– Reçu qui? votre frère, M. de Provence? fit la reine avec une présence d'esprit qui allait au-devant des soupçons du roi.
– Justement oui, mon frère; il a voulu vous saluer, et on l'a laissé dehors.
– Eh bien?
– En lui disant que vous étiez absente?
– Lui a-t-on dit cela? demanda négligemment la reine. Madame de Misery! Madame de Misery?
La première femme de chambre parut à la porte, tenant sur un plateau d'or une quantité de lettres adressées à la reine.
– Sa Majesté m'appelle? demanda Mme de Misery.
– Oui. Est-ce qu'on a dit hier à M. de Provence que j'étais absente du château?
Mme de Misery, pour ne pas passer devant le roi, tourna autour de lui et tendit le plateau de lettres à la reine. Elle tenait sous son doigt une de ces lettres dont la reine reconnut l'écriture.
– Répondez au roi madame de Misery, continua Marie-Antoinette avec la même négligence; dites à Sa Majesté ce que l'on a répondu hier à M. de Provence lorsqu'il s'est présenté à ma porte. Quant à moi, je ne me le rappelle plus.
– Sire dit Mme de Misery, tandis que la reine décachetait la lettre, Mgr le comte de Provence s'est présenté hier pour offrir ses respects à Sa Majesté, et je lui ai répondu que Sa Majesté ne recevait pas.
– Et par quel ordre?
– Par ordre de la reine.
– Ah! fit le roi.
Pendant ce temps, la reine avait décacheté la lettre et lu ces deux lignes:
«Vous êtes revenue hier de Paris et rentrée au château à huit heures du soir. Laurent vous a vue.»
Puis, toujours avec le même air de nonchalance, la reine avait décacheté une demi-douzaine de billets, de lettres et de placets, qui gisaient épars sur un édredon.
– Eh bien! fit-elle en relevant la tête vers le roi.
– Merci, madame, dit celui-ci à la première femme de chambre.
Mme de Misery s'éloigna.
– Pardon, sire, dit la reine, éclairez-moi sur un point.
– Lequel, madame?
– Est-ce que je suis ou ne suis plus libre de voir M. de Provence?
– Oh! parfaitement libre, madame; mais…
– Mais son esprit me fatigue, que voulez-vous? d'ailleurs, il ne m'aime pas; il est vrai que je le lui rends bien. J'attendais sa mauvaise visite et me suis mise au lit à huit heures, afin de ne pas recevoir cette visite. Qu'avez-vous donc, sire?
– Rien, rien.
– On dirait que vous doutez.
– Mais…
– Mais quoi?
– Mais je vous croyais hier à Paris.
– À quelle heure?
– À l'heure à laquelle vous prétendez que vous vous êtes couchée.
– Sans doute, j'y suis allée à Paris. Eh bien! est-ce que l'on ne revient pas de Paris?
– Si fait. Le tout dépend de l'heure à laquelle on en revient.
– Ah! ah! vous voulez savoir l'heure juste à laquelle je suis revenue de Paris, alors?
– Mais, oui.
– Rien de plus facile, sire.
La reine appela:
– Madame de Misery!
La femme de chambre reparut.
– Quelle heure était-il quand je revins de Paris, hier, madame de Misery? demanda la reine.
– À peu près huit heures, Votre Majesté.
– Je ne crois pas, dit le roi; vous devez vous tromper, madame de Misery; informez-vous.
La femme de chambre, droite et impassible, se tourna vers la porte.
– Madame Duval! dit-elle.
– Madame! répliqua une voix.
– À quelle heure Sa Majesté est-elle rentrée de Paris hier soir?
– Il pouvait être huit heures, madame, répliqua la deuxième femme de chambre.
– Vous devez vous tromper, madame Duval, dit Mme de Misery.
Mme Duval se pencha vers la fenêtre de l'antichambre et cria: