tard!
L'APPRENTI.