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– Raison de plus pour le bien employer. As-tu souvent fait l'aumône?

– Quelquefois.

– Oui, trente fois en tout: dix fois par charité, vingt fois par orgueil et par respect humain; tout compensé, l'aumône ne te sera point comptée. – As-tu souvent pensé au Seigneur ton Dieu?

– Oh! oui, souvent.

– Oui souvent, jusqu'à l'âge de douze ans, quand ta mère te disait de faire tes prières; mais plus tard, aux parures, aux bals, aux beaux cheveux des jeunes gens. As-tu respecté ton père et ta mère, à l'égal du Seigneur ton Dieu?

– Je les aimais, reprit l'ame.

– Et jamais tu ne leur as désobéi?

L'ame se tint dans le silence.

– Sara, tu as dansé?»

L'ame commença à être agitée comme une feuille tremblant sous le vent.

– «Sara! ton père est mort, et son ame est avec moi.»

L'ame trembla plus fort.

– «Sara! aux ténèbres éternelles!

– Hélas! hélas! reprit-elle, pour avoir dansé!

– Non point pour avoir dansé, répondit le juge, car j'ai avec moi des danseurs dans la félicité éternelle; mais parce que ton père t'a maudite, et qu'il est mort sans avoir repris sa malédiction. Adieu, Sara, adieu, ma fille, chante maintenant.»

Aussitôt les esprits de ténèbres se ruèrent sur elle, en riant aux éclats; et, l'entraînant vers les régions de leur éternité, ils la faisaient horriblement souffrir en se l'arrachant entre eux, pour savoir qui aurait l'honneur de la présenter à leur illustre seigneur et roi.

Or Satan était assis dans toute sa gloire sur un trône emblématique, dans lequel il avait pris plaisir à parodier tous les trônes de la terre; sa forme était, j'en demande humblement pardon à l'honorable lecteur, celle d'une chaise percée. Son front, jaune et cuivré, était sans cesse agité par un tic nerveux, et sa bouche, qui s'entrouvrait pour sourire, laissait voir dans une profondeur infinie deux rangées de dents blanches qui ne ressemblaient pas mal aux longues colonnades d'un temple antique.

– Une ame? dit Satan.

– Oui, maître, répondirent les suppôts.

– Ame, qu'as-tu fait? reprit le grand monarque.

– J'ai dansé, répondit l'ame, si bien que mon père en est mort, et le Seigneur mon Dieu (ici Satan fit une horrible contorsion) m'envoie vers vous pour que vous fassiez de moi ce qu'il vous plaira.»

Et l'ame aurait voulu mentir qu'elle ne l'aurait pas pu, car son arrêt la condamnait à se dénoncer elle-même, et il fallait que son arrêt fût accompli.

Lors Satan, dans un jour de familiarité, daigna consulter les démons qui avaient amené l'ame de Sara, et il leur dit: «Qu'en ferons-nous?

– Pendons-la par les pieds! dit le premier; ainsi elle sera punie par où elle a péché.

– Commun! dit le maître, et il passa à un autre avis.

– Moi, dit le second, je propose ma fameuse mixture: huile bouillante, un baril ordinaire, bonne partie de soufre et de plomb, argent et bronze en fusion, servez chaud et faites infuser la coupable…»

La pauvre ame en délibération eut une mortelle frayeur en entendant parler de cette cuisine effroyable.

Mais Satan, donnant un coup de pied à l'opinant: «Arrière! lui dit-il, misérable classique! avec tes vieilles méthodes. J'ai une idée»; et se levant pour en faire aussitôt l'essai, il ordonne que dans un coin de son empire on élève rapidement une vaste salle de spectacle capable de contenir quelques cent milliers de spectateurs.

Ni peintures, ni dorures, ni candélabres, ni lustres, ni girandoles ne sont épargnés. Dans l'orchestre, ce sont trompettes déchirantes, clarinettes criardes, tam-tams à la voix d'airain et au bruissement lugubre, basses ronflantes et continues, avec des fifres pour les dessus.

Puis pour une heure de l'éternité les chaudières et les chevalets se reposent, et le beau monde des damnés est invité, sous bonne escorte, à venir honorer de sa présence l'ouverture de l'Académie royale de l'enfer.

Industrie de bourreaux! les voilà qui rendent à ces femmes, à ces femmes qui depuis le temps qu'elles brûlent dans la géhenne éternelle avaient presque oublié les joies de la terre, les voilà qui leur rendent et leurs frais chapeaux de fleurs, et leurs plumes, et leurs cachemires, et leurs satins brochés, et leurs riches fourrures; puis tout à l'heure ils les dépouilleront de tout cela, et avec un désespérant souvenir tout fraîchement renouvelé, ils les renverront reprendre leur nudité et leur supplice. Cependant derrière les dames, au second rang des loges, l'habit bien empesé et la cravate savamment jetée, se placent les ministres, les banquiers, les diplomates et les dilettanti; la corne dorée, la fourche au poing, grave et imposant comme un sergent de garde bourgeoise, un démon veille à chaque issue; mais ce que vous n'auriez pas vu sur la terre, aux stalles réservées pour les hauts dignitaires, ce ne sont qu'évêques, cardinaux, archevêques, revêtus de leurs plus beaux atours, et ne tenant compte de la canaille du parterre qui, parquée derrière cette forêt de houlettes et de coiffures épiscopales, ne cesse de crier: A bas le chapeau rouge! à bas la crosse! à bas la mitre!

Après cela, dans une loge restée vide, et richement drapée, voyez venir sa majesté Satan; il est accompagné de ses hauts dignitaires et de madame la Mort, reine des royaumes infernaux, de la terre, du monde, et autres lieux circonvoisins; sur quoi la pièce commença, dont nous ne saurions au juste donner l'analyse. Nous pouvons dire cependant que deux scènes furent merveilleusement applaudies. Dans l'une, le poète et le musicien avaient agréablement tourné en raillerie la félicité des justes, condamnés, disaient-ils, pour toute réjouissance, à chanter éternellement l'Hosanna in excelsis devant la face du Très-Haut. On laisse à penser du succès que cette parodie dut avoir devant un pareil auditoire.

La donnée de l'autre scène, quoique plus fine et plus délicate, ne fut pas moins goûtée. Dans une langoureuse cavatine, un bienheureux se plaignait de n'avoir plus retrouvé dans le ciel ses amitiés de la terre; il ne pouvait se consoler d'avoir vu toutes les forces aimantes de son ame aller se résumer dans le mystique amour des perfections divines, et il demandait qu'on lui rendît ses amours grossières de la création et les yeux de sa bien-aimée.

Ensuite ce fut le ballet.

Plusieurs danseuses vinrent successivement rivaliser de graces et de molles attitudes. A chaque pas brillant, à chaque pirouette hardie, le roi donnait lui-même le signal, et des tonnerres d'applaudissemens retentissaient; mais quand ce fut le tour de Sara, il affecta, car cela était dans son plan, une froide indifférence, que le reste des spectateurs partagea avec lui. La pauvre fille avait beau se dépenser en efforts, un désespérant silence l'accueillit jusqu'à la fin de la scène; aussi, en rentrant dans les coulisses, d'où ses compagnes avaient vu sa mésaventure, elle fut saisie d'une violente attaque de nerfs. Alors le roi Satan, qui avait voulu faire cet essai, tint pour certain que le plus grand supplice à infliger à une ame d'artiste, c'est la supériorité de ses rivales: assuré de l'excellence de ce nouveau mode de torture, et ayant autre chose à faire que d'assister jusqu'au bout à l'intrigue d'un ballet, il se leva, et aussitôt les gardiens, à grands coups de fouet, firent évacuer la salle par l'honorable assistance.

Depuis ce temps, dans cette salle déserte, dont une petite lampe, à la lumière tremblotante, ne sert qu'à sonder l'incommensurable solitude, la pauvre Sara, ayant toujours à l'oreille le bruit des applaudissemens donnés à ses compagnes, est là, qui danse sans relâche; et il n'y a pas d'orchestre pour lui marquer la mesure, pas d'yeux pour contempler ses grâces et sa beauté, pas de prince russe pour s'en éprendre, et lui escompter son admiration.

UNE BONNE FORTUNE

C'est chose curieuse qu'une soirée de Palerme, au bord de la mer murmurante, sous les flots du soleil d'été, au milieu de cette population grimaçante et mobile, plus originale mille fois et moins connue que la race classique des abbés, des courtisanes et des lazzaroni napolitains. Grâce aux romans et à la scène, Naples est vieux pour moi: on me l'a gâté; on m'a usé ce ciel et cette mer pleins de prestiges. La Sicile est neuve et inconnue; il y a là un double reflet venu de l'Arabie et de l'Espagne. Des murailles sarrazines s'élèvent autour de vous; des costumes espagnols flottent aux fenêtres et étincellent sur les quais. C'est une féerie comique et fantastique! Et l'air est si doux, la brise apporte tant de parfums avec sa fraîcheur, la chanson du pâtre lointain a quelque chose de si sauvage et de si tendre! Vous ne respirez que fleurs, vous ne voyez que débris de marbres et fragmens de temples. C'est encore un fragment de grotesque comédie que cette aristocratie en guenilles, et sur ces guenilles de l'or; ces femmes belles comme dans l'ancienne Syracuse, et vêtues comme on l'était il y a quarante ans; puis au milieu des chanteurs et des promeneurs, un gros moine rebondi qui vous offre un crâne de mort au bout d'une croix noire, et vous demande l'aumône en riant, son urne sépulcrale toujours brandie et vacillante sous votre menton; puis des carrosses découverts roulant doucement sur la Marina[12 - La Marina, quai de Palerme], chargés d'abbés qui rient, qui s'éventent avec des plumes, qui se parfument, qui prennent du tabac, qui savourent des sorbets. Auprès des abbés sont des princes écrasés de noms propres et d'ennui, traînant de leur mieux leur gloire séculaire, leur obscurité profonde et leur pauvreté incurable. Quelques-uns d'entre eux se jettent dans la dévotion, d'autres dans la débauche, d'autres dans les arts. J'ai connu un prince palermitain qui s'est ruiné en sculptures d'un genre inouï; il faisait exécuter des bouteilles hautes de trente pieds et taillées dans le marbre; des pions d'échecs de dimensions colossales, et dont le régiment garnissait une vaste cour de son palais; un polichinel grand comme Atlas, en agathe et en onyx; au milieu de l'étoile du parc une longue marotte d'ébène s'élevait en forme de pyramide. Toutes ces inventions fantasques coûtèrent sa fortune au prince de ***, et l'envoyèrent mourir à l'hôpital. Ce que c'est que l'oisiveté entée sur la sottise et la richesse!

Vous qui avez de belles couleurs sous votre pinceau, mes amis, donnez-nous la copie du tumulte de la Marina, reproduisez ce bruit d'un peuple indigent qui jouit de se sentir vivre, ces baise-mains jetés au vent et rendus de toutes parts: bonjour! bonsoir! lancés de carrosse en carrosse, avec plus de verve que de bon ton; et la cloche de l'Angélus retentissant sous ce beau ciel dont l'azur noir se fond dans une teinte d'émeraudes: belle et ravissante scène en vérité! On l'a très-peu admirée et rarement décrite. Il est à la mode d'aller à Rome et à Naples; la Sicile n'est pas encore fashionable.

J'admirais ce spectacle, et je m'étais appuyé, pour en mieux jouir, contre la muraille basse ornée de petits pilastres d'architecture sarrazine qui suit le rivage de la mer, et présente aux promeneurs fatigués une longue et commode banquette de marbre fruste et usée depuis des siècles. Je m'assis sur ce banc. L'air maritime soufflait dans mes cheveux; la mobile scène passait devant moi.

Un capucin à longue barbe vint prendre place à mes côtés. Il avait l'air souffrant, son extérieur était plutôt triste et simple que dévot et humble. On lui aurait donné cinquante ans, et on l'aurait pris pour un ancien militaire. Sa physionomie n'était pas sicilienne. Au lieu de se contracter avec une mobilité presque convulsive, elle était froide, sévère, résignée. Vous avez rencontré dans votre vie de ces traits heureux qui appellent la confiance et la fixent; vous vous intéressez involontairement à cette physionomie inconnue; ce n'est pas de la beauté ni même de la grâce; vous vous dites: «La souffrance a passé par là; elle a passé, non sans se faire sentir; elle n'a point rencontré un corps d'airain, une ame de bronze, mais un être faible, tendre, mais une organisation délicate; la lutte a été cruelle. Et voici cet être, il n'a pas été brisé; approchons pour en toucher les restes. C'est en lui qu'a eu lieu le combat, c'est lui qui a été le théâtre, la victime et l'athlète.»

Je voulais lier conversation avec le capucin; je lui demandai l'heure. Il me regarda fixement, reconnut sans doute à mon accent que j'étais étranger à Palerme, et me répondit en anglais:

«Il est huit heures.»

Puis il se leva et partit.

Je sais l'anglais; la prononciation du capucin était toute nationale et franchement britannique; je ne pouvais m'y tromper. Mais comment cet Anglais était-il venu à Palerme? Un homme de cette nation en Sicile et sous la robe de capucin! Il y avait là quelque mystère que je voulais approfondir. Je revins le lendemain à la même place dans l'espérance de l'y retrouver; en effet il y était. Les jours suivans même manége. Peu à peu sa farouche humeur s'adoucit; je parlais anglais avec lui, cela lui gagna le coeur. Il vit que je désirais me lier avec lui, et s'y prêta sans peine; il avait de l'instruction et une connaissance pratique assez étendue des hommes et des choses: quinze jours après notre première entrevue il me raconta sa vie.

Rien n'est plus touchant qu'une douleur vraie qui se juge, se condamne et se contraint. La voix du moine était ferme, son oeil restait sec, mais on voyait que ce calme lui coûtait. Il faisait l'histoire de son malheur comme un brave invalide raconte la campagne où il a perdu un de ses membres. La conversation n'était point encore tombée sur cette matière, et il ne m'avait parlé ni de ses antécédens, ni de ses malheurs, lorsque je m'avisai de lui demander depuis combien de temps il portait cette robe.

«Ne me jugez pas d'après elle. Vous ne me connaissez pas, me répondit-il. J'ai adopté le couvent comme un lieu de paix et de retraite, et cette robe comme une égide commode contre la vie et ses tourmens; je ne suis pas de l'ordre de Saint-François. Les moines de ce pays, classe d'hommes dont on dit tant de mal, sont d'une admirable tolérance; ils me laissent porter leur costume, partager leur vie, et ne m'imposent pas leurs croyances; ils me souffrent et m'aiment. Je suis protestant. Que cela ne vous étonne pas: nous autres philosophes de France et d'Angleterre nous ne savons pas ce que les couvens d'Italie et d'Espagne renferment de lumières et de bon sens. Jamais nos moines ne me font subir l'ennui d'aucune controverse; je vis avec eux, et j'y vis… tranquille.»

A ce dernier mot il hésita, il s'arrêta, il n'osait pas dire heureux. Une rêverie plus sombre nuagea ce front pensif; des idées tristes l'assiégeaient. Il garda quelques momens le silence, appuya sa tête rasée entre ses mains, et me dit:

«Je suis du comté de Herford. Quand notre armée revint d'Alexandrie, le vaisseau de transport sur lequel je me trouvais avec plusieurs autres officiers fut incapable de tenir la mer, et nous relâchâmes à Messine. Fatigués des incommodités sans nombre de l'existence orientale, des détestables appartemens du Caire et de la vie de vaisseau, nous descendîmes au lazaret; nous le trouvâmes commode et de bon goût. Vous savez ce que c'est que ce lazaret: une mauvaise cour carrée avec un cimetière au milieu. On est là, isolé des vivans, sans communication avec la terre, et sans autre récréation que l'espérance d'en sortir bientôt. Mes camarades supportaient fort bien leur position; les journaux anglais que l'on nous envoyait fournissaient un aliment à leur curiosité et à leur gaieté. Ils jouaient, ils chantaient; j'étais triste et j'ignorais la cause de cette tristesse. Un indicible pressentiment pesait sur moi; dans nos journaux je ne trouvais rien qui se rapportât à ma famille ou à mes amis; les journaux stériles comme cette mer aux flots plats et tristes, comme ces murs jaunes et lugubres qui m'environnaient. Mes camarades me raillaient; je ne savais que leur répondre. Enfin notre quarantaine s'acheva.

»Vous connaissez sans doute la disposition des théâtres de Messine: ils sont distribués en stalles où chacun trouve la place que le hasard lui assigne, de sorte que trois ou quatre rangs d'auditeurs peuvent vous séparer des personnes de votre société. C'est ce qui m'arriva le soir même où la liberté nous fut rendue. Toutes les loges étaient pleines; nous allâmes prendre place au parterre, mes camarades et moi; nous fûmes obligés de nous asseoir à de grandes distances les uns des autres. Dans un entr'acte plusieurs Siciliens assis près de moi se levèrent, et d'autres officiers anglais accompagnés d'un jeune homme en costume de ville prirent leur place. Ils parlaient très-haut, et j'appris que le dernier interlocuteur était arrivé le soir même à Messine par le paquebot.
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