– Oh! c'est magnifique, dit enfin la reine retrouvant la parole, magnifique, répéta-t-elle avec des yeux qui s'animaient, soit au contact de ces diamants splendides, soit parce qu'elle songeait que nulle femme au monde ne pourrait avoir un collier pareil.
– Alors, vous êtes contente? dit le roi.
– Enthousiasmée, sire. Vous me rendez trop heureuse.
– Vraiment!
– Voyez donc ce premier rang, les diamants sont gros comme des noisettes.
– En effet.
– Et assortis. On ne les distinguerait pas les uns des autres. Comme la gradation des grosseurs est habilement ménagée! Quelles savantes proportions entre les différences du premier et du second rang, et du second au troisième! Le joaillier qui a réuni ces diamants et fait ce collier est un artiste.
– Ils sont deux.
– Je parie alors que c'est Bœhmer et Bossange.
– Vous avez deviné.
– En vérité, il n'y a qu'eux pour oser faire des entreprises pareilles. Que c'est beau, sire, que c'est beau!
– Madame, madame, dit le roi, vous payez ce collier beaucoup trop cher, prenez-y garde.
– Oh! s'écria la reine, oh! sire.
Et tout à coup son front radieux s'assombrit, se pencha.
Ce changement dans sa physionomie s'opéra si rapide et s'effaça si rapidement encore, que le roi n'eut pas même le temps de le remarquer.
– Voyons, dit-il, laissez-moi un plaisir.
– Lequel?
– Celui de mettre ce collier à votre cou.
La reine l'arrêta.
– C'est bien cher, n'est-ce pas? dit-elle tristement.
– Ma foi! oui, répliqua le roi en riant; mais je vous l'ai dit, vous venez de le payer plus qu'il ne vaut, et ce n'est qu'à sa place, c'est-à-dire à votre col, qu'il prendra son véritable prix.
Et, en disant ces mots, Louis s'approchait de la reine, tenant de ses deux mains les deux extrémités du magnifique collier, pour le fixer par l'agrafe faite elle-même d'un gros diamant.
– Non, non, dit la reine, pas d'enfantillage. Remettez ce collier dans votre écrin, sire.
Et elle secoua la tête.
– Vous me refusez de le voir le premier sur vous?
– À Dieu ne plaise que je vous refusasse cette joie, sire, si je prenais le collier; mais…
– Mais… fit le roi surpris.
– Mais ni vous ni personne, sire, ne verra un collier de ce prix à mon cou.
– Vous ne le porterez pas, madame?
– Jamais!
– Vous me refusez?
– Je refuse de me pendre un million, et peut-être un million et demi au cou, car j'estime ce collier quinze cent mille livres, n'est-ce pas?
– Eh! je ne dis pas non, répliqua le roi.
– Et je refuse de pendre à mon col un million et demi quand les coffres du roi sont vides, quand le roi est forcé de mesurer ses secours et de dire aux pauvres: «Je n'ai plus d'argent, Dieu vous assiste!»
– Comment, c'est sérieux ce que vous me dites là?
– Tenez, sire, M. de Sartine me disait un jour qu'avec quinze cent mille livres on pouvait avoir un vaisseau de ligne, et, en vérité, sire, le roi de France a plus besoin d'un vaisseau de ligne que la reine de France n'a besoin d'un collier.
– Oh! s'écria le roi, au comble de la joie et les yeux mouillés de larmes, oh! ce que vous venez de faire là est sublime. Merci, merci!.. Antoinette, vous êtes une bonne femme.
Et pour couronner dignement sa démonstration cordiale et bourgeoise, le bon roi jeta ses deux bras au cou de Marie-Antoinette, et l'embrassa.
– Oh! comme on vous bénira en France, madame, s'écria-t-il, quand on saura le mot que vous venez de dire.
La reine soupira.
– Il est encore temps, dit le roi avec vivacité. Un soupir de regrets!
– Non, sire, un soupir de soulagement; fermez cet écrin et rendez-le aux joailliers.
– J'avais déjà disposé mes termes de paiements; l'argent est prêt; voyons, qu'en ferai-je? Ne soyez pas si désintéressée, madame.
– Non, j'ai bien réfléchi. Non, bien décidément, sire, je ne veux pas de ce collier; mais je veux autre chose.
– Diable! voilà mes seize cents mille livres écornées.
– Seize cents mille livres? Voyez-vous! Eh quoi, c'était si cher?
– Ma foi! madame, j'ai lâché le mot, je ne m'en dédis pas.
– Rassurez-vous; ce que je vous demande coûtera moins cher.
– Que me demandez-vous?
– C'est de me laisser aller à Paris encore une fois.