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»C'était un homme de taille moyenne, l'oeil bleu et fixe, le regard attentif, pour ne pas dire insolent; un véritable Anglais de l'école moderne. La secte était nouvelle alors, le Caire et Alexandrie ne m'avaient rien offert de tel: aussi l'examinais-je avec curiosité et l'écoutais-je avec attention. L'officier auquel il s'adressait, et qui semblait fort intime avec lui, avait été son condisciple au collége d'Éton. La cravate du nouveau venu l'emprisonnait si étroitement, ses grandes joues étaient d'une si belle couleur safranée, son affectation d'austérité sourcilleuse contrastait si ridiculement avec la fatuité de ses paroles, que j'oubliais le spectacle pour le contempler et pour l'entendre.

»Il m'est arrivé bien des choses, mon cher, disait-il à son camarade, depuis nos vieilles folies d'Éton. Vous me direz, vous, combien de villes nouvelles vous avez visitées, et à combien de batailles vous avez assisté: cela est très-héroïque et très-beau; moi, je vous dirai, en revanche, combien de chevaux j'ai tué à la chasse, et combien de maris désolés m'ont envoyé à tous les diables. La liste en est longue, par Dieu! et je ne vous en ferai pas grâce. Ce qui m'amène à Messine aujourd'hui, et me force d'assister à ce spectacle que Dieu damne, c'est l'éclat de ma dernière affaire de ce genre. Il s'agissait d'une femme mariée, jolie, intrigante, et dont la rouerie profonde eût aisément servi de modèle à tout ce que la France et l'Espagne possèdent de plus consommé en ce genre. Vous sentez que la délicatesse m'empêche de la nommer. Tout nous ordonnait une conduite prudente; eh bien! malgré notre habileté mutuelle, nous fûmes trahis. Une femme, une aubergiste de la route de Bath, que j'avais daigné dans le temps honorer de quelques regards, éventa notre complot anti-conjugal, et me menaça de l'ébruiter. C'eût été dangereux de toute manière: la dame a des parens qui ne plaisantent jamais, et nos tribunaux font payer cher les maladresses amoureuses. J'achetai le silence de notre hôtesse, et me voici à Messine, où je compte passer quelque temps loin de celle dont mon absence protégera sans doute la réputation.»

»Cette conversation fit peu d'impression sur moi dans le premier moment. Je ne remarquai que deux choses: la corruption froidement frivole du jeune dandy, et la dépravation de sa complice. Je rentrai chez moi. Un paquet de lettres et de journaux se trouvait sur ma table. Je reconnus l'écriture de ma femme, et je me hâtai de décacheter sa lettre. On ne peut être attaché à une amante, à une soeur, à une épouse, par des liens plus doux que ceux qui m'unissaient à Marie. Sa lettre respirait toute la tendresse d'une ame pure et dévouée. Depuis que j'avais épousé Marie, elle ne m'avait pas causé un seul chagrin. Jeune fille élevée dans un des comtés les plus sauvages de l'Angleterre, appartenant à une des familles les plus illustres de la pairie, elle unissait à la grâce et à la dignité aristocratique la rare magie de l'ingénuité la plus touchante.»

Le capucin se leva; le soleil baissait, nous nous dirigeâmes vers son couvent. Il me fit entrer dans sa cellule, et pendant que la nuit commençait à tout obscurcir, il continua en ces mots:

«Dans la lettre de ma femme elle faisait mention d'un voyage à Bath et d'un retour subit à Londres, retour causé par la mauvaise santé de sa mère. Je reconnaissais dans ces lignes, pleines de sensibilité, toute son ame angélique, et je me félicitais d'avoir rencontré une telle épouse, lorsqu'en portant la main sur le paquet de journaux une singulière réflexion m'occupa. Le mot Bath, si souvent reproduit dans la conversation du dandy, se montrait aussi dans la lettre de ma femme; ce rapprochement frappa mon esprit d'une étrange terreur. Ce n'était pas un doute, ce n'était pas un soupçon, c'était comme une vague, une lugubre et lointaine clarté. Une angoisse jalouse me saisit le coeur, et je tremblai un moment comme la feuille. Je me rappelai toute la vie passée de ma femme, son amour pour ses devoirs, la profondeur simple et naïve de ses affections, je m'accusai moi-même: mais je ne pouvais échapper à ce tourment. Entre sa vertu et ma confiance, il me semblait qu'un démon gigantesque s'élevait pour en éclipser la clarté et me plonger dans des ténèbres profondes.

»Comment vous peindre, monsieur, ce supplice d'une jalousie fondée sur la plus légère hypothèse, conçue dans un pays étranger, sans aucun moyen d'en vérifier la réalité ou l'injustice? Tous mes raisonnemens étaient inutiles, le dard envenimé restait là enfoncé dans mon sein. Je ne pouvais le secouer ni l'arracher. L'horreur de la même pensée me poursuivait sans relâche. Je me levai, me promenai à travers la chambre et ne retrouvai un peu de calme que vers une heure du matin, après avoir respiré à longs traits l'air embaumé de la nuit sicilienne. Le portrait de Marie se trouvait dans l'intérieur d'un de mes portefeuilles; je l'ouvris, je contemplai cette image qui s'offrit à moi pure, naïve, candide; c'étaient bien ces traits si modestes dont l'expression semblait me reprocher mes soupçons outrageux et se plaindre de ma défiance. Un sentiment amer et brûlant comme le remords s'empara de moi; j'étais prêt à demander pardon à ce portrait. Je me calmai ensuite; et, rallumant ma lampe que le vent venait d'éteindre, je repris le paquet de journaux que j'avais négligé d'ouvrir.

»Après avoir parcouru négligemment plusieurs paragraphes politiques et littéraires, je me mis à lire cette partie de nos feuilles publiques où, sous le titre de Bruits de la ville et de la cour, on accumule hardiment tous les scandales semés dans les salons et dans les tavernes. Voici le passage étrange qui frappa mes regards, et que je relus plusieurs fois avec une anxiété que vous n'aurez pas de peine à deviner:

«Il n'est bruit dans le monde que de la piété filiale de la belle et jeune mistriss Os… qui a quitté tout à coup les plaisirs de Bath pour suivre sa mère souffrante. On dit que la réputation de la fille est aussi invalide que la santé de la mère.»

»Je laissai tomber le journal. Mon nom est Osprey. L'initiale dont le journaliste s'était servi était précisément celle du nom de ma femme et du mien.

»Vingt balles eussent frappé et déchiré ma poitrine à la fois que je n'eusse pas souffert davantage. Ces lignes du journal ajoutaient à mes soupçons un venin mortel et une hideuse probabilité. Je n'essaierai pas de décrire l'état dans lequel je tombai; le temps s'écoula, l'horloge d'un couvent voisin sonna quatre heures. Je repris machinalement un autre numéro du même journal, où, sous la même rubrique dont j'ai déjà parlé, se trouvait le paragraphe suivant:

«Les insinuations scandaleuses et injustes dont lady O… et sa famille ont été l'objet sont formellement démenties par des personnes dignes de foi.»

»Je méditai long-temps ces paroles, et j'y vis non une attestation de l'innocence de la dame accusée, mais seulement une réponse adroite, et la preuve irréfragable d'une réputation déjà flétrie. D'ailleurs le dandy n'avait-il pas répété que sa maîtresse était ingénieuse dans le vice, spirituelle dans ses excès, féconde en ressources pour les voiler, d'une dissimulation profonde, d'une adresse sans égale, d'une perfidie qui eût fait bonté aux plus habiles. Plus je rêvais, plus mon anxiété augmentait; la fièvre s'emparait de mon cerveau. Tourment insupportable! Le matin je me jetai sur mon lit, où je restai étendu et pleurant. Tantôt ma femme m'apparaissait comme l'ange de nos premières amours, tantôt comme un monstre odieux. Dans le flux et le reflux de mes pensées je ne savais à quoi me fixer; je ne pouvais aller demander raison à l'homme dont les paroles avaient soulevé dans mon sein cette affreuse tempête. Le mot Bath retentissait à mon oreille comme un glas funèbre.

»Il était onze heures quand je sortis au hasard; et bientôt, par un mouvement presque machinal, je m'acheminai vers un couvent de bénédictins où demeurait un homme que j'avais remarqué pendant le séjour que j'avais fait précédemment à Messine. Il se nommait le père Anselme; sa sagacité était rare et puissante; il donnait un démenti formel à l'opinion vulgaire, mais ridicule et fausse, qui peuple les couvens d'une race ignorante, oisive et inutile.

»Ne croyez pas que toute l'intuition du coeur humain appartienne aux gens du monde: la solitude donne des leçons. Un moine qui a l'instinct de l'observation en sait plus sur vous et sur moi que le favori des salons et des boudoirs n'en saura jamais. Ce dernier se dissipe, sa sagacité se perd sur une surface plane; son esprit de détail s'applique à des riens. Le solitaire, s'il a l'esprit droit, creuse à une profondeur inouïe, découvre des rapports ignorés des autres hommes, étudie le monde sans le voir, devine les secrets des coeurs sans se confondre dans la tourbe sociale, pénètre le ciel et l'enfer, invente dans sa cellule tout ce qui doit changer le globe: c'est Roger Bacon devinant la machine à vapeur et la circulation du sang; c'est Abeilard et Occam préludant au scepticisme de Voltaire; il n'y a que les esprits sans portée qui se moquent des cénobites. Le cénobitisme est le nourricier du génie; la cellule en est le berceau. Croyez-vous que ces jésuites qui émouvaient le monde et pétrissaient les ames royales eussent acquis dans le tumulte d'une société bruyante leur génie si fécond et si dangereux? Non. Même le talent de l'intrigue peut émaner de la cellule: là, dans la solitude, en face du ciel, loin du mouvement des pensées tumultueuses, qui nous enlèvent à nous, germent et grandissent tous les bons et mauvais génies.

»Le père Anselme, Vénitien de naissance, était un remarquable exemple de sagacité et de finesse mondaines, chez un prêtre enfermé dans le cloître.

»J'avais beaucoup de confiance en lui et je crois qu'il m'aimait. Les prêtres siciliens forment, vous ne l'ignorez pas, une classe à part. L'hérésie ne leur fait pas peur, combien de fois ai-je entendu le père Anselme me dire:

«Vous autres Anglais, vous êtes une grande nation, et Dieu ne voudra pas damner des hérétiques tels que vous.»

»Je lui appris tout ce qui m'agitait, je ne lui cachai pas la moindre particularité des événemens de ma vie, pas un des détails que je viens de vous donner. Il m'écouta paisiblement, et me répondit:

» – Retournez chez vous, ce soir vous reviendrez au couvent après vêpres. Peut-être alors serai-je en état de vous donner quelques conseils.

»J'allai m'enfermer dans ma chambre. Mes camarades s'étaient absentés, et sous la conduite d'un cicérone ils visitaient les ruines dont cette partie de la Sicile est semée. Je fus heureux de pouvoir rester seul et triste dans mon appartement. J'attendis avec impatience le moment de notre entrevue. Le jour baissait; à la porte du couvent un religieux appartenant aux ordres mendians causait avec Anselme; quand ils me virent, leurs regards semblèrent se fixer sur moi avec une expression de pitié. En Sicile, comme dans tout le reste de l'Italie, la police secrète se trouve entre les mains des prêtres. Je ne sais si le père Anselme avait consulté ce moine sur ce qui m'intéressait si vivement; mais quand il eut fait ses adieux, il me prit par la main et me dit:

» – Venez.

»Sa figure était plus grave qu'à l'ordinaire. Nous entrâmes dans l'église; elle était déserte. Qu'elles sont belles, monsieur, nos églises siciliennes, où le génie de la mosquée d'orient s'allie au génie du catholicisme occidental! Vous aimez sans doute ces mosaïques incrustées, ces saints de couleurs tranchantes, ce mélange d'éclat et de ténèbres, ces nombreux monumens, un ciel éthéré apparaissant à travers les dentelures et les trèfles des hautes voûtes; l'or et la pourpre resplendissant dans les chapelles, et les versets du Coran qui se lisent encore au bas des corniches noircies par la fumée des cierges chrétiens? Malgré cette pompe, il y avait autour de moi, dans cette solitude du temple, une tranquillité pour ainsi dire palpable qui m'enlaça, me saisit, pesa sur moi comme un manteau de plomb, et dit à la fièvre de mes passions: Fais silence.

»Le père Anselme me conduisit vers le fond de l'église, s'arrêta derrière le maître-autel, et là il me dit:

» – Mon fils, quoique nous soyons de communion différente, agenouillez-vous ici. Je suis prêtre et vieux, vous recevrez mes conseils d'homme et de pasteur, vous plierez le genou, non devant moi, mais devant Dieu qui nous frappe et nous sauve. Nous prierons ensemble.

»J'étais troublé, je fis ce qu'il me disait. Après quelques prières communes, il reprit:

» – Votre soupçon est fondé.

»Un long soupir s'échappa de mon sein, et je ne pus rien répondre.

» – Partez pour l'Angleterre, écrivez à votre femme sans lui témoigner aucun soupçon; passez par Bath où demeure la femme dont on a acheté le silence; payée pour se taire, elle parlera si vous lui offrez un meilleur prix. Que rien ne trahisse votre intention avant que vos soupçons soient éclaircis; quand vous connaîtrez toute la vérité, vous vous conduisez comme un homme d'honneur doit le faire, et vous abandonnerez la coupable à ses remords, ou vous rendrez votre confiance à l'épouse fidèle.

»En ce moment quelques personnes entraient dans l'église; nous étions placés de manière à ce que je pusse les voir sans être aperçu d'eux.

» – C'est lui! m'écriai-je.

«En effet le jeune Anglais, dont le nom était sir Ormond Mondeville, venait d'entrer dans l'église, accompagné d'un de ses amis. Il n'était pas étonnant que, nouvellement arrivé à Messine, il s'empressât de visiter l'intérieur de cette nef remarquable, l'une des curiosités les plus pittoresques de la contrée. Le père Anselme vit mon mouvement et me retint.

» – Je suis plus calme que vous, me dit-il, je vais lui parler; vous devez vous taire. Le moine salua sir Ormond et lui fit remarquer une belle et vieille statue de bronze placée à droite du maître-autel. J'essayai de lier conversation avec l'un des officiers qui se trouvaient là; je ne sais ce que je lui dis, mais, incapable de lier deux paroles et deux idées, je suis persuadé qu'il me regarda comme un fou ou comme un idiot.

»Anselme s'exprimait avec facilité, avec élégance; sa courtoisie envers sir Ormond me surprenait. Malgré l'état d'irritation fébrile où je me trouvais, j'étais frappé de la singularité de sa conduite. Il me semblait qu'il s'agissait pour lui d'une expérience à faire. Sa froideur se communiqua, pénétra jusqu'à moi: je le suivis en silence et beaucoup plus calme, plus recueilli, plus attentif.

»J'avais donné à ce moine des renseignemens exacts qu'il m'avait demandés, sur ma femme, sur son caractère, sur ses traits, le son de sa voix, la couleur de ses cheveux, la forme de son visage et l'expression de sa physionomie. Il causait vivement avec sir Ormond et arrêtait son attention sur les portraits des saints pères, qui peuplaient le temple, profitant de la liberté italienne pour commenter ces tableaux, demander au jeune homme son opinion sur leur beauté relative, et déduire des conséquences morales de leur extérieur mélancolique ou sévère. Lorsque sir Ormond parlait, le long regard noir d'Anselme descendait dans l'ame de son interlocuteur; mais mon compatriote restait indifférent et calme, et toute cette investigation métaphysique, chef-d'oeuvre de pénétration intuitive et d'inquisition intellectuelle, n'aboutit qu'à nous montrer un coeur froid, des sens blasés, un faux goût pour les arts, et un coeur incapable de véritable passion dans aucun genre. En vain Anselme éveillait tout ce que le fond d'une ame humaine peut renfermer d'associations et de souvenirs tendres et délicats, rien ne vibrait à l'unisson chez notre dandy. Il développait par saillies un épicurisme facile et sans choix, mêlé d'une vanité de fat: puis, sans savoir qu'il avait placé dans les mains de l'étranger une clef qui découvrait le triste trésor de ses secrètes pensées, il remercia Anselme de sa complaisance et s'en alla.

» – Vous voyez cet homme, me dit le moine; la femme qui aura cédé à ses instances ne mérite pas un regret, car il n'a pas un remords. L'intrigue dont il vous a fait involontairement confidence n'est qu'une folie de jeune homme; si malheureusement votre femme est coupable vous devez l'oublier à jamais.

» – Elle mourra! lui dis-je.

»Il me regarda sévèrement.

» – Une erreur de ce genre ne mérite pas votre colère et vous dégage de toute affection. L'épreuve à laquelle j'ai soumis ce jeune homme est certaine; il n'a pas aimé, il n'aime pas, il n'est pas aimé. Un amour profond, même quand on ne le partage pas, laisse son empreinte chez la personne aimée. Croyez-moi, mon fils, ces gens ont péché sans vous offenser. Dans le cas où le crime que vous soupçonnez serait réel, bénissez le ciel; il vous délivre d'une compagne qui vous aurait déshonoré tôt ou tard.

»Ces paroles d'Anselme me semblaient oraculaires; je ne cherchais pas à les comprendre ou à les discuter. Il me fallait un guide, ma main le suivait sans réflexion.

»Mais essayer de bannir l'image de Marie était inutile; je ne pouvais déraciner ainsi mon premier et mon seul amour. Tout rappelait à mon esprit sa beauté, sa simplicité, sa piété, surtout cette délicatesse du sens moral qui s'accordait si peu avec la grossière erreur et l'entraînement sans excuse que l'on attribuait à la maîtresse de sir Ormond. Cependant la première rage était passée. A ma fureur succéda une douleur plus calme, et, si je puis me servir de cette expression, plus exquise. Oh! l'angoisse de ces journées! Oh! la douleur de perdre une telle consolation, un tel soutien, un tel amour, tout l'espoir de ma vie!

»Deux jours après je m'embarquai pour l'Angleterre, et aussitôt après mon arrivée à Falmouth, je partis pour Bath. C'était là qu'étaient restées les traces du crime, et que m'attendaient les seuls renseignemens que je pusse espérer. Me voilà en face de l'auberge que sir Ormond avait désignée; j'entre, tout mon corps frémit de crainte. Une femme de moyen âge et assez jolie se présente à moi, c'est la maîtresse de la maison. On me sert du thé. Sous prétexte que j'ai quitté depuis long-temps l'Angleterre et que je désire m'instruire de quelques particularités relatives à l'état de mon pays, je prie la servante de demander à sa maîtresse si elle peut venir prendre le thé avec moi.

»J'étais arrivé à mon but, et j'allais causer avec celle qui connaissait le secret fatal. Elle monta dans ma chambre, et les discours que je tins furent si incohérens qu'elle s'en étonna. J'étais trop préoccupé du seul sujet qui m'intéressât, pour que mes autres paroles ne fussent pas obscures et confuses. Je passais d'un sujet à l'autre, et j'essayais vainement de donner à ma conversation l'ordre et la suite nécessaires pour inspirer de la confiance à l'hôtesse. Quand je vis que ses regards surpris se fixaient sur moi:

» – Pardon, lui dis-je, madame, vous vous apercevez de mon inquiétude; j'ai des sujets de chagrin profonds, des soupçons cruels à éclaircir; je suis jaloux d'une femme que j'adore, et l'anxiété où je suis doit se peindre dans tous mes discours.

»Je vis que son coeur de femme s'intéressait à mon chagrin et que sa curiosité était excitée.

» – Hélas! repris-je, le lieu même où je suis ne fait qu'accroître mon émotion. S'il faut en croire au scandale qui est venu jusqu'à moi dans un pays étranger, c'est à Bath même que s'est formée l'intrigue qui me désespère.»

»A mesure que je parlais j'examinais à la dérobée les traits de l'aubergiste dont l'émotion et le trouble s'accroissaient pendant mon récit.

» – Je ne connais pas assez la ville de Bath, continuai-je d'un ton assez indifférent, pour trouver sur un sujet qui m'occupe si cruellement des informations exactes. Je sais seulement que l'homme auquel on prétend que je dois mon déshonneur est sir Ormond Mondeville.

»L'hôtesse pâlit; je n'eus pas l'air de m'en apercevoir.

» – Je servais à l'étranger: ma femme et sa mère vinrent passer quelque temps à Bath. Voici, madame, comment on m'a fait le cruel récit de ma honte et de mon malheur: sir Ormond les attendait dans une auberge de Bath ou des environs…

»L'hôtesse, qui tenait une tasse de thé à la main, trembla et en répandit le contenu sur la table. – La jeune femme quelle qu'elle soit, sous prétexte d'une indisposition grave, demanda une chambre séparée. Au milieu de la nuit, l'hôtesse entendant du bruit dans la chambre de cette dernière y entra; sir Ormond Mondeville s'y trouvait: cent livres sterling furent offertes par sir Ormond à cette femme, qui lui promit le silence.
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