Оценить:
 Рейтинг: 0

Contes bruns

Год написания книги
2017
<< 1 ... 9 10 11 12 13 14 15 16 17 ... 32 >>
На страницу:
13 из 32
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля

» – Faisons ce qu'elle demande, dit lord Barndale, nous déciderons après.

»L'aubergiste se refusait d'abord à nous accompagner mais Marie lui dit d'un ton impératif et avec une énergie qui m'étonna:

» – Il le faut!

«Le changement subit qui venait de s'opérer chez Marie me blessa. Était-ce donc cette femme si délicate et si faible qui prenait tout à coup une attitude arrogante, et un ton auquel la convenance semblait manquer? Nous partîmes.

»Lord Barndale était avec sa fille dans une chaise de poste; je me trouvais avec l'aubergiste dans une autre. Trois fois il fallut s'arrêter pour secourir Marie, dont les évanouissemens nous affligeaient; l'hôtesse paraissait très-émue et à peu près incapable de répondre à mes questions.

»Lorsque nous descendions de voiture, Marie semblait affecter de ne faire aucune attention à moi. Je ne sais quelle résolution violente paraissait l'animer. Arrivée à Bath, elle fit dire au postillon de se diriger vers un hôtel de la rue Pultney qu'elle indiqua très-exactement. Quand nos voitures s'arrêtèrent, Marie descendit la première, frappa, dit au domestique de prier sa maîtresse de descendre un moment, et nous fit signe de la suivre. Nous étions tous debout dans le parloir de cette maison inconnue quand la dame du logis se présenta devant nous; à peine avait-elle mis le pied dans la chambre que l'hôtesse, s'avançant d'un pas et la regardant fixement, s'écria:

» – Voici lady Osprey!

»La dame pâlit, recula vers la porte et eut l'air de reconnaître l'aubergiste.

» – Vous vous trompez, lui dit-elle, je suis lady Heathstone.

» – Non, non, s'écria l'hôtesse avec beaucoup d'émotion et de violence, c'est vous qui m'avez dit votre nom, vous-même, cette nuit où vous êtes venue dans mon auberge avec lord Mondeville, et où je vous ai surprise! Cette jeune dame, ajouta-t-elle en montrant Marie qui se trouvait mal pendant cette explication, logeait aussi chez moi, et elle vous a vue; elle vous a même saluée le matin lorsque vous partîtes avec sir Mondeville.

» – Il y a ici quelque erreur, reprit lady Heathstone; que voulez-vous dire?

»Je m'avançai vers lady Heathstone, en priant lord Barndale d'avoir soin de sa fille.

» – Sir Ormond, que j'ai eu le plaisir de voir à Messine, dis-je à cette dame, avait raison de faire l'éloge de votre politique et de votre adresse, cependant elles échouent aujourd'hui. Rendez son nom et son honneur à lady Osprey, madame.

»Elle se jeta sur le sofa, et couvrant son visage de ses mains, elle s'écria:

» – Quoi! vous l'avez vu à Messine?

» – Quittons cette femme, dit d'une voix sombre lord Barndale, qui ne pouvait parvenir à rendre à sa fille l'usage de ses sens.

»Nous la replaçâmes dans la chaise de poste, mourante, presque inanimée, incapable de ressentir la joie que devait lui causer son innocence, si hautement reconnue. Hélas! monsieur, que puis-je vous dire de plus, pendant deux mois elle languit; elle me pardonna et mourut d'un anévrisme au coeur, déterminé par tant de secousses et d'émotions.

»Le père indigné déclara qu'il ne me reverrait jamais. J'eus le malheur de perdre mes deux enfans. Je n'avais plus rien à faire au monde, monsieur, je revins en Sicile, où j'espérais trouver encore lord Mondeville, à qui je voulais demander vengeance de tous les maux que sa fatuité avait fait tomber sur moi, et de l'indigne supposition de nom qui avait flétri l'honneur de ma femme: il était parti pour les Indes avec une commission du gouvernement. Le père Anselme me facilita l'entrée de ce cloître, où je trouve un asile. Hélas! tous les lieux me sont indifférens! Une seule pensée de haine me reste, au milieu de tant de pensées douloureuses! J'ai de l'aversion pour ces institutions sociales qui me condamnent au malheur. Ah! le mariage, monsieur, le mariage! posséder une femme, l'aimer, la croire à soi et trembler toujours; et ne jamais savoir si un autre ne reçoit pas en pur don ce que la loi nous accorde et ce que le coeur peut nous refuser; n'être jamais certain que les désirs et les voeux d'une épouse sont pour vous, sont à vous; conserver pour un autre et élever pour les menus plaisirs d'un ami ces créatures si frêles, si délicates, que nous pouvons briser en les adorant, et que nous couvrons de nos hommages immérités, après les avoir accablées de nos injustices.»

TOBIAS GUARNERIUS

Par une soirée bien brumeuse d'hiver, mon arrière-grand-père, retenu pour quelques affaires à Brème en Saxe, se promenait dans une petite rue écartée, derrière la cathédrale. Ce qu'il faisait là, vous le comprendrez de reste quand je vous aurai appris qu'il avait alors vingt ans, et qu'il est peu de villes en Allemagne où les grisettes soient plus gracieuses et plus agaçantes. Ceci soit dit sans altérer en rien la bonne opinion que par avance vous auriez pu prendre de son mérite. Mais depuis plus de vingt minutes l'heure du rendez-vous était sonnée à toutes les horloges, sans que celle qui l'avait donné eût songé à s'y rendre, et mon arrière-grand-père attendait toujours.

Le gouvernement représentatif nous a trop bien guéris, hélas! de ces merveilleuses patiences d'amour: bien admirable pour moi serait l'homme qui s'en rencontrerait encore capable aujourd'hui.

Pendant les longs tours et retours de sa faction, mon arrière-grand-père avait remarqué une petite boutique placée à l'angle de la rue qu'il arpentait. Aux deux côtés de la devanture, deux planchettes peintes en rouge et taillées en forme de violons indiquaient le commerce qui s'y faisait, ou, pour parler plus juste, le commerce qui ne s'y faisait point; car, à moins que l'on ne compte pour quelque chose un mauvais basson pendu au mur, une contre-basse sans cordes, quelques archets et une quinte que le propriétaire du lieu était occupé à raccommoder, sa boutique était complétement dégarnie, et, nonobstant l'inscription placée au-dessus de la porte, ressemblait plutôt à un corps de garde de milice bourgeoise qu'à un magasin d'instrumens à cordes et à vent.

Une mauvaise chandelle, haletant sous une mèche effroyablement longue, qui lui faisait jeter des lueurs sinistres, éclairait à peine l'homme qui travaillait dans cette misérable échoppe. Il ne paraissait pas d'ailleurs tenir autrement à la perfection de l'ouvrage dont il s'occupait, car, de trois minutes en trois minutes, il se levait, laissait là sa quinte, et se promenait à grands pas, avec un regard fixe et des gestes brusques et précipités, indiquant un homme qu'une pensée profonde était venue visiter.

Moitié curiosité, moitié pour échapper à une neige abondante qui était venue compliquer son rendez-vous, mon arrière-grand-père, qui n'avait pu encore se décider à quitter la place, entre dans la boutique du luthier, et bien que de sa vie il n'eût su une note de musique, il le prie de lui montrer des violons à acheter.

«Des violons! répondit brusquement le luthier, vous voyez bien que je n'en ai pas et que je n'en vends pas, à moins que tous ne vouliez vous arranger de cette contre-basse, que j'ai été forcé de prendre en paiement pour les raccommodages que j'ai faits pendant plus d'un trimestre aux instrumens de l'orchestre des Chiens savans, qui ont eu dans cette ville un si grand succès, et qui ont travaillé devant MM. les membres du grand-conseil. La voulez-vous, ma contre-basse? je vous la laisse pour dix écus; pour cinquante livres, tenez, sans plus marchander.»

Mon arrière-grand-père eût été un million de fois plus musicien qu'il n'était réellement, il eût eu encore une peine infinie à se prêter à l'arrangement qu'on lui proposait, lequel consistait à s'accommoder d'une contre-basse lorsqu'il était censé avoir besoin d'un violon.

S'étant permis de faire, avec une grande force de logique, cette observation à l'honnête luthier, il en reçut je ne sais quelle répartie si étrange qu'il lui vint aussitôt à l'esprit qu'il avait affaire à une manière de monomane. La chose lui fut prouvée quand en sa présence ce singulier personnage recommença à se promener et à gesticuler, et quand une vieille femme, ouvrant la porte de l'arrière-boutique, lui fit signe en haussant les épaules que la tête du pauvre homme n'y était plus.

Mon arrière-grand-père sortit alors de chez le luthier, et le lendemain il partit de la ville, sans s'être autrement occupé de lui.

Trois ans après, durant un nouveau séjour qu'il fit à Brème, ayant eu occasion de repasser dans la même rue, il remarqua que la boutique du luthier était fermée; sur les volets, qui en plus d'un endroit portaient des traces d'effraction, de grandes croix rouges avaient été tracées. Cette circonstance ayant attiré son attention, le soir, à souper, il en parla à son hôte, qui était l'un des magistrats de haute police de la ville, et lui raconta, sans dire toutefois son rendez-vous manqué, l'étrange accueil qu'il avait reçu dans cette même boutique, trois ans auparavant. A son tour, le magistrat lui conta l'histoire que l'on va lire.

L'homme auquel vous avez eu affaire, lui dit-il, s'appelait Tobias Guarnerius; à grande peine il faisait vivre de son travail la vieille femme que vous avez vue: c'était sa mère, avec laquelle il vivait depuis la mort de sa femme.

Comme il était dans la ville le seul ouvrier de son état, et qu'elle contient un nombre assez considérable d'artistes et d'amateurs, qui sans cesse lui donnaient des instrumens à réparer, il aurait pu, ce semble, vivre passablement à l'aise. Mais dix ans environ avant l'époque dont nous parlons, une insigne calamité était venue le visiter. Un beau matin il s'était trouvé en proie à une idée fixe, et depuis ce temps il n'avait cessé de la poursuivre, quelque sacrifice qu'elle lui eût coûté.

Sa femme, qui était morte en partie du chagrin qu'elle avait eu à le voir dissiper ainsi tout le fruit de son travail, avait eu beau lui représenter la folie de sa persévérance, le conjurer de ne pas la réduire à la misère, il n'en avait tenu compte. D'abord ses économies, plus tard l'argent de quelques emprunts qu'il avait faits, ensuite ses meubles, ses marchandises, une partie de sa garde-robe, étaient venus se perdre dans ce gouffre qui s'était ouvert à côté de lui, sans que tant d'inutiles essais fussent parvenus à l'éclairer. A l'époque où, faute d'argent, il avait été forcé de mettre un terme à ses expériences, il n'en avait pas moins conservé l'espérance de réaliser sa pensée, qui tôt ou tard devait, selon lui, le mener à une grande gloire, et le récompenser largement de toutes ses avances.

Il est, au reste, vrai de dire que s'il fût arrivé au but qu'il se proposait, il eût réellement mis la main sur une excellente spéculation. Ayant en sa possession un violon de Stradivarius, dont quelques amateurs, à plusieurs reprises, lui avaient offert un haut prix, l'idée lui était venue d'imiter le faire de cet auteur. Il avait pensé qu'en reproduisant avec une rigueur mathématique les formes et les dimensions de ses instrumens, en employant un bois semblable à celui qui avait servi à les établir, en arrivant à imiter rigoureusement le vernis et la couleur dont ils avaient été primitivement enduits, il parviendrait à se procurer une qualité de son exactement pareil. Malgré tous les soins qu'il mettait à ses contre-façons, toujours il s'y rencontrait une légère différence avec le modèle; or des nuances infiniment subtiles constituant, selon toute apparence, la supériorité qui faisait son désespoir, il pensait pouvoir logiquement expliquer l'infériorité de ses copies par les imperfections presque insaisissables qu'il y découvrait, en sorte que l'oeuvre était toujours à reprendre; c'était une manière de cercle vicieux tournant à l'infini, dans lequel une fortune de prince se fût elle-même engouffrée.

Après bien des essais, cependant, une modification s'était faite dans son idée primitive; il était un jour arrivé si près d'une imitation irréprochable, et ce jour-là précisément l'instrument sorti de ses mains s'était trouvé si loin au-dessous de son stradivarius, qu'il avait fini par soupçonner dans la création de ce chef-d'oeuvre un élément d'une nature supérieure et non encore sollicité par lui. « – Qui sait, disait-il fort gravement à un physicien qui prétendait le faire arriver à la solution de son problème instrumental par des applications nouvelles de la théorie du son, qui sait plutôt si ce n'est pas hors du monde matériel que je dois chercher. Les mots représentent des idées, n'est-il pas vrai? eh bien! quand je dis l'ame de mon violon, peut-être, sans y songer, frappé-je à la porte que je cherche depuis si long-temps. Que vous en semble, monsieur?» Et le physicien de se mettre à rire, et le pauvre Tobias Guarnerius de s'enfoncer plus profondément dans l'abîme de ses recherches.

Un jour une de ses pratiques venant lui apporter un archet à réparer laissa chez lui un livre que pendant plusieurs jours elle oublia de venir reprendre. A ses heures de loisir, lesquelles étaient rares, car lorsqu'il ne travaillait pas de ses mains il travaillait de sa pauvre tête, qui ne reposait guère, Tobias Guarnerius parcourut ce livre: c'était un de ces respectables monumens de la patience et de l'érudition germaniques, où l'auteur vous annonce, sans y mettre d'ailleurs autrement de prétentions, qu'il traitera de omni re scibili et de quelques autres sujets. En effet on y voyait, à côté d'un chapitre sur la meilleure forme de gouvernement, un chapitre sur la manière de gratter le dos de sa femme quand il la démange; une recette pour faire du vin de Chypre était suivie d'une dissertation sur la virginité des onze mille vierges, et d'un discours sur les avantages de la calvitie; un ton de bonhomie singulière avait présidé à la rédaction de cet ouvrage informe, et donnait à sa lecture un charme particulier, qui avait fini par dominer notre monomane jusqu'à détourner de lui pendant une demi-journée l'obsession de sa pensée ordinaire.

Tout-à-coup, au détour d'une page, un chapitre se présente à lui avec ce titre: De la Transfusion des ames. A la lecture de ces mots, comme s'il eût soudain entrevu que la révélation du grand secret qu'il cherchait depuis si long-temps allait lui être faite, il sauta d'un bond prodigieux, appela sa mère, qu'il chargea de garder la boutique, et de dire, si on venait le demander, qu'il était sorti; puis courant s'enfermer dans sa chambre, pour ne pas être interrompu, il commença la lecture du chapitre qui, dans sa pensée, ne pouvait manquer d'être le plus merveilleux que jamais plume de philosophe eût enfanté.

Ce n'est pas seulement dans les livres, c'est dans toutes les choses de la vie, dans ses amitiés, dans ses espérances dans les prospectus, dans les amours de femme surtout qu'il faut craindre des désappointemens semblables à celui qui attendait Tobias Guarnerius. Le chapitre, dont un instant avant il eût payé la lecture au prix d'une livre de sa chair, était une misérable rapsodie, lardée de citations des Pères de l'église, d'Aristote, de Platon et de l'Écriture. Après force divagations, abstractions et conversations, l'auteur se résumait à cette découverte toute nouvelle, que l'ame était immortelle: sans contredit les vingt pages les plus pauvres de cet immense in-folio étaient comprises sous le titre si magnifique que je vous ai dit.

Mais l'heure de Tobias Guarnerius n'en était pas moins venue; étreignant avec une singulière puissance les trois mots qui tout à coup lui étaient apparus, pour en faire jaillir un sens logique aux entrevisions qu'il avait eues précédemment, il commença à se représenter l'ame humaine comme une substance locomobile, transportable, avec sa puissance d'animation, d'un lieu dans un autre. En Allemagne, où il y a de la philosophie dans l'air, un artisan, tout aussi bien qu'en France un prix d'honneur de rhétorique, avait entendu parler de la métempsycose; et ce système, pour peu que l'on pesât dessus, pouvait bien s'élargir jusqu'à admettre la donnée du philosophe luthier. Trois heures de réflexions passant par-dessus cette illumination achevèrent de lui donner dans l'esprit de Tobias une créance indélébile, et désormais il ne s'occupa plus que du procédé matériel à l'aide duquel il appliquerait à son art le bénéfice de sa découverte psycologique.

A trois mois de là, c'était durant la nuit, la veille de la Saint-Joseph, depuis long-temps une heure était sonnée à toutes les horloges, et la ville de Brème tout entière reposait dans le sommeil; l'atelier de Tobias Guarnerius était soigneusement fermé; et de peur qu'en passant on ne pût voir par les fentes des volets la lumière qui brillait dans son arrière-boutique, il avait eu soin d'étendre devant la porte vitrée qui communiquait de cette pièce à son magasin un épais rideau de serge verte replié deux fois sur lui-même.

Certes, ces précautions n'étaient point inutiles, car c'était une oeuvre étrange que celle à laquelle le luthier s'occupait.

Dans le grand lit de damas rouge sur lequel, il y avait bientôt quarante ans, elle l'avait mis au monde, sa vieille mère Brigitta Guarnerius, en proie aux angoisses de l'agonie, achevait de mourir d'un cancer qui la minait depuis long-temps. Penché sur sa poitrine, qui râlait d'une manière horrible, sans qu'une larme brillât dans ses yeux, sans qu'un seul des muscles de son visage exprimât la moindre sympathie pour les atroces souffrances dont il était témoin, Tobias paraissait plongé dans le pressentiment d'un moment solennel et fatal, dont l'attente absorbait toutes ses facultés. Sans doute, en vue de quelque produit étrange à recueillir, un appareil bizarre, que n'avait ni décrit ni prévu aucune science humaine, mettait en rapport le lit de l'agonisante et une table sur laquelle reposait un instrument inachevé. Un tube, qui paraissait formé de l'alliage de plusieurs métaux, s'évasant par le bout en forme d'entonnoir, avait été placé au-devant de la bouche de la vieille femme, et recevait le souffle de son haleine qui, à chaque expiration, s'y engouffrait avec un bruit lugubre. A l'autre extrémité, ce tube s'emboîtait à une cheville de bois, pareille à celle qui se place debout entre le fond et la table de tous les instrumens à chevalet; seulement celle-ci était d'un diamètre un peu supérieur au diamètre ordinaire, et au lieu d'être en bois plein, elle était creuse et devait se fermer hermétiquement, au moyen d'un petit couvercle à vis merveilleusement travaillé, lorsque l'embouchure du tube viendrait à en être retirée. Précisément au-dessus du point de jonction provisoire du bois et du métal, et comme pour empêcher l'évaporation au moment où se ferait leur séparation, avait été disposée une manière de boîte ou de guérite en bois de sapin; les planches, humides et vermoulues, exhalaient une odeur terreuse et nauséabonde, et un grand clou rouillé, pendant encore après, indiquait qu'elles avaient du antérieurement faire partie d'un objet de plus grande dimension.

A une heure cinquante-deux minutes et quelques secondes, la respiration de la malade s'étant arrêtée, son pouls et son coeur ayant cessé de battre, tout à coup on entendit dans le tube, qui fut agité comme par un mouvement galvanique, un long soupir, suivi d'un frémissement qui courut tout le long du métal, et vint bondir au fond de l'étui qui y adhérait. A ce bruit, Tobias Guarnerius se précipita; les yeux égarés et la poitrine haletante, il repoussa le tube conducteur, et d'une main forcenée, malgré une force incroyable de résistance qui répondait à sa pression, malgré une sorte de crépitation douloureuse et plaintive qui s'agitait sous ses doigts, il vissa le couvercle à l'extrémité de la cheville. Maintenant il faut vous le dire, quoique jamais la preuve matérielle de cette monstruosité n'ait été acquise, il paraît que ce que Tobias Guarnerius venait d'enfermer dans ce bois creux, c'était l'ame de sa mère, la première qui se fût trouvée pour réaliser son abominable découverte.

Au moment où avait été rompu le lien par lequel elle était unie à l'enveloppe mortelle qui venait de finir son temps, l'ame s'était élancée pour retourner en haut; forcée de suivre l'étroit conduit qui la cernait à sa sortie, elle avait couru pleine de détresse jusqu'au fond de l'espace qu'elle avait devant elle: elle se fût sans doute évadée dans le peu de temps que son bourreau avait mis à fermer sur elle le couvercle; mais une effroyable industrie avait tout prévu. Les planches de sapin qui ombrageaient l'espace sur lequel s'accomplissait l'odieux mystère étaient les planches d'un cercueil fraîchement enlevé à la terre du cimetière. Quand l'ame s'était pressée pour sortir, elle avait eu horreur de cette atmosphère de mort qu'il lui fallait traverser, et elle s'était retirée en arrière; alors Tobias était venu et il l'avait scellée dans sa prison, et il la tenait là pour s'en servir à ses volontés.

Il ne faut pas croire pourtant que ces épouvantables audaces puissent s'exécuter sans qu'il en coûte quelque chose à leurs auteurs; car au moment où tout avait été accompli, Tobias était tombé à la renverse, frappé comme d'une puissante commotion électrique, et il était resté étendu à terre, sans connaissance, plusieurs heures encore après que le soleil se fût levé.

Au moment où il se réveilla de ce long évanouissement, il commença par sentir une vive fatigue dans tous ses membres, comme s'il avait fait une longue route; puis il eut grand peine à recueillir ses idées, afin de se rendre compte de ce qui lui était arrivé. A la fin cependant un souvenir lucide de toutes les choses de la nuit se dessina devant lui. La main agitée d'un tremblement qui ne le quitta plus, il s'approcha du lit, où le corps de sa mère était déjà froid et raidi. Il abaissa la paupière de ses yeux, en ayant soin que leur regard fixe ne rencontrât pas le sien; puis, ayant couvert le visage, il eut peur; car il lui sembla que l'angle facial qui se dessinait sous le drap blanc avait un air de reproche et le menaçait.

Depuis deux semaines environ, les restes mortels de Brigitta avaient été déposés dans la tombe, et même il s'était passé d'étranges choses lors de son enterrement; car à chaque fois que, dans les prières, le prêtre avait eu à parler de l'ame de la défunte, les cierges qui brûlaient autour du corps s'étaient éteints d'eux-mêmes; et bien des choses s'étaient dites touchant cette circonstance et plusieurs autres que l'on racontait. Témoin de ce phénomène, et tourmenté, dans son ame, par le remords, bien que la joie d'avoir réalisé la pensée de toute sa vie fût encore la plus forte, Tobias n'avait pas encore osé faire l'essai de l'instrument qu'il avait achevé, et pourtant une merveilleuse harmonie y était cachée; car lorsque l'air seulement venait à passer dessus, des soupirs d'une incroyable douceur s'en exhalaient. Le bruit à la fin commença à se répandre que Tobias avait découvert son grand secret; et chaque jour tout ce qu'il y avait de musiciens dans la ville venait savoir, les uns pour se rire du rêveur, les autres avec une curiosité plus sérieuse, à quand l'audition du violon-miracle, et Tobias reculait toujours, sous prétexte que son oeuvre n'était point finie.

Il advint pourtant que l'héritier présomptif d'une petite principauté de l'Allemagne passa par la ville. La Providence, qui apparemment avait eu ses raisons pour cet arrangement, le destinant à régner un jour, lui avait donné toutes les qualités requises pour être un excellent violon solo. Sa réputation de virtuose s'était répandue dans toute l'Europe, à peu près comme la renommée militaire du grand Frédéric, et il ne s'arrêtait guère en un pays qu'on n'organisât pour lui un concert, où souvent il ne dédaignait pas de se faire entendre. Le gouverneur de Brème, ayant toute raison de vouloir être agréable à l'illustre exécutant, se hâta de préparer une soirée musicale, et il ne laissa pas ignorer à Tobias Guarnerius qu'il lui serait agréable d'y voir faire l'essai de son invention.

Au moment où ce désir lui fut intimé, Tobias commençait à entrer en composition avec sa conscience. L'impression de terreur qu'il avait subie à la suite de son larcin, comme le souvenir de toutes les autres émotions humaines, s'effaçait peu à peu sous les jours qui passaient. D'étranges raisonnemens étaient ensuite venus à son secours. «On ne sait jamais, se disait-il, avec cette jurisprudence céleste, qui vous absout in extremis pour un bon sentiment, qui vous punit pour une pensée mauvaise, ni qui sera condamné ni qui sera sauvé. Ma mère Brigitta eut à nos yeux une vie honnête: en est-il de même pour le jugement d'en haut; et qui peut assurer qu'en la retenant ici-bas je ne lui sauve pas plusieurs jours de l'éternité des douleurs? D'ailleurs je suis bon fils, ajoutait-il avec une sublime sophistiquerie digne d'un avocat de nos jours. D'autres conservent précieusement les ossemens de leurs proches; moi je conserve l'ame de ma mère; moi je ne veux pas m'en séparer. N'y a-t-il pas entre le double mérite de nos piétés filiales tout l'intervalle qui sépare l'esprit de la matière?» Avec ces pensées, qu'il habillait des plus belles paroles qu'il pouvait, il parvenait à émousser son remords.

Quand fut venu le soir où devait avoir lieu la grande épreuve, Tobias fut tout à coup saisi d'une autre inquiétude. La préoccupation de l'artiste dominant toute autre pensée, il eut des doutes sur la sincérité des résultats que devait lui donner son expérience. L'ame avait-elle, en effet, été transfusée? Par une évaporation subtile, en supposant qu'elle eût un instant séjourné là où il l'avait retenue, n'avait-elle point pu s'échapper pour obéir à la loi céleste d'attraction qui la rappelait? Et alors voyez un peu la belle confusion, si, en présence de toute la ville assemblée, sa création surhumaine allait tout à coup se résumer en quelque misérable instrument, criard comme ceux que tant de fois déjà il avait réalisés. Il n'y avait dans cette appréhension rien que de raisonnable, et plutôt que de s'exposer à un si mortel désappointement, surmontant enfin la religieuse terreur qui jusque là l'avait empêché d'interroger son oeuvre, il l'eût essayée de ses mains s'il l'eût eue à sa disposition; mais, en homme qui savait son monde, il l'avait, dans la journée, envoyée à l'hôtel du gouvernement, enfermée dans un riche étui, dont il avait gardé la clef. Le sort en était donc jeté, et il n'y avait plus à revenir sur ses pas; dans un quart d'heure il aurait effacé la gloire de Stradivarius et celle de tous les maîtres de l'art, ou il serait devenu l'objet d'une inexorable dérision. Après tout, ce sont là, à vrai dire, les deux termes du marché auquel se soumet quiconque dans cette vie essaie de penser ou de vouloir de la première main.

A l'heure où tous les convives du grand banquet musical furent rassemblés, Tobias Guarnerius fut introduit dans le salon du gouverneur, où, pour cette fois, il avait entrée. L'aspect général de sa toilette presque antédiluvienne, et accusant un délabrement de vieille date, malgré tous les soins extraordinaires qu'il y avait donnés, quelque chose de gauche et d'endimanché répandu dans toute l'habitude de son corps faisait de lui un personnage assez burlesque. Toutefois, au moment où on le vit assis dans un coin, le visage empreint d'une pâleur mortelle, l'oeil fixe et plongeant avec une indicible anxiété sur le virtuose qui, pour la première fois, allait donner une voix à sa création, il ne parut plus grotesque à personne, et chacun eut peur et fut ému avec lui.
<< 1 ... 9 10 11 12 13 14 15 16 17 ... 32 >>
На страницу:
13 из 32