– Laurent!
– Qu'est-ce que Laurent? demanda le roi.
– C'est le concierge de la porte par laquelle Sa Majesté est rentrée hier, dit Mme de Misery.
– Laurent! cria Mme Duval, à quelle heure Sa Majesté la reine est-elle rentrée hier?
– Vers huit heures, répliqua le concierge du bas de la terrasse.
Le roi baissa la tête.
Mme de Misery congédia Mme Duval, qui congédia Laurent.
Les deux époux demeurèrent seuls.
Louis XVI était honteux et faisait tous ses efforts pour dissimuler cette honte.
Mais la reine, au lieu de triompher de la victoire qu'elle venait de remporter, lui dit froidement:
– Eh bien! sire, voyons, que désirez-vous savoir encore?
– Oh! rien, s'écria le roi en pressant les mains de sa femme, rien!
– Cependant…
– Pardonnez-moi, madame; je ne sais trop ce qui m'était passé par la tête. Voyez ma joie; elle est aussi grande que mon repentir. Vous ne m'en voulez point, n'est-ce pas? Ne boudez plus: foi de gentilhomme! j'en serais au désespoir.
La reine retira sa main de celle du roi.
– Eh bien! que faites-vous, madame? demanda Louis.
– Sire, répondit Marie-Antoinette, une reine de France ne ment pas!
– Eh bien? demanda le roi étonné.
– Eh bien, sire, moi, je viens de mentir.
– Que voulez-vous dire?
– Je veux dire que je ne suis pas rentrée hier à huit heures du soir!
Le roi recula surpris.
– Je veux dire, continua la reine avec le même sang-froid, que je suis rentrée ce matin à six heures seulement.
– Madame!
– Et que sans M. le comte d'Artois, qui m'a offert un asile et logée par pitié dans une maison à lui, je restais à la porte comme une mendiante.
– Ah! vous n'étiez pas rentrée, dit le roi d'un air sombre; alors, j'avais donc raison?
– Sire, vous tirez, je vous en demande pardon, de ce que je viens de dire une solution d'arithméticien, mais non une conclusion de galant homme.
– En quoi, madame?
– En ceci que, pour vous assurer si je rentrais tôt ou tard, vous n'aviez besoin ni de fermer votre porte, ni de donner vos consignes, mais seulement de venir me trouver et de me demander: «À quelle heure êtes-vous rentrée, madame?»
– Oh! fit le roi.
– Il ne vous est plus permis de douter, monsieur; vos espions avaient été trompés ou gagnés, vos portes forcées ou ouvertes, votre appréhension combattue, vos soupçons dissipés. Je vous voyais honteux d'avoir usé de violence envers une femme dans son droit. Je pouvais continuer à jouir de ma victoire. Mais je trouve vos procédés honteux pour un roi, malséants pour un gentilhomme, et je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous le dire.
Le roi épousseta son jabot en homme qui médite une réplique.
– Oh! vous avez beau faire, monsieur, dit la reine en secouant la tête, vous n'arriverez pas à excuser votre conduite envers moi.
– Au contraire, madame, j'y arriverai facilement, répondit le roi. Est-ce que, dans le château, par exemple, une seule personne se doutait que vous ne fussiez pas rentrée? Eh bien! si chacun vous savait rentrée, personne n'a pu prendre pour vous ma consigne de la fermeture des portes. Qu'on l'ait attribuée aux dissipations de M. le comte d'Artois ou de tout autre, vous comprenez bien que je ne m'en inquiète pas.
– Après, sire? interrompit la reine.
– Eh bien! je me résume, et je dis: si j'ai sauvé envers vous les apparences, madame, j'ai raison, et je vous dis: vous avez tort, vous qui n'en avez pas fait autant envers moi; et si j'ai voulu tout simplement vous donner une secrète leçon, si la leçon vous profite, ce que je crois, d'après l'irritation que vous me témoignez, eh bien! j'ai raison encore, et je ne reviens sur rien de ce que j'ai fait.
La reine avait écouté la réponse de son auguste époux en se calmant peu à peu; non pas qu'elle fût moins irritée, mais elle voulait garder toutes ses forces pour la lutte qui, dans son opinion, au lieu d'être terminée, commençait à peine.
– Fort bien! dit-elle. Ainsi, vous ne vous excusez pas d'avoir fait languir à la porte de sa demeure, comme vous eussiez pu faire de la première venue, la fille de Marie-Thérèse, votre femme, la mère de vos enfants? Non, c'est à votre avis une plaisanterie toute royale, pleine de sel attique, dont la moralité d'ailleurs double la valeur. Ainsi, à vos yeux, ce n'est rien qu'une chose toute naturelle que d'avoir forcé la reine de France à passer la nuit dans la petite maison où le comte d'Artois reçoit les demoiselles de l'Opéra et les femmes galantes de votre cour? Ah! ce n'est rien, non, un roi plane au-dessus de toutes ces misères, un roi philosophe surtout. Et vous êtes philosophe, vous sire! Notez bien qu'en ceci M. d'Artois a joué le beau rôle. Notez qu'il m'a rendu un service signalé. Notez que, pour cette fois, j'ai eu à remercier le Ciel que mon beau-frère fût un homme dissipé, puisque sa dissipation a servi de manteau à ma honte, puisque ses vices ont sauvegardé mon honneur.
Le roi rougit et se remua bruyamment sur son fauteuil.
– Oh! dit la reine, avec un rire amer, je sais bien que vous êtes un roi moral, sire! Mais avez-vous songé à quel résultat votre morale arrive? Nul n'a su que je n'étais pas rentrée, dites-vous? Et vous-même m'avez crue ici! Direz-vous que M. de Provence, votre instigateur, l'a cru, lui? Direz-vous que M. d'Artois l'a cru? Direz-vous que mes femmes, qui, par mon ordre, vous ont menti ce matin, l'ont cru? Direz-vous que Laurent, acheté par M. le comte d'Artois et moi, l'a cru? Allez, le roi a toujours raison, mais parfois la reine peut avoir raison aussi. Prenons cette habitude, voulez-vous, sire? vous de m'envoyer espions et gardes suisses, moi d'acheter vos suisses et vos espions, et je vous le dis, avant un mois, car vous me connaissez et vous savez que je ne me contiendrai pas, eh bien! avant un mois la majesté du trône et la dignité du mariage, nous additionnerons tout cela ensemble un matin, comme aujourd'hui, par exemple, et nous verrons ce que cela nous coûtera à tous deux.
Il était évident que ces paroles avaient fait un grand effet sur celui à qui elles étaient adressées.
– Vous savez, dit le roi d'une voix altérée, vous savez que je suis sincère, et que j'avoue toujours mes torts. Voulez-vous me prouver, madame, que vous avez raison de partir de Versailles en traîneau, avec des gentilshommes à vous? Folle troupe qui vous compromet dans les graves circonstances où nous vivons! Voulez-vous me prouver que vous avez raison de disparaître avec eux dans Paris, comme des masques dans un bal, et de ne plus reparaître que dans la nuit, scandaleusement tard, tandis que ma lampe s'est épuisée au travail et que tout le monde dort? Vous avez parlé de la dignité du mariage, de la majesté du trône et de votre qualité de mère. Est-ce d'une épouse, est-ce d'une reine, est-ce d'une mère ce que vous avez fait là?
– Je vais vous répondre en deux mots, monsieur, et, vous le dirai-je d'avance, je vais répondre encore plus dédaigneusement que je n'ai fait jusqu'à présent, car il me semble, en vérité, que certaines parties de votre accusation ne méritent que mon dédain. J'ai quitté Versailles en traîneau pour arriver plus vite à Paris; je suis sortie avec Mlle de Taverney, dont, Dieu merci! la réputation est une des plus pures de la cour, et je suis allée à Paris vérifier de moi-même que le roi de France, ce père de la grande famille, ce roi philosophe, ce soutien moral de toutes les consciences, lui qui a nourri les pauvres étrangers, réchauffé les mendiants et mérité l'amour du peuple par sa bienfaisance; j'ai voulu vérifier, dis-je, que le roi laissait mourir de faim, croupir dans l'oubli, exposé à toutes les attaques du vice et de la misère, quelqu'un de sa famille, en tant que roi: un des descendants enfin d'un des rois qui ont gouverné la France.
– Moi! fit le roi surpris.
– J'ai monté, continua la reine, dans une espèce de grenier, et j'ai vu, sans feu, sans lumière, sans argent, la petite-fille d'un grand prince; j'ai donné cent louis à cette victime de l'oubli, de la négligence royale. Et comme je m'étais attardée, en réfléchissant sur le néant de nos grandeurs, car moi aussi parfois je suis philosophe, comme la gelée était rude, et que par la gelée les chevaux marchent mal, et surtout les chevaux de fiacre…
– Les chevaux de fiacre! s'écria le roi. Vous êtes revenue en fiacre?
– Oui, sire, dans le n° 107.
– Oh! oh! murmura le roi en balançant sa jambe droite croisée sur la gauche, ce qui était chez lui le symptôme d'une vive impatience. En fiacre!
– Oui, et trop heureuse encore d'avoir trouvé ce fiacre, répliqua la reine.
– Madame! interrompit le roi, vous avez bien agi; vous avez toujours de nobles aspirations, écloses trop légèrement peut-être; mais la faute en est à cette chaleur de générosité qui vous distingue.